La proposition américaine à la Russie d’un accord de coopération dans la lutte contre les groupes terroristes, en Syrie, à un niveau jamais connu jusque là, répond, enfin, à ce que Moscou demande depuis longtemps.
L’administration Obama a enfin proposé un nouvel accord à la Russie pour renforcer la coopération des deux pays dans la lutte contre le terrorisme, accord approuvé personnellement par le président Obama et soutenu fortement par John F. Kerry. Le texte a été transmis au gouvernement russe le 27 juin, après des semaines de tractations houleuses à l’intérieur de l’administration Obama.
Daech et al-Nousra, blanc bonnet et bonnet blanc
Au centre de l’accord, la promesse américaine de joindre ses forces aux forces aériennes russes pour partager les cibles et la coordination d’une vaste campagne de bombardement contre Jabhat al-Nousra – la branche syrienne d’al-Qaedae. En échange de la coopération américaine, la Russie devra exiger de l’armée syrienne qu’elle mette un terme aux bombardements des rebelles « non terroristes » soutenus par les États-Unis. Ce qui paraît purement formel. Le Pentagone, selon l’accord, ne donnerait pas de renseignements sur la localisation exacte de ces groupes armés, mais indiquerait des zones géographiques spécifiques qui seraient placées hors zones de bombardement par les forces russes et syriennes.
Jahbat al-Nousra, groupe rebelle terroriste dominant, a été, depuis le début du conflit, le « cheval de Troie » des Français, des pays du Golfe et de la Turquie. Laurent Fabius, alors ministre français des Affaires étrangères, les considérait en 2012 comme les « amis qui font du bon boulot sur le terrain », et François Hollande, avec ses alliés de l’Armée syrienne libre, comme les interlocuteurs privilégiés pour l’ « après Bachar al-Assad ». Mais le président français aurait dû se souvenir de ce vieil adage selon lequel « l’ennemi de mon ennemi n’est pas forcément mon ami ». Certains commencent à le comprendre, et, avec cet accord, les Français semblent définitivement sortis du jeu syrien par leurs grands alliés américains.
Obama a fini par imposer son choix
A Washington, cette proposition d’accord n’a pas fait l’unanimité. Ashton B. Carter, le secrétaire à la Défense, y était opposé, mais a dû se plier à la volonté de Barack Obama. Plusieurs raisons sont évoquées par les opposants à l’accord au sein de la Maison Blanche. La Russie, disent-ils, n’a aucune intention de faire pression sur Assad. Ensuite, les renseignements disponibles ne sont pas suffisants pour distinguer, sur le terrain, Jabhat al-Nousra des autres groupes rebelles dits « modérés » basés à proximité. C’est, cependant, occulter à dessein le fait qu’il n’existe pas de groupes rebelles « non terroristes » en Syrie et que les groupuscules ou factions armées comme l’Armée syrienne libre, n’hésitent pas à combattre aux côtés d’al-Nousra si nécessaire. Enfin, ces bombardements feraient des dommages collatéraux et des victimes civiles, dit-on. Mais c’est bien la première fois que l’on se préoccupe, à la Maison-Blanche du sort des populations civiles !
La colère des va-t-en-guerre de la Maison Blanche s’exprime alors que 51 diplomates américains signaient une lettre quelques semaines auparavant, appelant le gouvernement américain à autoriser des frappes contre des cibles militaires syriennes pour faire pression sur Damas. John Kerry avait, également, menacé d’un « plan B » consistant à augmenter les livraisons d’armement aux rebelles syriens en cas de violation du cessez-le-feu, dit « arrêt des hostilités ».
Moscou se voit confortée dans sa stratégie
La nouvelle proposition d’accord qui répond aux vœux exprimés depuis longtemps par Moscou, rompt avec cette stratégie de l’escalade. Elle ouvre, aussi, une perspective nouvelle favorable à Bachar al-Assad : en affaiblissant al-Nousra, le régime syrien et ses forces militaires seraient en bien meilleure position et pourraient, y compris, reprendre la ville d’Alep, considérée comme un enjeu prioritaire.
Pour Moscou, l’accord va au-delà. Il représente la reconnaissance par Washington de la justesse des positions défendues par la Russie et l’importance de son rôle en Syrie. Cet accord pourrait, également, donner le signal de départ d’un allégement de l’isolement de la Russie imposé par les États-Unis, depuis le déclenchement du conflit ukrainien. Il montre, enfin, la volonté de Washington de revenir à son objectif prioritaire, l’élimination d’État islamique et ses diverses branches et alliés, et de renoncer à l’escalade avec Moscou pour mettre fin à la guerre civile le plus rapidement possible. Le renversement de Bachar al-Assad, semblent penser, enfin, les Américains, ne vaut pas un conflit avec la Russie.
Un revers pour les alliés régionaux de Washington
Ce revirement de Washington, s’il se confirmait, aura des conséquences sur les relations – même si elles sont actuellement, déjà, tendues – avec les alliés régionaux des Américains qui soutiennent les groupes rebelles dont al-Nousra. Il sera interprété, très certainement, par les États du Golfe, principalement l’Arabie saoudite et le Qatar, comme une « trahison ». Ils pourraient mettre fin à leur coopération avec Washington en Syrie, et décider de livrer, eux-mêmes, des armes aux rebelles, dont des missiles sol-air portables Stinger. La Turquie qui est en train de payer cher les facilités accordées dès le début du conflit syrien, aux groupes rebelles combattants (camps d’entraînement, couloir de pénétration en Syrie, logistique, soutien en armement, ravitaillement et sanitaire, commerce illégal de pétrole syrien, etc), avec le soutien financier de l’Arabie saoudite et du Qatar, mais aussi des Occidentaux, sera, sans aucun doute, plus conciliante.
Le virage turc
Le 1er juillet, en effet, après une première conversation téléphonique entre les présidents Poutine et Erdogan, les chefs de la diplomatie turque et russe se rencontraient à Moscou pour entamer la normalisation des relations entre les deux pays, relations rompues après la destruction fin novembre d’un bombardier russe abattu par des F-16 turcs au dessus de la frontière syrienne. Vladimir Poutine a décidé de lever les sanctions contre la Turquie dans le domaine touristique et la « normalisation » des relations commerciales.
Il est clair que, dans ces conditions, la Turquie qui ne peut plus soutenir les groupes rebelles sans le soutien de ses alliés occidentaux, n’aura d’autre choix que d’accepter l’accord russo-américain.