C’est dans un palais de Baabda impeccablement restauré, jouissant d’une vue époustouflante sur Beyrouth, sur la mer et sur le Mont-Liban, que m’a reçu Michel Aoun, 82 ans, élu président de la République du Liban en octobre 2016 (par tradition, c’est toujours un chrétien maronite qui occupe cette fonction). La dernière fois que je l’avais interviewé, c’était dans ce même palais, en avril 1989. Il y avait de la poussière et des éclats de verre partout ; le bureau du « président par intérim » avait été transformé en bunker à coups de sacs de sable, pour éviter qu’un obus syrien ne vienne le tuer. Le général Aoun avait en effet lancé sa « guerre de libération » contre l’occupant syrien, dont il sortira perdant et exfiltré vers la France en octobre 1990. Il ne retournera dans son pays qu’en avril 2005. Le général fait ce lundi 25 septembre 2017 une visite d’Etat en France. Mon entretien à Beyrouth avec le président du Liban
![](https://www.afrique-asie.fr/wp-content/uploads/2017/09/Michel-Aoun-Nasrallah-650x365.jpg)
Michel Aoun et le Hezbollah : « Le Hezbollah n’utilise pas ses armes dans la politique intérieure. Elles ne servent qu’à assurer notre Résistance à l’Etat d’Israël, qui occupe toujours une partie de notre territoire (le territoire de 30 km2 des fermes de Chebaa), et qui refuse d’appliquer les résolutions de l’Onu sur le droit au retour chez eux des Palestiniens qui sont venus se réfugier chez nous durant la guerre de 1948. Avec 600 habitants au km2, notre pays est l’un des plus denses du Moyen-Orient. Accueillir tous ces réfugiés chez nous est une charge bien lourde pour l’Etat libanais ! ». Ici, en 2014, avec Hassan Nasrallah, le SG du Hezbollah
RG Partout en Orient, les chrétiens sont massacrés ou chassés. Quel est l’avenir des chrétiens du Liban ?
Michel Aoun Ils se sentent bien, pour le moment. Je pense que les guerres civiles, qui ravagent actuellement la Syrie et l’Irak, ont eu beaucoup de conséquences. Je vois souvent les dirigeants arabes. A Damas (où le gouvernement baasiste me semble avoir gagné la guerre), à Bagdad, au Caire, et dans les autres capitales arabes, on me tient le même langage : tous sont attachés au maintien de la présence chrétienne au Liban, et même ailleurs dans le monde arabe. L’avenir est bien sûr toujours imprévisible. Le Liban est resté calme pendant toute la durée de la guerre civile en Syrie, malgré les discours incendiaires qu’on trouvait dans la bouche de maints politiciens libanais, d’un bord comme de l’autre. Nous avons réussi à conserver notre unité nationale.
Combien de Libanais chrétiens vivent à l’étranger ? Les appelez-vous à rentrer au pays ?
La diaspora libanaise compte des millions de chrétiens. Mais nous sommes actuellement en crise économique et il faudra attendre que la situation s’améliore pour inviter ces Libanais à revenir et à trouver du travail dans le pays.
Pour protéger à long terme la communauté chrétienne libanaise, il y a toujours eu deux tendances, ceux qui prêchaient sa meilleure intégration au sein de l’océan sunnite environnant, et ceux qui, comme vous, prônaient une stratégie d’alliance des minorités au Moyen-Orient. Pour cela, vous avez, en février 2006, à l’Eglise Saint-Michel de Beyrouth, contracté une alliance avec le Hezbollah, qui représente la communauté chiite. On vous a alors accusé de trahison. Estimez-vous que l’Histoire vous a donné raison ou non ?
Modestement, oui. Parce que je recherchais l’équilibre. Il y a parfois eu, au sein du monde sunnite, des tendances à l’hégémonie. Ce n’était pas une alliance mais une entente. Les Libanais étaient en situation de clivage politique. Grâce à cet accord de l’Eglise Saint-Michel, nous avons pu échapper à un conflit interne au Liban. Sincèrement, je crois que j’ai sauvé l’Etat libanais.
Quel deal avez-vous alors passé avec Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah ?
La substance du deal est la suivante :
Premièrement, les Libanais doivent régler tous leurs différends par le dialogue, et seulement le dialogue ; dans un climat de transparence et de franchise.
Deuxièmement, la démocratie consensuelle doit redevenir la base du système politique au Liban.
