Il aurait été surprenant que l’islamologue fondamentaliste, Tariq Ramadan, s’abstienne de donner son point de vue sur l’intervention française au Mali. C’est chose faite et, une fois de plus, celui qui se prononça en faveur d’un simple « moratoire » de la lapidation des femmes dans les pays musulmans ne déçoit pas…
Sans Tariq Ramadan comment comprendre le monde tel qu’il va (mal)… Il aurait été surprenant que l’islamologue fondamentaliste s’abstienne de donner son point de vue sur l’intervention française au Mali. C’est chose faite, sur son site depuis le 18 janvier. Et, une fois de plus, celui qui se prononça un jour en faveur non d’une abolition mais d’un simple « moratoire » de la lapidation des femmes (et des hommes) dans les pays musulmans ne déçoit pas…
Avec l’habileté, certains de ses nombreux détracteurs diraient le double langage, qui le caractérise, Ramadan prend bien sûr ses distances avec « l’idéologie et les pratiques des réseaux et groupuscules salafi jihadistes et extrémistes. » Mieux : il les condamne avec la dernière fermeté et, au cas où cela leur aurait échappé, invite les musulmans à l’imiter « politiquement, intellectuellement et avec toute la force de leur conscience et de leur cœur. »
Ce préambule rhétorique passé, Ramadan aborde l’objet réel de sa contribution : la dénonciation du néo-colonialisme français et plus largement occidental, encore et toujours à l’œuvre, quelles que soient les situations. Pour illustrer son propos, le théologien d’origine égyptienne s’appuie sur une chronologie, « revue et corrigée » par ses soins, des évènements en cours au Mali.
1) La chute d’Amadou Toumani Touré.
En mars 2012 le coup d’état contre ATT, le président alors en exercice, plonge le pays dans une profonde instabilité politique et institutionnelle que les touaregs séparatistes du MNLA (Mouvement national de libération de l’ Azawad) vont mettre à profit pour lancer leur offensive éclair contre l’armée malienne dans le nord du pays. A leurs côtés, d’abord alliés puis ennemis, les touaregs islamistes d’Ansar Dine, les djihadistes du Mujao (le Mouvement pour l’unification du jihad en Afrique de l’ouest) et d’Aqmi (al-Qaida du Maghreb islamique).
A l’origine du coup d’état anti ATT, un groupe de soldats du rang et de sous officiers mécontents, conduits par le capitaine Amadou Sanogo, professeur d’anglais au Prytanée militaire de Kati dont il a été élève avant de compléter sa formation aux Etats-Unis. Au nom du légitime principe du doute, Ramadan propose une autre version de la chute d’ATT : « Il semble avoir payé le prix de sa politique vis à vis du Nord et de ses vues quant à l’attribution de futurs marchés d’exploitation pétrolière. »
En clair, le petit-fils du fondateur des Frères Musulmans semble suggérer que des puissances étrangères auraient encouragé, et peut être même ourdi, le départ forcé du président malien afin de préserver des intérêts possiblement fragilisés. Qui ? Les Etats-Unis ? Ou bien plutôt la France? Celle-ci, ajoute Ramadan, entretenait des liens avec le MNLA, lesquels « permettaient d’établir une zone de fracture entre le Sud et le nord du Mali, bien utile à la lumière des visées d’exploitations de richesses minières très prometteuses… »
Logique conclusion de sa « démonstration » : Paris aurait donc hâté la chute d’ATT et par ailleurs joué la carte MNLA pour mettre la main sur de précieux trésors…Un peu confus et contradictoire certes et d’ailleurs notre islamologue toujours très prudent ne franchit pas le Rubicon. Il ne fait qu’interroger bien sûr…
En réalité, voilà ce qui est avéré et connu : de longue date déjà, les liens entre Paris et ATT n’étaient plus au beau fixe. L’origine du contentieux, quasi public : le manque de fermeté supposé de celui qui fût autrefois un des chouchou de Jacques Chirac dans la lutte contre le danger islamique en zone sahélienne. Quant aux liens avec le MNLA, recours vaguement envisagé pour contrer l’influence et la présence grandissante des fous d’Allah, ils ont toujours été fluctuants, compliqués, voir erratiques, au grand désespoir d’ailleurs des indépendantistes touaregs qui ont souvent fait en vain le siège du Quai d’Orsay, de l’Elysée ou de plus discrètes officines.
