Le mystère n’est pas près d’être levé sur les circonstances du coup de feu qui a visé le président Mohammed Abdelaziz, le 13 octobre, le contraignant à effectuer un séjour médical d’urgence à l’hôpital militaire de Percy, en France. Officiellement il s’agirait d’une méprise, qualifiée d’« incident ». Le ministre mauritanien des Affaires étrangères, Hamadi Ould Hamadi, a expliqué que le président avait été touché légèrement au bras par un tir d’un poste mobile de contrôle de l’armée qui n’avait pas été informé de son passage. Difficile à admettre pour la population qui vit depuis plusieurs mois au rythme de crises à répétition entre la présidence et l’opposition, dans une atmosphère rendue plus lourde par l’affirmation d’un islamisme politique émergent à l’intérieur et la persistance des menaces terroristes aux frontières.
Et s’il s’était plutôt agi d’une mission ultrasecrète, les forces de sécurité étant tenues habituellement informées, à la minute près, du passage du cortège présidentiel tout au long de son parcours ? En outre, le trajet est sillonné de voitures ouvreuses assurant sa sécurité à distance. Des rumeurs persistantes courent à Nouakchott selon lesquelles il serait question d’un attentat, le énième visant le président Abdelaziz, arrivé lui-même au pouvoir en 2008 à la suite d’un putsch contre son prédécesseur démocratiquement élu. Il a été confirmé par les urnes en 2009, lors une élection controversée.
Sur un point au moins, la version officielle s’est rapidement révélée inexacte. Les blessures infligées au chef de l’État ne se limitaient pas à une égratignure au bras droit. Le tireur a atteint sa cible en plusieurs endroits, une balle a notamment atteint le dos et traversé l’abdomen, ce qui explique le transfert d’urgence en France. Les Mauritaniens n’ont pas plus été convaincus par les assurances que leur a prodiguées, d’une voix qui se voulait ferme, leur président, apparu sur les écrans de la télévision nationale couché sur le dos, entièrement couvert d’un drap blanc, le visage marqué et pâle. « Je veux les rassurer sur ma santé après cet incident commis par erreur par une unité de l’armée, sur une piste non goudronnée dans les environs de Tweila », à 40 km de Nouakchott, a-t-il dit.
L’opposition, qui poursuit son bras de fer avec le chef de l’État depuis son arrivée au pouvoir, a rapidement pris la mesure de l’événement en mettant sur pied une « commission de suivi ». Estimant que les diverses versions de « l’incident » n’étaient pas « concordantes », elle a demandé que toute « la vérité soit faite » sur cette affaire. La version officielle de « l’incident » ne tenant pas la route à leurs yeux, les Mauritaniens de leur côté se rabattent sur la version de l’attentat manqué. L’hypothèse la plus courante est que le chef de l’État, un général à poigne de 55 ans, qui a fait du combat antiterroriste sa priorité en s’alliant à la France, notamment pour déloger les groupes armés infiltrés en Mauritanie, a été la cible d’un de ces groupes désormais incrustés au Niger et au Mali. Il n’avait pas hésité, dans ce dernier pays, à envoyer des unités spéciales pour mener des raids contre des bases arrière d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en 2010 et en 2011. Cette organisation l’accuse de mener pour la France une « guerre par procuration ».
Depuis, Abdelaziz est sous le coup d’une menace de mort de la part d’Aqmi, qui est à la tête d’un business fructueux d’enlèvements et de trafics divers au nord du Mali. Elle détient en otages neuf Européens – six Français et trois Algériens. Elle menace de les exécuter si une intervention militaire était déclenchée pour la déloger de cette vaste région désertique tombée il y a plus de six mois aux mains de divers groupes armés islamistes, qui y appliquent la loi islamique (charia) telle qu’ils veulent bien l’interpréter.
Nouakchott s’est pourtant démarquée dernièrement de l’appel aux armes des pays de la Cedeao, soutenu par Paris, pour intervenir au nord du Mali. Elle s’est rapprochée d’Alger qui privilégie une solution politique en annonçant d’emblée qu’elle n’enverrait pas de troupes au sol. Mais le président mauritanien ne manque pas d’ennemis parmi les salafistes de l’intérieur, dont un groupe, jugé pour « tentative de création d’une association terroriste et d’incitation au fanatisme religieux », vient d’être condamné à des peines de prison. Même si leur chef, Ould Mohamed Lemine, dit Almajlissi, a été acquitté, ils auraient matière à ressentiment.