C’était, il y a presque un an, Hamadi Djebali, nouveau premier ministre tunisien, présentait, à l’Assemblée constituante réunie au Bardo la composition de son gouvernement. Il annonce : « Tarak Dhiab, ministre de la Jeunesse et des Sports. » Une députée intervient. Elle estime que Tarak Dhiab « n’a ni les diplômes, ni l’expérience politique pour occuper un tel poste ».
En fait, le parti Ennahdha s’était offert une belle opération démagogique en désignant à un poste de ministre l’ex-gloire du football tunisien. Ancien sociétaire de l’Espérance sportive de Tunis et ancien membre de l’équipe de Tunisie, Tarak Dhiab a disputé, en 1978, le Mondial argentin et a participé, en 1988, au tournoi olympique de Séoul. Il a raccroché en 1990 pour entamer une juteuse carrière de consultant sportif auprès de la chaîne qatarie Al-Jazeera Sport.
S’il a pratiqué le foot à un très haut niveau, et s’il s’y connaît pour parler du jeu, Tarak n’a pas une vision globale du sport qui lui permette de le « révolutionner », comme il le prétend. Son talon d’Achille : l’absence d’idées et de projet. Le nouveau ministre va en effet, et d’emblée, multiplier les déclarations malencontreuses et se révéler comme un militant zélé d’Ennahdha. Il navigue à vue, comptant sur son intuition.
Ainsi le football tunisien brûle-t-il, otage des groupes radicaux de supporters (il est abonné à la violence depuis janvier 2011) ; ainsi les clubs sont-ils en pleine récession (ils ne bénéficient plus des mannes du pouvoir et leurs recettes fondent à vue d’œil)… Bref, il y a urgence à réagir et à rompre avec les pratiques du passé. Mais Tarak se contente de traiter les ultras de « criminels » et de décréter le huis clos dans les stades, d’où des rencontres sportives sans spectateurs. Une situation ubuesque qui ne désamorce pas les tensions.
En Afrique, la carrière d’un ministre de la Jeunesse (terme superflu, car sans portée concrète) et des Sports dépend étroitement des performances des champions locaux. Quand le poste ne sert pas de voie de garage à un notable politique en perte de vitesse, il est attribué à un jeune loup dont on récompense la fidélité et que l’on veut mettre à l’épreuve.
Peu importe que l’élu n’ait jamais pratiqué le sport, qu’il soit un profane en la matière, qu’il ne possède aucun bagage technique : l’essentiel est qu’il se débrouille pour gonfler le muscle patriotique, qu’il veille au respect du culte du « sport, religion d’État », qu’il entretienne la mystification du « sport apolitique » et qu’enfin, par champions interposés, il sauvegarde l’ordre social et stimule le consensus national…
Le ministre qui parvient à maîtriser la balle et à l’envoyer au fond des filets, c’est-à-dire à gagner, par équipe nationale interposée, garantit son emploi. Celui qui manque contrôles et amortis et expédie le cuir dans les décors échappera difficilement à la solitude des has been.
Nous avons remonté le temps à la recherche de ceux qui ont tenté, avec plus ou moins de bonheur, de faire l’histoire du sport africain. Peu nombreux, ils ne sont pas passés inaperçus.
Lamine Diack (Sénégal)
Ancien champion de saut en longueur, ancien entraîneur de football, Lamine Diack est désigné en juin 1969 par le président Senghor la tête du commissariat général aux Sports. Il concocte une réforme à plusieurs volets : fusion des associations sportives, intéressement des clubs aux recettes des compétitions, multiplication des championnats régionaux, formation de cadres, assistance matérielle aux sélections nationales, mise sous tutelle des fédérations en sportives… La réforme fait flop.
Lamine Diack démissionne en 1972. Plus tard, il enlève la mairie de Dakar avant d’accéder à la vice-présidence de l’Assemblée nationale. Il conquiert la présidence de la Confédération africaine d’athlétisme et se retrouve en 1999 à la tête de la Fédération internationale d’athlétisme. Il en est à son quatrième mandat.
Ibrahim Mbombo Njoya (Cameroun)
L’actuel sultan de Foumbam a débuté, en 1964, comme commissaire général à la Jeunesse et aux Sports. De 1965 à 1970, il est ministre adjoint à l’Éducation nationale chargé de la Jeunesse et des Sports. C’est lui qui décroche pour le Cameroun l’organisation de la 8e Coupe d’Afrique des nations en 1972. Toutefois, il ne l’organisera pas, car démis de ses fonctions.
De 1970 à 1983, il est diplomate. Il revient au Sport en juin 1983 pour un mandat de trois ans. De nouveau, il change de portefeuille et récupère le Sport en septembre 1990.
Ibrahim Mbombo Njoya n’était pas un idéologue du sport, mais un pragmatique. C’est lui qui a édifié pratiquement toutes les structures actuelles, du moins celles qui fonctionnent du Cameroun. Il a su bien gérer les affaires du ballon et ainsi que l’équipe nationale des Lions indomptables, mais il n’aura pas réussi à démocratiser la Fédération camerounaise de football.
Jamel Houhou (Algérie)
Abreuvé à la source du sport socialiste, version Allemagne de l’Est et Cuba, le ministre Houhou promulgue, le 29 juin 1977, un code de l’Éducation physique et du Sport. Le 10 juillet, il dissout les associations sportives civiles avant de les faire prendre en charge par les entreprises d’État ou les Assemblées populaires communales. Les clubs sont débaptisés.
La « révolution Houhou » semble marcher. Son auteur perd rapidement le sens de la mesure et il intervient dans les domaines techniques du sport. Il exploite la qualification de l’Algérie pour le Mondial 1982 qu’il attribue à sa réforme de 1977. En janvier 1982, un remaniement ministériel l’emporte. Aujourd’hui, « la révolution Houhou » est passée à la trappe. L’État a brutalement mis fin à son assistanat. Le sport socialiste s’est effondré.
Laurent Dona Fogo (Côte d’Ivoire)
Jeune loup de la politique bien coté auprès du Vieux (le président Houphouët-Boigny), l’ancien directeur de Fraternité matin, promu en 1978 ministre de la Jeunesse et des Sports, ne manque ni d’enthousiasme ni de moyens pour réaliser son ambition : réorganiser le football ivoirien. Hélas, pendant dix ans, il ne récolte que des « vestes ». Il recourt même aux pratiques fétichistes. En vain. L’échec est toujours au rendez-vous. Il fait ses adieux au portefeuille en 1988
Abdelatif Semlali (Maroc)
Champion de la longévité, feu Abdelatif Semlali a été ministre de 1981 à juillet 1992. Sa première tâche est de redresser la situation de l’équipe nationale du Maroc avant de s’attaquer à l’organisation des XIes Jeux méditerranéens de Casablanca en 1983. Il remplit sa mission et tire profit des exploits olympiques, en 1984, des coureurs Nawal al-Moutawakil et Saïd Aouita.
Au Mexique, en 1986, le Maroc accède au deuxième tour du Mondial. Cette performance incite Abdelatif Semlali à présenter la candidature de son pays à l’organisation de la Coupe du monde. En juillet 1988, le Maroc est devancé par les États-Unis pour l’accueil de l’édition 1994. Quatre ans plus tard, il est aussi battu par la France pour l’édition 1998. Deux échecs qui font baisser la cote de Semlali, contraint de jeter l’éponge en 1992. Il s’est éteint le 19 juin 2001.