Les rébellions se multiplient au nord du Mali, fragilisant le pouvoir central en cette fin de mandat du président Ahmadou Toumani Touré.
Tiendra-t-il jusqu’au 29 avril, date de la prochaine élection présidentielle devant désigner son successeur au palais présidentiel de Koulouba ? Amadou Toumani Touré, qui n’est pas candidat à ce scrutin pour avoir déjà épuisé son deuxième et dernier mandat constitutionnel, aurait bien voulu transmettre avec élégance le pouvoir à son successeur dûment élu, lors d’une cérémonie solennelle qui l’aurait fait entrer définitivement dans l’histoire du Mali et celle de la sous-région abonnée aux reniements politiques divers et aux conflagrations, comme « le soldat de la démocratie » et l’emblème d’un nouveau type de dirigeant africain jouant le jeu démocratique jusqu’au bout, et refusant de s’accrocher au pouvoir. Las. L’histoire semble se dessiner autrement, et les Maliens retiennent leur souffle, à mesure que s’accumulent les succès militaires des rébellions en cours dans la partie septentrionale du pays.
« Cela fait maintenant deux mois que la rébellion touarègue occupe le nord de notre pays et revendique cette partie du territoire national. Le président ATT (Amadou Toumani Touré) et son gouvernement nous ont dit qu’il s’agissait d’une poignée de bandits armés qui allaient être délogés rapidement. Mais, nous ne voyons rien venir. Au contraire, les rebelles avancent chaque jour tandis que nos soldats reculent et désertent le front. Nous ne sommes plus sûrs de rien », s’emporte Malick, un des jeunes maliens, fils de soldats envoyés au front qui ont marché le 19 mars en direction du palais présidentiel de Bamako, pour crier leur ras-le-bol face à ce qu’ils considèrent comme une incapacité de l’armée et de son chef à organiser des actions militaires appropriées avec les moyens nécessaires et suffisants pour réussir ces opérations tout en exposant moins leurs parents. A Bamako, au sud du pays, on a en effet le sentiment que « quelque chose ne tourne pas rond dans l’armée », ce qui nourrit toutes les hypothèses. Les femmes de soldats morts au front, à Aguel’hoc près de la frontière nigérienne dès le déclenchement des hostilités le 17 janvier avaient déjà incriminé le haut commandement militaire accusé tantôt de négligence, tantôt d’incompétence voire de corruption. Des informations faisant état de trafics juteux circulent dans le pays, de même que des anecdotes succulentes au sujet du comportement de soldats quittant leurs positions sitôt largués par le commandement opérationnel, et s’enfuyant, avec leurs primes, parfois en abandonnant leurs armes, vers l’Algérie voisine, d’où ils sont rapatriés vers Bamako. Vrai ou faux ? L’information circulant peu, il est difficile d’infirmer ou de confirmer ces informations auprès de sources crédibles, les parties en conflit se livrant régulièrement à une guerre des communiqués.
Ce qui paraît désormais établi, c’est que l’armée malienne enchaîne les revers face aux rebelles touaregs, qui contrôlent désormais plus du tiers du pays. L’un des derniers échecs parmi ceux qui ont le plus ému les Maliens au sud du pays, c’est la perte de la garnison stratégique de Tessalit, aux confins de l’Algérie. Dans cette localité disposant de l’unique aéroport de la région, les soldats gouvernementaux ont été assiégés durant des semaines par des insurgés qui ont finalement pris la garnison en dépit des raids et des ravitaillements de la modeste aviation malienne loyaliste. Les rebelles Touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et d’autres groupes alliés, qui ne revendiquaient jusque-là, que les trois provinces septentrionales du nord (Gao, Tombouctou, Kidal) vont désormais au-delà de ces zones constituant traditionnellement leur « République de l’Azawad ». Certains éléments sont ainsi descendus plus au sud, vers la région de Mopti, où ils narguent les populations et effectuent des raids furtifs, avant de repartir sans être inquiétés.
