Qui a intérêt à enlever les diplomates algériens à Gao ?
Les sept diplomates algériens, enlevés jeudi dernier (5 avril) à Gao, une localité du Nord-Mali, seraient toujours entre les mains de leurs ravisseurs. Selon une source proche de ce dossier, ils seraient localisés entre Gao et Tombouctou. L’information sur leur libération, qui s’est répandue dans la matinée d’hier après des négociations qui auraient été menées avec Mokhtar Belmokhtar, l’un des ex-émirs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (actuellement agissant pour son propre compte dans le Sahel), n’a pas été confirmée officiellement. D’ailleurs, c’est le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), un groupe dissident d’Aqmi – qui avait revendiqué dernièrement l’attentat de Tamanrasset – qui a revendiqué hier le rapt des diplomates. Dans un message écrit transmis à l’AFP, confirmé par un appel téléphonique d’un certain Adnan Abu Walid Sahraoui, qui s’est présenté comme le porte-parole du Mujao, le mouvement a confirmé sa responsabilité dans l’enlèvement des otages : « C’est nous qui avons organisé l’enlèvement. Ils (les otages) sont avec nous. Nous allons, après, donner nos revendications. » En fait, la question qui se pose est simple : qui a intérêt à enlever les diplomates algériens et dans quel but ? Aujourd’hui, le territoire Azawad, déclaré indépendant par le Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla), est sous le contrôle du groupe islamiste d’Ansar Eddine, allié d’Aqmi et du Mujao, qui ont participé à la chute du Nord-Mali aux côtés du Mnla. Il est donc logique de penser que les otages algériens ont été enlevés par les éléments d’un de ces groupes islamistes. Que ce soit le Mujao, Aqmi ou encore les hommes d’Ansar Eddine qui auraient enlevé les otages algériens et quelle que soit la nature des revendications exprimées, ce ne sera que la partie visible de l’iceberg. Une autre lecture des événements pourrait être faite. Ces différents groupes terroristes savent très bien que l’Algérie ne cédera à aucune de leurs revendications quelles qu’elles soient. À ce titre, l’enlèvement des diplomates n’aurait aucun autre but que de se venger de l’Algérie pour ses positions sur le terrorisme et son engagement pour le combattre. Précisons que ces différents groupes, y compris les amateurs parmi eux, savent que l’enlèvement de diplomates algériens pourrait avoir des conséquences fâcheuses sur leur propre survie. Donc, cet « affront » qui s’est produit à Gao, ne peut être une action isolée de vengeance d’un groupe terroriste. Ce dernier n’est que l’exécutant d’un plan qui aura des conséquences géopolitiques. Autrement dit, les commanditaires de l’enlèvement ont des objectifs qui transcendent de loin ceux des groupes qu’ils manipulent. Si les terroristes voient dans le kidnapping des otages une affaire juteuse, les commanditaires, eux, aspiraient à impliquer l’Algérie dans l’imbroglio du Nord-Mali. L’ennemi premier du régime malien n’a jamais été le terrorisme et le banditisme dont des pontes du régime tirent profit. En revanche, les revendications politiques, économiques et sociales des touaregs constituent pour Bamako, une menace réelle qu’il fallait endiguer depuis ses balbutiements jusqu’à sa conversion forcée en une rébellion qui menaçait le Mali de partition. Les autorités maliennes actuelles et précédentes n’ont jamais caché leurs vœux de voir des forces étrangères occidentales intervenir directement dans le Sahel, non pas pour combattre la menace terroriste mais pour mâter la rébellion touarègue assimilée ouvertement au terrorisme. L’Algérie qui a depuis toujours exprimé sa position principielle, voire dogmatique, contre toute intervention étrangère dans la région, prône une coopération sincère des pays du Champ pour endiguer et le terrorisme et le banditisme dans la région et surtout pour engager un processus de développement économique et social de nature à permettre l’émancipation des populations de toute la région. L’enlèvement des diplomates vise donc à « convaincre » l’Algérie que l’intervention militaire s’impose dans le Nord-Mali pour mettre un terme à tous les facteurs de déstabilisation et d’insécurité qui menacent le Mali et les pays du Champ. L’Algérie fait cependant la part des choses et distingue entre la problématique des Touaregs et le terrorisme. Le premier est une question malo-malienne qu’elle a aidé à son règlement à travers les accords de Tamanrasset et ceux d’Alger, le second est un problème d’insécurité régionale qui nécessite l’effort de tous les pays concernés. Bamako entretient la confusion à dessein ce qu’Alger refuse. D’où l’appel des autorités maliennes à l’intervention étrangère. C’est dans ce contexte qu’il s’agit de comprendre l’enlèvement des diplomates algériens et c’est dans ce contexte que leur devenir sera tranché.
Source, La Tribune, le 9 avril 2012