Il faut rappeler que le fondateur du mormonisme, Joseph Smith, a assigné parmi les missions de sa nouvelle Eglise, créée dans les années 1820, de permettre le retour des Juifs sur « leur » terre sacrée.
Les statistiques raciales et religieuses ne sont pas un tabou aux Etats-Unis. Il est donc assez facile de définir pour qui fait pencher le vote de telle communauté. Le vote juif est un excellent exemple car il existe, à l’instar de celui de toutes les autres composantes de la population américaine. Mais il réserve beaucoup de surprises et dément bien des idées reçues. A commencer par les raisons pour lesquelles les candidats lui accordent de l’importance, notamment Mitt Romney.
C’est une histoire assez emblématique que le New York Times a publié le 7 avril sous la plume de Michael Barbaro. Celui-ci relate une longue amitié, jusque-là peu connue, entre Mitt Romney, le plus-que-favori pour affronter Barack Obama lors des élections présidentielles du 6 novembre 2012, et l’actuel Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou.
Le reporter relate la rencontre des deux hommes en 1976, dans les bureaux du Boston Consulting Group où chacun venait d’être engagé comme conseiller d’entreprise. L’un, Romney, sortait de Harvard et l’autre, Netanyahou, du Massachussetts Institute of Technology, deux des meilleures universités du pays. « A l’époque la plus formatrice de leur carrière, écrit Barbaro, ils ont acquis l’un et l’autre leurs galons au cours des longues sessions hebdomadaires de brainstorming, en absorbant la même vision profondément analytique du monde. »
C’est également peu de temps après son entrée dans ce groupe que Benjamin Netanyahou a connu le drame personnel qui a participé à son engagement politique : la mort de son frère aîné, Yonathan, commandant de l’unité d’élite de l’armée israélienne, tué lors de la libération de cent otages d’un avion d’El Al détourné sur Entebbe, en Ouganda, par le Front de Libération de la Palestine allié aux Cellules Révolutionnaire allemandes. Un souvenir fort pour Mitt Romney également.
Le quotidien explique comment, durant plus de trente ans, ces deux hommes qui n’avaient initialement rien en commun, se sont suivis au cours de leurs carrières, se sont conseillés et ont construit une solide amitié. A tel point que Mitt Romney a déclaré récemment qu’il ne prendrait – s’il était élu en novembre – aucune décision politique concernant Israël sans consulter Mr. Netanyahou.
Or, l’un des points d’affrontement principal en matière de politique étrangère, entre Mitt Romney et son rival Barack Obama, est que le premier reproche au second trop d’atermoiements concernant le programme nucléaire de l’Iran et la nécessité d’une réaction forte. De là à envisager qu’une élection de Mitt Romney à la Maison Blanche pourrait signifier un feu vert à l’administration israélienne pour engager des opérations contre son voisin, il n’y a qu’un pas, que Martin S. Indyk, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Israël sous Clinton, franchit sans réserve, estimant que les déclarations de Romney impliquent une « sous-traitance de la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient à Israël ». Ce qui, souligne l’ambassadeur, « serait bien sûr inapproprié ».
Comment les juifs sont devenus démocrates
L’article du New York Times éclaire de manière intéressante un aspect possible de la prochaine diplomatie américaine. Mais il ne suscite guère de commentaires et surtout, il ne provoque, excepté dans quelques milieux convaincus de la « nocivité » du vote juif, aucun amalgame avec ce même vote juif qui émane d’une population représentant 1,7 % du total de la population américaine. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, celui-ci a très rarement été acquis aux Républicains au cours de l’Histoire des Etats-Unis.
Il faut remonter, en effet, à 1908 pour trouver une majorité de voix de l’électorat juif en faveur d’un candidat à la présidence, avec William Taft. Car, au cours des quarante années précédentes, les juifs d’Amérique n’ont pas pu évacuer le souvenir du General Ulysses Grant, lequel avait édicté une ordonnance d’expulsion des juifs des territoires qu’il contrôlait durant la guerre civile, pour se venger suite à la découverte qu’il avait faite à propos de son père, lequel avait incité des marchands de tissu de coton juifs à quitter le Sud pour aller s’établir plus au Nord du pays. Prenant les juifs, pourtant en très petit nombre, comme boucs émissaires de la contrebande généralisée dans le pays et pour affirmer son image de combattant pour les droits civiques des Noirs américains, Grant couvrira des exactions anti-juives avant que le président Abraham Lincoln, depuis Washington, ne révoque son ordre quelques jours plus tard. Grant devint par la suite le 18e président des Etats-Unis. Son attitude à l’encontre des juifs n’est pas pour rien dans la propagande antisémite d’une petite partie des Noirs radicaux au cours du 20e siècle, pratiquant un amalgame infondé entre les esclavagistes et les juifs.
Après la parenthèse Taft de 1908, décevante pour eux, les juifs américains se sont de nouveau massivement et systématiquement prononcés pour le candidat démocrate. Roosevelt a ainsi recueilli 90 % de leurs suffrages, Kennedy 82 %, Clinton 80 % et Gore 79 %, et l’actuel président Obama 78 %. La plupart des sondages actuels indiquent par ailleurs que l’électorat juif soutient la réélection d’Obama.
