L’ancien (et le dernier) président de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbachev, 87 ans, a reçu une délégation de trente Américains, au cours d’une visite de deux semaines en Russie organisée par le Center for Citizens (Centre pour les Citoyens). « Nous devons nous inquiéter des relations entre nos deux pays, a-t-il déclaré. Les choses ne peuvent pas continuer comme ça ! »
Le président Gorbachev a rappelé ses rencontres avec Donald Reagan, après six ans de mauvaises relations et d’hostilité. Au cours de la première rencontre au sommet, Reagan avait présenté une longue liste d’accusations contre l’Union soviétique ; Gorbachev avait répondu par ses propres accusations contre les États-Unis. Après cette réunion, Gorbachev avait déclaré : « Ce n’est pas un aigle, c’est un dinosaure », tandis que Reagan traitait Gorbachev de « communiste fanatique ».
Lors de la rencontre suivante, Reagan continua de faire la leçon à Gorbachev. Celui-ci, après l’avoir écouté parler pendant un quart d’heure, l’interrompit : « Ca suffit ! Si vous voulez parler d’égal à égal, nous pouvons aller très loin. Les divergences peuvent être surmontées. Les problèmes peuvent être résolus. Mais d’égal à égal ».
Reagan demanda comment l’Union soviétique répondrait si les États-Unis étaient menacés par quelque catastrophe naturelle. Lorsque Gorbachev lui répondit que son peuple serait désireux d’aider, et non d’en tirer avantage, l’ambiance changea.
Gorbachev a rappelé sa propre expérience amicale de ses contacts avec des Américains moyens. Il a suggéré que, peut-être, les États-Unis ont besoin de leur propre perestroïka. Il nous a rappelé les propos du président Kennedy : « Nous avons besoin de paix, mais pas de la Pax Americana… pas seulement la paix pour les Américains, mais la paix pour toutes les femmes et tous les hommes. »
Selon Gorbatchev, « la situation actuelle n’est pas juste. Nous devons changer ça. Arrêtons de nous provoquer, arrêtons de déchirer d’autres pays. Nos deux pays sont toujours au centre de la paix mondiale. Nous avons besoin de paix pour résoudre d’autres problèmes. 1% du monde contrôle 90% de la richesse mondiale. La classe dirigeante est satisfaite, mais les choses ne peuvent plus continuer comme ça. Les budgets sentent la poudre de canon, on cultive la peur. Avec pour résultat, une nouvelle course à l’armement. »
« Les États-Unis veulent-ils seulement soumettre la Russie ? » a demandé l’ancien président, se référant à l’histoire de la Russie, l’invasion par la France au début du 19ème siècle, et de l’Allemagne en 1940. « C’est un pays qui ne se soumettra jamais, et personne ne sortira gagnant d’une guerre nucléaire. »
Les trente membres de la délégation ont eu des réunions d’information avec de nombreuses personnes leur permettant d’acquérir une meilleure compréhension de la Russie moderne et de ses relations avec les États-Unis et le monde. Elle a eu une autre rencontre intéressante avec Vladimir Kozin, un membre de l’Académie des Sciences militaires.
Vladimir Kozin est un spécialiste du contrôle des armes. Il a travaillé sur la question du contrôle des armes depuis les années 1970. Selon Kozin, les Russes considèrent qu’ils sont encerclés par l’OTAN. Des seize pays frontaliers de la Russie, huit ont des sentiments anti-Russes. Il a souligné que le budget de l’armée américaine est douze fois plus important que celui de la Russie, et en augmentation constante.
Selon Kozin, dire que la Russie a interféré avec les élections américaines est une « fable ». Ce qui ne l’est pas, en revanche, ce sont les énormes sommes dépensées par les États-Unis pour influencer les élections en Russie dans le passé et pour financer 400 organisations non gouvernementales (ONG) qui ont participé à la campagne de déstabilisation en Ukraine qui a conduit au coup d’État de 2014.
Concernant les points clé qui ont émergé de la crise ukrainienne, Kozin a noté que la Crimée faisait partie de la Russie depuis 1783. Il a ajouté qu’en dépit de la présence de 16000 soldats russes (qui étaient en Crimée dans le cadre de l’accord sur la base navale de Sébastopol) et de 18000 soldats ukrainiens, le plébiscite sur la réunification de la Crimée avec la Russie s’est déroulé sans violence, avec un fort taux de participation et un vote écrasant en sa faveur.
De même, concernant les hostilités dans l’est de l’Ukraine, Kozin a demandé pour quelles raisons le conflit n’a éclaté que parce que la population russe de Crimée a résisté au renversement du président élu Viktor Yanukovych et exigé de Kiev une certaine forme d’autonomie.
Si l’Écosse peut envisager la sécession du Royaume Unie et la Catalogne, de l’Espagne, pourquoi le Donbass (est-ukrainien) n’aurait-il pas le droit à plus d’autonomie ? Pourquoi le président ukrainien, Petro Poroshenko, a-t-il préféré le conflit armé à des négociations avec les dissidents ?
Selon Kozin, il est vital de réunir un sommet sur le contrôle des armes entre les présidents Trump et Poutine. Nous devrions travailler, pense-t-il, à l’élimination complète des armes nucléaires d’ici 2045. Entre temps, le chemin le plus facile pour réduire les tensions et le risque de guerre, devrait être un accord sur « Pas de première utilisation des armes nucléaires ».
Kozin concluait, évaluant brièvement les 100 jours de Trump, qu’aggraver cette réalité est « le plus haut degré de méfiance entre Washington et Moscou, que les Américains ont produit et nourri en permanence. Un cercle vicieux a émergé dans les relations internationales entre armes et confiance. Il est clair qu’un tel phénomène irrationnel ne peut fonctionner indéfiniment. »
Que ce soit Kozin ou Gorbatchev, le message est clair : nous devons faire quelque chose pour restaurer le dialogue et arrêter le glissement vers une tension et un danger plus graves.
*Rick Sterling est un journaliste américain d’investigation collaborant à Consortium News
Consortiumnews
https://consortiumnews.com/2017/05/15/gorbachev-warns-of-growing-danger/
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne
Gorbatchev aux Américains à propos de la Russie : « C’est un pays qui ne se soumettra jamais, et personne ne sortira gagnant d’une guerre nucléaire. » Photo DR