La Russie a repris l’initiative diplomatique dans la crise syrienne après avoir empêché les États-Unis d’intervenir militairement en proposant un plan accepté par le monde entier, à l’exception des pays du Golfe, de leurs alliés au Liban et de leurs marionnettes de la coalition syrienne.
Après trois jours de négociations ardues à Genève entre le Russe Sergueï Lavrov et l’Américain John Kerry, un accord a été trouvé écartant la menace de frappe américaine et le désarmement chimique de la Syrie. La Russie a imposé ses points de vue sur presque toute la ligne. Au grand dam de Paris et des monarchies du Golfe qui ont été le dindon de la farce de ce grand deal russo-américain.
Laurent Fabius, après l’acceptation par la Syrie de la « demande « russe » de mettre sous contrôle international son arsenal chimique en prélude de sa destruction, était monté sur ses grands chevaux pour exiger une résolution contraignante du Conseil de sécurité sous le chapitre VII. Immédiatement, Moscou, par la bouche de Sergueï Lavrov rejeta ce projet de résolution qu’il qualifie d’inacceptable !
Dans l’accord de Genève de ce samedi 14 septembre, la Russie maintient son refus. La référence au chapitre VII de la charte des Nations unies dans l’accord russo-américain est renvoyée aux calendes grecques. Les Russes ne voulant pas en entendre parler. Comment forcer un pays à désarmer « sous la menace d’une attaque » ?, avait fait valoir Vladimir Poutine.
La veille, la Maison Blanche avait fait savoir qu’elle « n’insisterait pas » pour que la résolution sur la Syrie soit placée sous la menace de recours à la force, ouvrant la voie à l’accord qui a été annoncé samedi à Genève après un dernier entretien Kerry-Lavrov. Selon cet accord-cadre, le démantèlement du programme syrien d’armes chimiques est placé sous la responsabilité de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), à La Haye. Les États-Unis et la Russie soumettront « dans les prochains jours » au conseil exécutif de cette organisation un plan détaillant les procédures pour la « destruction rapide » de l’arsenal syrien et une « vérification rigoureuse » de cette destruction.
Le rôle du Conseil de sécurité de l’Onu sera d’adopter une résolution renforçant le plan de l’OIAC. La résolution devra inclure des mesures de vérification, précise l’accord Kerry-Lavrov, et établira le rôle technique que peut jouer l’Onu (et les experts de ses États membres) dans l’élimination des armes chimiques. Le Conseil de sécurité passera régulièrement en revue l’application du plan. « En cas de non-application, incluant le transfert non autorisé ou l’utilisation d’armes chimiques par qui que ce soit en Syrie, le Conseil de sécurité devrait imposer des mesures sous le chapitre VII de la charte de l’Onu », stipule le communiqué russo-américain.
Un chapitre VII en sursis
En clair, le compromis trouvé par MM. Lavrov et Kerry prévoit un chapitre VII conditionnel. La menace de recours à la force n’interviendra que dans un deuxième temps, s’il y a manœuvre dilatoire ou nouvelle utilisation de gaz mortels. Si Bachar Al-Assad tente à nouveau de gazer la population, même à petite échelle, ou s’il essaie de faire passer des stocks à d’autres acteurs, le Conseil se réunira pour étudier une résolution « musclée », du type de celle que les Français souhaitaient immédiatement. Grâce à ces subtilités dans la formulation, John Kerry a pu dire pendant la conférence de presse commune à l’issue de leur rencontre que la résolution de l’Onu évoquerait le chapitre VII, alors que Serguei Lavrov assurait qu’il n’était pas question de menace pour l’instant. La France n’a pu qu’acquiescer du bout des lèvres, dans l’attente de la venue de Kerry à Paris pour lui communiquer l’accord.
Quand aux « acteurs » régionaux de la guerre contre la Syrie, ils ont été sommés de s’interdire toute aggravation du conflit.
On comprend le ressentiment de ces derniers exprimés ouvertement dans une série de déclarations marquées par la déception. Ils estiment qu’une occasion en or de renverser le régime de Bachar al-Assad, qui ne se répétera pas, vient de leur passer sous le nez. L’ancien Premier ministre libanais, Saad Hariri, s’est demandé si Washington aurait accepté le plan russe de sortie de crise si c’était Israël qui avait été victime d’une attaque chimique. Cependant, les experts estiment que l’action des dirigeants du Golfe est limitée par le refus des États-Unis de voir des armes trop perfectionnées finir entre les mains de groupes armés liés à Al-Qaïda qui combattent dans les rangs de la rébellion. « Les États-Unis ont toujours été là pour nous ces cinquante ou soixante dernières années, mais pas à présent. Les stratèges saoudiens doivent réfléchir à ces réalités nouvelles », argumente Jamal Khashoggi, qui dirige une chaîne de télévision appartenant à un prince de la famille royale saoudienne. La plupart des observateurs ne croient pas à une intervention militaire directe des pays du Golfe après que leur grand allié se soit retiré. « Ils ne lanceront évidemment pas de frappes eux-mêmes : ils n’en ont ni les forces ni les effectifs », résume un diplomate arabe, cité par l’AFP.
Fort de son succès diplomatique qui confirme le grand retour de son pays en tant qu’acteur incontournable sur la scène internationale, le président russe, Vladimir Poutine, a déclaré que la décision de Damas, jeudi, de rejoindre la Convention sur l’interdiction des armes chimiques devait être saluée comme un « pas important » vers le règlement de la crise syrienne. « Je pense que nous devons saluer cette décision de la direction syrienne », a déclaré M. Poutine. « Cela montre l’intention sérieuse de nos partenaires syriens de progresser dans cette voie », a-t-il encore dit. Le président chinois Xi Jinping, présent à ce sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), a répété le soutien de son pays à l’initiative lancée par la Russie pour placer sous contrôle l’arsenal chimique syrien et écarter la menace de frappes occidentales. « Nous soutenons l’initiative russe de transfert sous contrôle international des armes chimiques syriennes », a déclaré le président chinois. « La Chine soutient les efforts internationaux pour un règlement politique par des voies pacifiques », a-t-il ajouté. Le président iranien Hassan Rohani a adopté la même position. « L’initiative russe concernant le problème syrien, ainsi que les récentes démarches de la part de Damas nous poussent à espérer qu’une nouvelle guerre dans la région pourrait être évitée », a-t-il déclaré lors d’une réunion avec son homologue russe.
Le Yalta américano-russe ne se limite pas au seul dossier chimique. Les deux s’étaient également convenus, en présence de Lakhdar Brahimi, de se rencontrer à New York en marge de l’Assemblée générale de l’Onu le 28 septembre pour essayer de fixer une date pour la conférence de paix sur la Syrie. L’opposition syrienne portée à bout de bras par les monarchies du Golfe est ainsi sommée d’accepter. Le mot d’ordre tant et tant de fois brandi par les parrains de la contestation syrienne à savoir : « Bachar, dégage », est devenu caduc. On comprend la rage et le désespoir de cette opposition que les mauvaises langues qualifient de « cinq étoiles », en référence à ses conférences infructueuses tenues dans les grands hôtels de l’Europe et de Turquie. Cette même opposition, qui était réunie dans un hôtel turc pour élire un énième chef de gouvernement parachuté, a reçu la nouvelle de l’accord américano-russe, annoncé le même jour à Genève, comme une douche froide…