Un malheur ne venant jamais seul, le mouvement islamiste armé touareg Ançar Dine (Défenseur de l’islam, en arabe) qui combattait jusque-là au côté du Mnla, a affirmé, le 20 mars, contrôler le nord-est du Mali avec pour dessein d’y instituer une république islamique régie par la charia. Avec la prolifération de mouvements rebelles rivaux, le nord du Mali, déjà contrôlé en partie par les terroristes d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) risque ainsi de glisser vers la « somalisation », ce qui n’arrange rien au Sud.
Le syndrome le plus immédiat qui guette le Mali, est sans doute le syndrome ivoirien. Pendant que la guerre fait rage au Nord, au sud les partis politiques sont en campagne pour les élections du 29 avril. Au moment même où les combats se durcissaient autour de Tessalit, des candidats inauguraient à Bamako, en grande pompe, leurs QG de campagne. Le candidat de l’ancien parti au pouvoir sous Alpha Konaré, l’Adema, le professeur Dioncounda Traoré a ouvert son quartier général du quartier chic de l’ACI 2000, tandis que les clubs, associations et partis politiques soutenant un autre candidat de poids, l’ex-premier ministre Modibo Sidibé (qui n’a pas de parti) lançaient officiellement, au siège des clubs, la mascotte devant véhiculer la trouvaille « Je SMS » (entendez Je soutiens Modibo Sidibé) vers tous les grands axes du pays, en préparation de la grande convention du 25 mars. Ibrahim Boubacar Keita du Rassemblement pour le Mali (Rpm) était quant à lui à Kayes pour un grand meeting au stade de la ville, où il a appelé à voter pour lui car, son combat serait de « porter l’espérance des Maliens pour un Mali meilleur ».Hamed Sow s’est, de son côté, fait investir par ses sympathisants au centre international de conférences de Bamako.
Cette campagne présidentielle avant la lettre et en pleine avancée des rebelles Touaregs vers le sud n’est toutefois pas du goût de tous les Maliens. Une mission du gouvernement allée à la rencontre des populations des trois régions du nord du Mali a ainsi essuyé, selon divers témoignages, la colère des populations de Gao qui ont repris en chœur le refrain « pas d’élection sans sécurité dans le nord Mali. Quelques candidats de second plan lancent des appels timides pour un report des élections juste après la libération du territoire national, mais la rébellion gagnant du terrain et le moral des troupes gouvernementales approchant de zéro, il apparaît désormais hasardeux de fixer un horizon réaliste. Des informations ayant fait état, au début de la rébellion, de ce qu’il s’agirait d’une astuce d’ATT pour se maintenir au pouvoir au-delà de son mandat, le locataire du palais de Koulouba répète qu’il n’est pas question pour lui de rester au palais et que le scrutin aura bien lieu, couplé à une élection référendaire qui fait toujours débat quant à son opportunité et à son utilité.
Quand on sait que la constitution malienne proscrit tout scrutin de ce type pendant qu’une partie du territoire est occupé, on peut légitimement s’interroger sur la légalité mais aussi la légitimité de cette élection présidentialo-référendaire de laquelle seront exclus des centaines de milliers de Maliens qui vivent dans les zones en conflit, ou qui ont dû fuir vers les camps de réfugiés des pays environnants, fait observer le professeur de droit Diakhité Moriba . Le cas ivoirien, poursuit-il, est encore frais dans les mémoires « On y a organisé une élection présidentielle pendant que le pays était coupé en deux, et cela a accouché d’une crise politico-militaire meurtrière. Même si, au Mali, on n’est pas exactement dans le même cas de figure, il n’empêche que les ingrédients d’une crise sont aussi là, et il appartient à la classe politique malienne dans son ensemble de s’accorder sur un modus vivendi qui permette de garantir un scrutin transparent sur toute l’étendue du territoire national ». A Bamako, la grande inconnue reste l’évolution du front militaire. Si l’armée gouvernementale reprend le dessus et impose son autorité dans le nord, le cours normal de la présidentielle reprendrait vite. C’est le scénario espéré par les différents leaders politiques en campagne anticipée depuis plus d’un mois. Par contre, si les revers militaires devaient continuer, il faut craindre des soulèvements civils voire militaires, confie une source diplomatique occidentale sur place. Ce serait alors, le scénario catastrophe tant redouté.