« À l’âge de 7 ans, j’ai commencé à étudier le violon avec un professeur russe. Peu à peu, j’ai eu besoin d’une communication plus intense, d’entrer en transe. Faire de la musique était déjà pour moi une forme de transe, mais j’ai voulu approfondir cette expérience en fréquentant les cérémonies de la santeria. À Cuba, ce n’est pas difficile car les cultes sont mélangés au quotidien. Ensuite, je me suis identifiée à la spiritualité yoruba, qui est devenue une source d’inspiration. C’est une spiritualité très corporelle. Pendant la possession, le corps bouge pour entrer en relation avec les dieux. Ceux-ci, les Orishas, sont proches des humains et ne manquent pas de sensualité, car la notion de culpabilité est absente », raconte Yilian Canizares.
Elle est née à La Havane, la « ciudad de las columnas » (ville aux colonnes), selon l’expression du poète cubain Alejo Carpentier, et n’aurait probablement pas pu naître ailleurs que dans cette ville, où la rencontre de l’Afrique et de l’Europe a produit durant des siècles des expressions culturelles uniques, paradoxales.
La capitale cubaine a enfanté cette fille de bonne famille qui, après avoir appris les sonates de Chopin, s’est imprégnée des chants subliminaux adressés aux dieux d’Afrique pendant les rituels des descendants des captifs noirs débarqués sur les côtes insulaires, via la traite transatlantique.
À 16 ans, elle gagne une bourse et s’envole à Caracas, au Venezuela, où elle parfait ses connaissances du classique et s’initie au jazz latin. Puis retour en patrie et rebelote : nouvelle bourse, nouveau départ. La Suisse l’accueille, et c’est l’accomplissement. Elle y fonde son quartet, avec voix, piano, percussion et contrebasse. Une idée de rythme, des harmonies baroques, l’audace du jazz.
Le groupe porte un nom, Ochumare, qui est aussi celui de son premier album. Il est emprunté à l’une des divinités du panthéon de la santeria. Ochumare, le dieu de l’arc-en-ciel, symbole des mille couleurs de La Havane et de sa musique, associé au cordon ombilical, trait d’union entre ciel et terre, l’axiome même de la santeria.
« Les Yorubas étaient les plus nombreux parmi les Noirs emmenés à Cuba à l’époque du commerce triangulaire, explique Ylian. Ils faisaient partie de la noblesse, ce qui explique la force de la transmission de leur culture d’origine. Avec la nouvelle religion et grâce aux traditions orales, la musique a traversé les siècles, est passée d’oreille en oreille, de bouche en bouche »
En Suisse, Elle se cherche. Jouer dans un orchestre classique ne lui dit rien. Elle se forge un répertoire où les hymnes de la santeria, les réminiscences espagnoles, le jazz et le classique se retrouvent. « Rien de nouveau finalement, de ce qu’on fait à Cuba dans les descargas, avec piano, chant et improvisation, précise-t-elle. C’est la petite bête qui bouscule les canons, une liberté indispensable à la création musicale. »