Il y a deux ans, sous la pression des événements, le roi Mohammed VI avait été contraint de laisser la bride sur le cou au leader du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), Abdelilah Benkirane, dont la formation avait remporté les législatives de novembre 2011 dans le sillage des « printemps arabes ». Profitant du large remaniement ministériel imposé au chef islamiste par le brusque renversement d’alliance au Parlement, le souverain a repris la main en plaçant des hommes du palais à des postes clés de la nouvelle équipe gouvernementale.
Autre grand gagnant de cette redistribution de cartes, dont on mesure encore mal toutes les conséquences : le Rassemblement national indépendant (RNI), un parti de l’administration, créé par le défunt roi Hassan II dans les années 1970 pour contrer les formations politiques traditionnelles comme l’Istiqlal (nationaliste et conservateur) ou l’Union socialiste des forces populaires (USFP, gauche), rebelles à ses politiques. Le RNI et le PJD sont appelés à travailler ensemble, et la cohabitation sera tout sauf un long fleuve tranquille, prédit-on déjà à Rabat. Les deux nouveaux partenaires s’étaient âprement combattus lors de la dernière campagne électorale. Ils n’ont aucun atome crochu et ne partagent aucune option politique.
Benkirane, placé sous haute surveillance royale et harcelé par une opposition interne à la limite de la dissidence, au sein du PJD, devra aussi faire face à une opposition parlementaire revigorée autour de l’Istiqlal, son partenaire déçu et vindicatif de la précédente coalition, et l’USFP, qui a repris du poil de la bête après une éprouvante traversée du désert. L’un et l’autre ont déjà montré qu’ils étaient décidés à lui mener la vie dure au Parlement, dans la rue et auprès des syndicats de travailleurs. « Benkirane a mangé son pain blanc », diagnostiquent les cercles du pouvoir, jusque parmi les islamistes. Sacrifié sur l’autel de la nouvelle alliance avec le RNI, Saad Eddine Al-Othmani, ministre des Affaires étrangères du gouvernement sortant, poids lourd et rival déclaré de Benkirane au sein du PJD, est désormais délié du devoir de solidarité gouvernementale et libéré de l’obligation de réserve. Il aura les mains libres pour placer ses banderilles.
Le palais a pesé pour placer des hommes de confiance du roi à la tête de plusieurs ministères clés. Qualifiés de « technocrates », ils échappent ainsi à l’autorité directe de Benkirane. « C’est le gouvernement du palais, plus celui du PJD », soulignent les commentateurs. L’Intérieur échoit à Mohammed Hassad, ancien directeur de Royal Air Maroc (RAM), qui est appelé à superviser en 2014 et 2015 les prochaines élections communales et régionales, ainsi que le scrutin de la Chambre des conseillers (Chambre haute du Parlement). L’Éducation nationale, dont la gestion politicienne et partisane avait été vertement critiquée par le roi, est confiée à Rachid Belmokhtar, ancien directeur de l’université privée d’excellence Al Akhawayn.
Le patron du RNI, Salaheddine Mezouar, s’est adjugé pour sa part le ministère des Affaires étrangères. Il a taillé un véritable « fief » pour son parti dans le secteur financier du gouvernement. On retrouve ainsi aux Finances Mohammed Boussaid, libéral, partisan des thérapies économiques de choc appréciées par le Fonds monétaire international (FMI), au Commerce et à l’Industrie Moulay Hafidh el-Alamy, un chef d’entreprise, et aux PME, Maamoun Bouhadhoud, jeune étoile montante du RNI, âgé d’à peine 30 ans, ancien de Morgan and Stanley et de la Société générale. Unique lot de consolation laissé à Benkirane : le PJD conserve le Budget – dont il avait fait un casus belli.
Au total, avec huit ministres, placés à la tête de portefeuilles stratégiques, le RNI fait une entrée en force au sein du gouvernement Benkirane II, qui compte trente-neuf ministres, contre trente dans le précédent gouvernement. Un des siens doit par ailleurs être porté en avril prochain au perchoir de l’Assemblée nationale, en remplacement du représentant de l’Istiqlal. Les deux autres alliés du PJD, le Parti du progrès et du socialisme (PPS) et le Parti populaire, sauvent leur mise en conservant le même nombre de portefeuilles que dans le gouvernement sortant.
Le gouvernement remanié est appelé à ouvrir rapidement le dossier des réformes structurelles pour satisfaire le FMI. Inquiète de la mauvaise passe dans laquelle se trouvent les finances du royaume, dont le budget accuse un déficit alarmant en 2012 de 7 %, l’institution financière attend pour libérer une facilité de crédit de l’ordre de 6,2 milliards de dollars, consentie depuis près de deux ans déjà. Le pays a subi de plein fouet le ralentissement économique en Europe qui a pesé sur les secteurs exportateurs de l’économie marocaine : textile, tourisme et services notamment. En tête des réformes exigées par le FMI pour rétablir les équilibres macro-économiques du pays : celles de la caisse de compensation, qui subventionne la consommation populaire, et de la réforme fiscale. Le palais a décidé qu’elles étaient trop sérieuses pour être laissées aux islamistes. Elles seront menées par Mezouar et son équipe, sous la supervision du roi et de ses conseillers.