2) L’infiltration occidentale des terroristes djihadistes…
Complot, complot quand tu nous tiens…On connaissait la thèse négationniste, toujours active dans l’Internet, relative aux attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center : un coup de la CIA (ou d’une faction de l’appareil militaro industriel) pour « forcer le cours des choses », entre autre lancer la guerre sainte (celle des Croisés) contre l’islam dans le monde, et au passage, mettre la main sur les régions riches en ressources minières et pétrolières.
De manière beaucoup plus précautionneuse, et naturellement toujours en vertu des « légitimes questions », Tariq Ramadan feint de s’étonner de la présence des djihadistes dans le Sahel désertique. « Leurs lieux d’installation et leurs méthodes d’opération pourraient bien être encouragés et orientés. » Par qui ? Des puissances étrangères, une fois encore. Essentiellement la France. « On le savait avec Georges Bush, on le voit au Mali, on peut faire un usage utile des terroristes. »
Décryptons la prose ramadienne : les services français auraient infiltré les groupes djihadistes pour « encourager et pousser les pyromanes (extrémistes) afin de rendre nécessaire et impérative » le débarquement organisé en urgence de nos militaires à Bamako. Et bien sûr, l’émir Abou Zeid, le chef d’Aqmi dans la région sud de l’Algérie, son rival Mokhtar Belmokhtar et Iya ag Ghali, le chef d’Ansar Dine sont tellement bêtes qu’à aucun moment ils n’ont pris conscience de la gigantesque manipulation que leur tendaient les Français. A moins que les trois chefs terroristes n’en soient en réalité des « agents » consentants… C’est au demeurant la thèse des négationnistes dans le cas du World Trade Center : création de la CIA, Oussama Ben Laden (et sa famille) œuvrait de concert avec les Bush.
Tariq Ramadan estime pourtant avoir une preuve imparable validant ses élucubrations : un article du Canard Enchaîné, riche de deux révélations supposées fracassantes : d’une part le Qatar financerait tout à la fois le MNLA, Aqmi et Ansar Dine (insistante rumeur jamais confirmée à ce jour) et d’autre part l’émirat serait en pourparlers avec Total pour exploiter les richesses du Sahel. Comme se serait exclamé l’inspecteur Bourrel des « Cinq dernières minutes » : « Mais c’est bien sûr ! » De concert avec le Qatar, d’abord sous l’autorité de Nicolas Sarkozy puis celle de François Hollande, la France aurait donc cyniquement pris le risque de déclencher un incendie aux conséquences imprévisibles dans le Sahel afin d’y favoriser les visées de Total ( et peut être aussi d’Areva au Niger).
Ramadan et l’Afrique.
Ce joli conte, écrit avec la meilleure encre de l’anti colonialisme version parano débile ne serait pas complet sans l’habituelle admonestation ramadienne aux « lâches politiques et intellectuels africains ou arabes » qui se sont risqués à applaudir l’intervention française. Des collabos en quelque sorte…
Quant aux Maliens soulagés d’avoir été (provisoirement en tout cas) débarrassés de leurs tyrans, adeptes de la charia, mais aussi des pillages et des viols, qu’ils ne se trompent pas, insiste l’islamologue : « La destruction des extrémistes djihadistes du nord du Mali n’est pas une promesse de liberté (…)mais à long terme une forme sophistiqué d’aliénation nouvelle. » Peut-être pourrait-on inviter Ramadan à prendre un vol pour Bamako afin de présenter ses arguments aux habitants de Gao, Tombouctou ou Diabali…
Les intellectuels africains, dont il dénonce l’aveuglement, lui ont, eux, déjà répondu. Ainsi du Dr Bakary Sembé du Centre d’études des religions à l’université Gaston Berger à Saint Louis du Sénégal. Après avoir dénoncé « l’indécence » de l’article de Ramadan, ce chercheur qui ne passe pas pour inféodé à l’ancienne puissance coloniale écrit : « L’enjeu majeur pour nos pays n’est pas la résurgence de ce discours refuge (de Ramadan) cherchant habilement à rallier aussi bien la gauche traditionnelle africaine que les neo-islamistes galvanisés par les victoires à demi-teinte des Frères musulmans du Maghreb et de l’Egypte. Peut être ignorait-il que la nouvelle génération africaine avait dépassé ce débat et se préoccupait plus d’avenir. »
Plus grave, Bakary Sembé voit dans la démarche de Ramadan, la marque de « l’impérialisme idéologique des pays et organisations du monde arabe qui sous couvert d’islamisation de l’ Afrique financent et appuient des mouvements et ONG remettant en cause l’existence même de l’ Etat malien. » En d’autres mots, au donneur de leçons les Africains sont tentés de dire : « Dégage ! »
Source : Marianne.fr
26 Janvier 2013