Mais il est plus intéressant de souligner, ici, que les présidents américains perçus par l’opinion comme les plus sûrs soutiens d’Israël sont ceux qui ont été les moins soutenus par les juifs américains : 35 % pour Nixon en 1972, 35 % pour Bush (père) en 1988 et 11 % en 1992, puis 19 % pour Bush (fils) en 2000 et 24 % en 2004, enfin, 22 % pour McCain en 2008.
Les mythes universels de la politique
Alors pourquoi Mitt Romney tente-t-il, ces derniers temps, de promouvoir son amitié avec Benjamin Netanyahou et de souligner avec insistance sa divergence avec Obama au sujet de l’Iran ?
Une seconde explication, puisqu’on ne peut la trouver du côté du « vote juif », pourrait selon certains tenir à l’importance du lobby pro-israélien en Amérique. Là encore, c’est un fourre-tout de la fantasmagorie populaire. En effet, les vingt composantes du lobby pro-Israël aux Etats-Unis le situent au 33e rang d’une liste qui en compte 50. Ce lobby contribue à hauteur de 3,7 millions de dollars au financement du Congrès, repartis à 70 % pour les Démocrates contre 30 % pour les Républicains. La moyenne par sénateur et membre de la Chambre des Représentants est en chute libre depuis 3 ans. Le principal bénéficiaire des fonds de ce lobby est Barack Obama (271 261 dollars pour 2011-2012).
A titre de comparaison, le lobby des avocats verse 27,4 millions de dollars au Congrès, celui des retraites près de 24 millions ou celui des assureurs 14 millions de dollars.
Sur le plan de la représentation politique, on compte 12 sénateurs juifs sur 100 au total (repartis en 10 Démocrates et 2 Républicains) et 27 Représentants a la Chambre sur 435 au total (dont 26 Démocrates et 1 Républicain).
Alors, si ce n’est le poids de l’électorat ni celui de l’establishment, en quoi le vote des juifs américains peut-il intéresser Mitt Romney? La réponse, aussi surprenante soit-elle, tient à la religion.
Une entente sacrée
Une très intéressante étude publiée par deux professeurs réputés aux Etats-Unis, l’un de Harvard, Robert D. Putnam et l’autre de Notre Dame, David E. Campbell, montre sans surprise que les mormons – la communauté religieuse de Mitt Romney – jouissent d’une très faible popularité parmi le reste des Américains et se trouvent loin derrière les chrétiens évangéliques, les catholiques et les juifs. Ils ne laissent derrière eux « que » les athées et les musulmans. En revanche, et c’est là une vraie surprise, les mormons arrivent en tête aux yeux des juifs. Certains ont avancé que cette popularité tenait au soutien fervent que les mormons montrent envers Israël. Mais c’est démenti par le cas des chrétiens évangéliques, eux aussi tout attachés à Israël sans pour autant s’attirer la moindre sympathie des juifs, qui leur préfèrent même… les musulmans.
Dans le Wall Street Journal, les deux chercheurs expliquent que selon eux, « la chaleur des juifs envers les mormons provient de la solidarité envers un autre groupe qui est lui aussi à la fois petit (numériquement) et visé par l’intolérance. Les juifs et les mormons sont les deux groupes les plus susceptibles de voir dénigrer leurs croyances religieuses ». Sur un plan plus ancien encore, il faut rappeler que le fondateur du mormonisme, Joseph Smith, a assigné parmi les missions de sa nouvelle Eglise, créée dans les années 1820, celle de permettre le retour des juifs sur leur terre sacrée.
Il n’en demeure pas moins, comme le souligne Michael Medved sur Daily Beast www.thedailybeast.com , que les juifs demeurent actuellement ancrés à 64 % dans le Parti démocrate et qu’ils ont en horreur, dans ce pays, tout mélange de la politique avec la religion. Concernant la position de Mitt Romney à ce sujet, le journaliste note qu’il a été plus victime de la rhétorique de son parti qu’il n’en n’est à l’origine. « Il a essayé, écrit-il, d’éviter au mieux la combinaison du prêche et de la politique. Il se peut bien que cela ne l’aide pas à bâtir sa popularité parmi les électeurs évangéliques (lors des prochaines primaires de Pennsylvanie et du Texas) mais cela le rend sans conteste plus viable au regard des électeurs juifs que n’importe quel autre de ses adversaires dans les Primaires ».
* Stéphane Trano
Stéphane Trano, 43 ans, est journaliste politique et essayiste. Il est installé à Chicago, souvent considérée comme la plus « américaine » des grandes villes des Etats-Unis, au rang desquelles elle se classe troisième. Porte du Midwest où se côtoient les géants de l’industrie, la bourse mondiale des matières premières et les écoles les plus réputées d’économie ou d’architecture, Chicago se trouve également au carrefour des états de la « Corn Belt » – fortement ruraux – et nombre de scrutins y ont déterminé l’issue des élections à la présidence des Etats-Unis. C’est aussi le fief de Barack Obama et cœur de son dispositif pour sa réélection en novembre 2012.
https://www.marianne2.fr/obj-washington/Mitt-Romney-Israel-et-les-Juifs-Americains_a32.html