En exclusivité pour les lecteurs de notre site, la chronique de Jacques-Marie Bourget à découvrir en avant-première.
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En janvier 2003 l’éditorialiste du Wall Street Journal, révéré bréviaire de la finance, est de bonne humeur. Il sait que George Bush va faire la guerre à l’Irak, que c’est une bonne décision pour le monde des affaires… Donc il plaisante. Aux dénégations de Bagdad, qui jure ne pas détenir d’armes de destruction massive (ADM), il réplique de sa joyeuse plume : « Si vous croyez l’Irak, c’est que vous êtes un inspecteur suédois. » Le journaliste pousse au crime fait allusion à Hans Blix, un diplomate viking chargé d’inspecter les arsenaux de Saddam. Mandaté par l’Onu, l’audacieux a conclu que ses entrepôts étaient vides de toutes ADM. Blix ayant dit la vérité, le parti de la guerre devait donc l’exécuter. Ce petit rappel est un pense-bête. Un nœud fait au mouchoir de l’Histoire : le mensonge est l’arme première des Américains, dès qu’il leur faut justifier une guerre qui leur convient.
À Saïgon, déjà…
En 1964, plutôt néophyte, je fais un bref reportage au Vietnam. En bon crétin débarquant à Saïgon, je crois encore que ce sont les communistes d’Hanoï qui ont provoqué cette guerre en canonnant deux vaisseaux américains dans le golfe du Tonkin… C’est au bar de l’hôtel Continental que des confrères, informés donc habités par le doute, me révèlent cette vérité : « Cette attaque du golfe du Tonkin n’a jamais existé. C’est un bobard de Washington, la justification de son entrée en guerre. » Depuis ce jour, quand les communiqués parlent de « bombes » ou de « canons », d’« agression », j’ai juré d’être méfiant.
Dix années plus tard le tour-opérateur, celui qui organise les guerres du monde, me débarque au Liban. Là, avec mon ami le photographe Marc Simon, nous allons vivre heure par heure, et au plus près, le massacre des camps de Sabra et Chatila. La question qui s’impose est toute bête : « Comment les Américains, après le serment qui les engage à protéger les Palestiniens, ont pu laisser faire les barbares ? » Israël, qui assiège alors Beyrouth et encercle les bidonvilles où survivent ces réfugiés, affirme être hors de cause… alors que, épinglé au mur, nous retrouvons un plan établi par l’état-major hébreu : il programme la liquidation de Sabra et Chatila…
Le massacre consommé, Ronald Reagan affecte d’être « fou de rage ». Tandis qu’Ariel Sharon regarde les mouches voler, celles de cadavres. Que s’est-il passé ? Il va falloir attendre septembre 2012 pour comprendre l’implication de Washington dans ce qui a été qualifié d’« acte de génocide » par l’Assemblée générale de l’Onu. Seth Anziska, un chercheur américain de Columbia, découvre des documents oubliés dans le sommeil des archives israéliennes. Nous voyons Ariel Sharon, ministre de la Défense israélien, affronter Morris Draper, envoyé spécial de Reagan pour le Moyen-Orient. Alors que le diplomate presse les Israéliens de quitter Beyrouth, Sharon bataille avec Draper. Et refuse d’obéir. Sharon : « On va les tuer, nous. Il n’en restera aucun… » Draper : « Nous ne sommes intéressés à sauver aucun de ces gens… Bon, allez-y, tuez les terroristes, et vous partirez ensuite. »
Oui à l’extermination à Sabra et Chatila
Si un rappel est nécessaire, ici il faut savoir que, dans la bouche de Sharon, tout Palestinien, même un enfant, est un « terroriste ». Bilan, entre 1 000 et 2 000 morts et disparus. Des femmes, des gosses, des vieux égorgés, sans compter les tortures et les viols. L’administration américaine a dit oui à l’extermination. Reste, gravé dans le faux marbre de l’Histoire officielle, que le massacre de Sabra et Chatila a été commis par une bande de phalangistes en colère. Certains crimes s’oublient mieux que d’autres.
En avril 1999, comment échapper à la une du Monde ? Elle attire l’attention avec son gros titre sur les « 700 000 fantômes disparus au Kosovo ». Entre les mots, comprenez 700 000 morts… Ce massacre n’est donc pas une bagatelle. Le 25 mars l’Otan, c’est-à-dire les États-Unis, a décidé – « pour préserver les Kosovars d’un génocide » – de faire la guerre à la Serbie. Pour la première fois dans ce « conflit des Balkans », je décide de voyager vers un Kosovo réputé « inaccessible à la presse ». Ce qui est faux puisque des équipes de journalistes grecs sont installées à Pristina depuis que pleuvent Tomahawks et autres missiles. Mais les Grecs sont orthodoxes, comme les Serbes… donc « pas crédibles », dit BHL.
Pourtant, dans la capitale kosovare je ne trouve pas le stade de foot décrit comme un « camp de concentration » à la Pinochet, ni les dizaines de milliers de morts comptés par Le Monde. Rien qu’une espèce de drôle de guerre, où la plus grande violence tombe du ciel otanien. Depuis Paris, puisque je ne trouve pas les cadavres annoncés par la presse, on me conseille d’aller les chercher dans les puits de mine… Visités, ces puits livrent la vérité : pas de corps engloutis. En réalité, dans une opération de reprise en main de l’Europe abandonnée par Moscou, les « Otan-Unis » ont inventé un « génocide ». Il était indispensable pour justifier la mise au pas d’une Serbie trop russophile. Règlements de compte entre mafias kosovares, actes des milices, victimes de tirs militaires : l’Onu a établi que cette ultime crise des Balkans, celle qui a justifié le bombardement de Belgrade et des ponts du Danube, a fait 3 500 morts, tous Serbes ou Albanais du Kosovo. Sans compter la mort d’un pays, la Serbie.
Dites Saddam et tuer 400 personnes
En février 1991, le train de l’enfer, celui qui donc va d’une guerre à l’autre, fait un stop à Bagdad. La planète en haleine suit cette fois la « guerre du Golfe ». À l’aube du 13 février, un ami irakien me sort du lit : « Les Américains ont bombardé un abri noir de monde, c’est un massacre. » Le bunker d’Al-Amiriya est l’un des 17 shelters (abris) construits à Bagdad par une société norvégienne. Le but, à l’origine, était de protéger la population contre les arrivées de missiles iraniens. Aujourd’hui c’est pour se protéger des bombes de l’Otan, et de celles de la « communauté internationale » que le peuple de Bagdad est aux abris. La bombe a rendu le béton aussi brûlant que le creuset d’un haut-fourneau. Après avoir pénétré de quelques pas dans cette forge, il faut aussitôt faire demi-tour pour respirer. Les pompiers irakiens vont mettre deux jours à sortir le charbon de tous ces corps. Environ 400, surtout des femmes et des enfants. L’argument américain, pour ce crime-là ? La volonté de tuer Saddam Hussein qui, affirment les arracheurs de dents, « se trouvait à l’intérieur ». Faux argument puisque les as de la CIA et de la NSA savaient que le raïs ne mettait jamais un pied dans ce genre d’abri, puisqu’il avait les siens. Mais quel progrès de pouvoir tester le largage, depuis un avion « furtif », d’une bombe capable de percer deux mètres de béton ! Une première. Un petit pas pour la guerre. Un grand pas pour l’inhumanité.