Troisièmement, les parties à l’accord s’engagent à respecter en tous points la Constitution libanaise et le pacte national (qui, depuis 1943, veut que le chef de l’Etat soit toujours un chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite, et le président du Parlement un chiite).
Qu’avez-vous gagné avec cet accord ?
Le Hezbollah a modifié sa ligne politique et a respecté la souveraineté libanaise. Nasrallah l’a dit dans un discours : le Hezbollah a renoncé à son projet d’instaurer une « république islamique » au Liban.
La loi électorale adopte désormais la proportionnelle, garantissant une représentation juste. Nous avons aussi réussi à limiter la puissance de l’argent politique au Liban et permettre aux Libanais de l’étranger d’exercer leur droit de vote. Cela été fait. Ils pourront voter en 2022.
Il faut aussi que vous vous souveniez que cet accord nous a permis que reviennent au Liban tous les chrétiens qui s’étaient réfugiés en Israël (après le retrait inopiné de Tsahal du sud Liban en mai 2000).
Malgré tout cela, le Hezbollah a déclenché, le 12 juillet 2006, une guerre contre Israël, sans vous consulter !
C’est un incident de frontière classique, qui a dégénéré, de la faute d’une surréaction israélienne. Vous me dites que le Hezbollah avait violé ce jour-là le territoire israélien. C’est possible. Mais des incidents de ce genre, il y en a très fréquemment ! Il y a quelques jours, des chasseurs-bombardiers israéliens ont franchi le mur du son au-dessus de Saida (ville côtière au sud de Beyrouth), violant notre espace aérien et provoquant partout des bris de glaces.
Entretenez-vous toujours des contacts avec Nasrallah ?
Oui, lorsque c’est nécessaire. Mais pas de contacts directs depuis mon élection.
Toutes les milices libanaises ont désarmé à la fin de la guerre civile de 1975-1990. Pourquoi ne demandez-vous pas au Hezbollah de se désarmer également ?
Le Hezbollah n’utilise pas ses armes dans la politique intérieure. Elles ne servent qu’à assurer notre Résistance à l’Etat d’Israël, qui occupe toujours une partie de notre territoire (le territoire de 30 km2 des fermes de Chebaa), et qui refuse d’appliquer les résolutions de l’Onu sur le droit au retour chez eux des Palestiniens qui sont venus se réfugier chez nous durant la guerre de 1948. Avec 600 habitants au km2, notre pays est l’un des plus denses du Moyen-Orient. Accueillir tous ces réfugiés chez nous est une charge bien lourde pour l’Etat libanais !
Le problème palestinien justifie-t-il pour autant les armes du Hezbollah ?
On ne peut pas priver le Hezbollah de ses armes tant qu’Israël ne respectera pas les résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu. Israël aurait le droit de faire la guerre comme il veut et quand il veut, tandis que les autres n’auraient pas le droit de garder des armes pour se défendre ? Non, ce n’est pas possible !
L’armement des chrétiens s’impose-t-il donc au Liban?
Non car nous renforçons l’armée, pour protéger tout le pays, y compris les chrétiens. La paix doit être fondée sur le droit et trouver une solution au problème palestinien. Pourquoi ne déclare-t-on pas la solution des deux Etats ? La solution dépend d’Israël, qui continue à user de ses chars et de son aviation. Toute paix doit se baser sur le droit et il faut renoncer aux solutions militaires.
Quelle est votre stratégie par rapport à la guerre en Syrie ?
Garder les frontières libanaises pour nous protéger du terrorisme ; distanciation par rapport aux problèmes politiques internes à la Syrie.
Que représente la France pour les Libanais ?
Nous devons beaucoup à la France, nos écoles, nos universités francophones, nos missions religieuses qui font aussi beaucoup pour l’enseignement du français. Nous sommes un pays francophone et fiers de l’être.
De quoi parlerez-vous avec le président Macron ?
De plein de choses Mais je lui demanderai certainement d’accroître la coopération culturelle et administrative française avec le Liban.
Et la coopération militaire ?
La coopération militaire aussi.
Qu’est-il arrivé au contrat DONAS négocié par le président Hollande qui prévoyait la livraison d’armes françaises à l’armée libanaise, financé à hauteur de 4 milliards de dollars par l’Arabie saoudite ?
L’Arabie Saoudite est revenue sur sa signature et elle n’applique pas le contrat.
Le regrettez-vous ?
Non, non, je ne regrette rien
Source : Le Figaro
rgirard@lefigaro.fr