Plusieurs mois avant sa mort, Christopher Stevens avait fait savoir, en vain, à l’administration que la sécurité à Benghazi se détériorait.
David Petreus, le patron de la CIA depuis un an, ne se trouvait pas aux côtés du président Obama, le 11 septembre, à la Andrews Air Force Base, à l’arrivée des cercueils de l’ambassadeur Christopher Stevens et de trois fonctionnaires du consulat américain à Benghazi. Pourtant, deux de ces cercueils contenaient les dépouilles de Tyrone Woods et Glen Doherty, assassinés en même temps que l’ambassadeur Christopher Stevens. Anciens commandos de la Navy Seal, engagés officiellement en Libye comme officiers de sécurité de l’ambassade, ils étaient, en réalité, agents de la CIA. Ce n’était pas les seuls. Des 30 Américains évacués de Benghazi après l’attaque meurtrière, sept seulement travaillaient réellement pour le Département d’État. Les autres émargeaient à la CIA, sous couverture diplomatique.
Près de deux mois après, les informations commencent à émerger et les questions se font plus nombreuses. Dans un premier temps, les critiques ont été dirigées contre le Département d’État accusé de ne pas avoir su assurer la sécurité des « diplomates » américains à Benghazi. Aujourd’hui, c’est la CIA qui est mise sur la sellette, y compris par le Congrès américain dont les enquêteurs estiment que la présence de l’agence à Benghazi a été cause de confusion en termes de sécurité. Les responsables du Département d’État pensaient, selon eux, que la responsabilité de la sécurité dans la ville était du ressort du personnel de la CIA, conformément à une série d’accords secrets connus de quelques responsables seulement, à Washington.
Cette confusion explique, également, selon le Wall Street Journal du 2 novembre, « pourquoi le consulat a été abandonné aux pilleurs pendant des semaines après que les efforts des Américains aient été concentrés sur les « bureaux » de la CIA plus importants en Libye ».
Selon le WSJ, « le rôle de la CIA à Benghazi et le rôle centrale joué par ses agents avant et après l’attaque, braque les projecteurs sur M. Petraeus. » Il assistait à une projection privée du film Argo, à Washington, au moment où on avait le plus besoin de lui. Pendant le siège, Hillary Clinton lui a téléphoné pour lui demander de l’aide. « Les informations en temps réel étaient rares et certains responsables au Département d’État et au Pentagone étaient largement dans le noir concernant le rôle de la CIA ». En Libye, « la relation entre le Département d’État et la CIA était secrète et symbiotique : le consulat fournissait des couvertures diplomatiques pour les opérations secrètes de l’agence. Il pensait qu’il avait un accord formel avec la CIA pour qu’elle assure la sécurité en retour. » Selon les enquêteurs du Congrès, apparemment, la CIA n’avait pas tout à fait la même conception de sa « coopération » avec l’ambassade.
La CIA a créé son premier bureau, l’ annex, à Benghazi – berceau du soulèvement – sous couverture diplomatique en février 2011. Selon les responsables libyens actuels, ils n’étaient pas informés de ce que faisait la CIA à Benghazi. « Les Américains avaient des gens qui arrivaient et partaient très souvent. Franchement, nous ne savions jamais vraiment qui était là-ba. », explique un responsable libyen aux enquêteurs. L’annex était composée de dix hommes des forces de sécurité dont le Département d’État – les diplomates de l’ambassade et du consulat – pensaient qu’ils étaient là pour assurer la sécurité des diplomates en cas d’urgence. C’était une condition essentielle à l’ouverture de cette représentation américaine.
Plusieurs mois avant sa mort, Christopher Stevens avait fait savoir, en vain, à l’administration que la sécurité à Benghazi se détériorait. Le soir de l’attaque, il a fallu 50 minutes aux agents de la CIA pour venir de l’ annex au consulat, après avoir été prévenus. La suite est un imbroglio tragico-rocambolesque marqué par une totale désorganisation dont il ressort que la CIA a privilégié la défense de l’ annex « parce qu’il y avait plus de gens et qu’ils faisaient un travail sensible. » Selon les témoignages présentés par la chaîne Fox News, les agents de la CIA auraient reçu l’ordre d’attendre à l’ annex plutôt que d’aller au consulat prêter main forte, ce que la CIA dément.
L’affaire a été couverte jusqu’ici par le secret et la classification qui ont permis à la CIA de masquer sa responsabilité dans cet énorme « ratage ». L’agence a gardé le plus longtemps possible les vidéos de surveillance de l’ annex et les informations n’ont été, dans un premier temps, données qu’aux « comités de renseignement » du Congrès qui n’ont pas jugé utile, alors, d’enquêter. La polémique qui s’est transformée en argument électoral durant la campagne présidentielle et visait le Département d’État, va désormais prendre une nouvelle tournure avec la mise en accusation de la CIA.