Pour Pierre Beylau (Le Point), il ne suffit pas d’énoncer de grands principes pour changer la réalité. Le président est contraint de défendre le pré carré africain. Comme ses prédécesseurs.
Comme l’opposition était confortable ! Les socialistes pouvaient à loisir fulminer des anathèmes contre la Françafrique. S’indigner du discours de Nicolas Sarkozy à Dakar. Accueillir avec des pudeurs de vierge effarouchée la décision du chef de l’État d’alors de lancer le 11 avril 2011 les troupes françaises dans la bataille pour déloger Laurent Gbagbo de son camp retranché d’Abidjan. Et permettre ainsi à Alassane Ouattara, légitimement élu, d’occuper enfin ses fonctions présidentielles.
Fraîchement adoubé président et pas très bon connaisseur du continent noir, François Hollande promettait que, désormais, il laisserait les Africains régler eux-mêmes leurs problèmes. Que, jamais, croix de bois, croix de fer, il ne dépêcherait des soldats français sur un théâtre d’opérations en Afrique. Peut-être un petit appui logistique par-ci par-là, une aide à la formation, mais pas davantage.
Rupture ostensible
Pour bien montrer sa volonté de rupture, le nouveau président de la République avait passé à la trappe le ministère de la Coopération, rebaptisé ministère délégué au Développement. Il avait tergiversé pour se rendre à Kinshasa au Sommet de la Francophonie et avait ostensiblement tourné le dos à son hôte, le président Joseph Kabila, dont la réélection était entachée de fraude. Kabila n’est sûrement pas un vrai démocrate, mais quid de la Chine, du Qatar, des Émirats arabes unis, de l’Algérie ?
C’en était donc fini de la politique africaine de papa où planaient encore les mânes de Jacques Foccart, des réseaux opaques, des coups tordus. Un monde, de toute façon, en voie de disparition et qui n’est plus qu’un fantasme.
Faiblesse structurelle des États
Mais ce qui n’a nullement disparu, ce sont la faiblesse structurelle des États africains, leurs perpétuelles divisions, leurs armées aux capacités opérationnelles à peu près nulles, sauf rares exceptions, comme le notait récemment l’hebdomadaire Jeune Afrique. Même les Américains se sont cassé les dents sur le sujet : certaines unités maliennes qu’ils avaient formées à grands frais ont déserté. Et l’un de leurs protégés, le capitaine Sanogo, a ourdi un coup d’État…
Ce qui ne s’est pas, non plus, dissipé comme mirage dans le désert, c’est la menace de déstabilisation que font peser les djihadistes dans toute la ceinture sahélienne. Une menace qui peut s’étendre jusqu’à l’Afrique centrale et occidentale.
Pas le choix
Face aux discours moralisateurs des socialistes, les vieux routiers de l’Afrique, sceptiques, se grattaient le menton. Et ce qui devait fatalement arriver arriva : les rezzous islamistes descendirent sur Bamako et la force africaine censée les contenir était encore dans les limbes. François Hollande n’avait guère le choix. Pas plus que François Mitterrand quand il déclencha au Tchad l’opération Manta pour détruire les colonnes libyennes qui déferlaient sur N’Djamena. Il avait fini par se laisser convaincre par plusieurs chefs d’État africains, dont le très influent ivoirien Houphouët-Boigny.
L’auteur de ces lignes revoit la scène de ce 11 août 1983 : un membre de l’ambassade de France déboulant dans le hall délabré de l’hôtel Chari pour annoncer aux journalistes tout sourire aux lèvres : « Ça y est, les petits gars arrivent ! » Les « petits gars », des parachutistes du 8e RPIMa, étaient en fait déjà massés en face sur la rive camerounaise du fleuve Chari. Parenthèse : trente ans plus tard, les soldats français sont toujours au Tchad… L’histoire ne se répète pas, mais elle bégaie souvent.
Source : Le Point.fr -15/01/2013