Il aura donc fallu attendre neuf mois. Neuf mois depuis le 17 janvier, date du début des affrontements entre rebelles touaregs, aidés d’extrémistes religieux, et l’armée malienne, pour que la France s’intéresse d’aussi près à ce qui se passe au nord du Mali. Et formule sa position face à une guerre qui s’est figée avec l’occupation, depuis avril, des trois quarts du territoire malien par des groupes terroristes.
Alors que seule la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) s’évertuait jusqu’alors à solliciter la communauté internationale pour bouter les terroristes hors du Mali (un pays d’une superficie de plus de 1,2 million de km2), le président français François Hollande, élu en mai, s’est subitement emparé du dossier en septembre et octobre. Au point de devenir le chef de file de la solution militaire que préconisait la Cedeao depuis plusieurs mois, sans écho favorable. Devant l’Assemblée générale des Nations unies à New York, Hollande a ainsi volé la vedette au premier ministre malien, Modibo Diarra, adepte des circonlocutions, en prônant sans ambages une expédition armée des forces ouest-africaines dans le septentrion malien, avec le soutien du Conseil de sécurité des Nations unies et de la France.
Hollande est allé bien plus loin : il a proposé la résolution, finalement votée par le Conseil de sécurité le 12 octobre, appelant la Cedeao à préciser son calendrier militaire dans un délai de quarante-cinq jours, afin que ladite intervention se déroule sous les auspices du chapitre 7 de la charte des Nations unies. Celle-ci prévoit l’emploi de la force lorsque la paix et la sécurité internationale sont menacées.
Bien que la France ait soutenu qu’elle n’enverrait pas de troupes au sol et se contenterait d’un appui logistique, de nombreux spécialistes militaires restent convaincus que son engagement ira bien plus loin, mais se déroulera de façon discrète. Pour deux raisons au moins.
La première est la présence, dans la région sahélienne qui sera le théâtre principal des opérations militaires, de six otages français, toujours détenus quelque part dans le désert par Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). L’organisation terroriste qui contrôle le Nord malien avec d’autres alliés islamistes de circonstance, Ansar Dine et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), a menacé de les exécuter si une intervention militaire avait lieu. Le 14 octobre, alors que François Hollande terminait à Kinshasa sa première tournée africaine, les occupants islamistes ont explicitement menacé la vie des otages français. « S’il (Hollande) continue de jeter de l’huile sur le feu, nous lui enverrons dans les jours à venir les photos des otages français morts », a ainsi déclaré Oumar Ould Hamaha, porte-parole du Mujao. Le Mujao est allé encore plus loin en visant, pour la première fois, le président français lui-même. « Sa vie est désormais en danger. Il faut qu’il le sache. »
Directement attaqué, Hollande a répondu avec fermeté dans le discours. Il a préparé les esprits à une intervention militaire « africaine » dans le Nord malien, tout en répétant que la France n’enverrait pas de troupes au sol. Ce faisant, le chef de l’État français apparaît de plus en plus comme le chef d’orchestre des opérations. Signe des temps : le calendrier de l’intervention n’a pas été donné par les Africains mais par la France qui, par la voix de son ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian, a soutenu que l’opération militaire était une question de « quelques semaines et non de mois ». La Cedeao elle-même, qui peine à planifier l’intervention de sa force en attente, n’était pas capable, plusieurs jours après l’annonce française, d’infirmer ou de confirmer le chronogramme des événements.
L’autre principale raison de la décision réitérée de Hollande de ne pas prendre les devants dans la guerre contre les terroristes au Mali tient aux engagements qu’il a renouvelés, lors de ses voyages à Dakar et Kinshasa en octobre, de tourner la page de la Françafrique. Laquelle a été marquée, entre autres, par des interventions militaires françaises pas toujours heureuses dans ses anciennes colonies… Pour Hollande, les choses ne sont pas simples. « Alors qu’il se présente comme le président de la rupture de l’ordre françafricain, comment expliquer à l’opinion l’envoi de troupes françaises au Mali ? Hollande est prisonnier de ses engagements, alors même que la situation sur le terrain, où des otages français sont en danger, recommanderait que la France monte en première ligne », analyse un diplomate ouest-africain en poste à Bamako.
Dans la capitale malienne, l’homme de la rue n’hésite pas à avancer que si le président français est si pressé de voir la guerre éclater dans le Nord, c’est moins pour libérer le Mali que pour tenter de libérer les otages et se refaire une santé dans les sondages en France. Les Maliens s’expliquent difficilement l’activisme soudain de l’Élysée sur ce dossier qui laissait la France et d’autres pays occidentaux plutôt indifférents, ces six derniers mois. Des soldats maliens aux politiques, en passant par la société civile, les avis restent partagés. Certains applaudissent l’intervention militaire extérieure annoncée, convaincus que l’armée malienne n’a pas les moyens de faire face aux troupes salafistes lourdement équipées. Pour d’autres, proches du capitaine putschiste Amadou Sanogo, la reconquête du Nord doit être l’œuvre des seuls soldats maliens, toute aide extérieure ne pouvant constituer qu’un appoint.
La France n’est pas prête à se soumettre à un calendrier en provenance de Bamako. Tout au plus consentirait-elle, à en croire des indiscrétions de l’état-major malien, à former les unités d’élite actuellement massées sur la ligne de front, et à assurer le transport des troupes africaines. La planification et les options stratégiques restent du ressort principal de Paris, très méfiante envers les forces non françaises opérant sur le terrain.
Pour parer à toute éventualité et, surtout, garder la maîtrise des opérations afin de compromettre le moins possible la vie des Français détenus par Aqmi, Paris s’est déjà positionnée au Sahel. Selon diverses informations, plusieurs dizaines d’hommes des forces spéciales françaises du Commandement des opérations spéciales (COS) sont présents depuis deux ans dans la région, où ils suivent le sort des otages.
Réputés bien équipés, dotés d’hélicoptères et de moyens de surveillance, ces hommes, évalués par certaines sources à environ 200, seraient les premiers à entrer en action pour fournir du renseignement et guider les troupes africaines sur les terrains. Selon la radio française RFI, le déploiement de drones français est envisagé depuis longtemps au Niger, et trois avions de chasse Mirage 2000D (spécialisés dans les raids nocturnes) ont été transférés, début septembre, au Tchad.
Paris a fini par convaincre d’autres pays européens que l’insécurité au Mali constituait une menace grave pour la sécurité de l’Europe et leur a demandé de fournir des moyens, en hommes et en matériels. Les États-Unis n’excluent pas, eux aussi, d’envoyer leurs propres hommes dans le Sahel, ainsi que des drones.
Et la supposée intervention militaire africaine dans tout cela ? Les « apparences seront sauves » sourit le diplomate ouest-africain. Il y aura, côté malien, environ 3 000 soldats postés à Sevaré. Et, à leur côté, quelque 3 300 hommes de la fameuse force en attente de la Cedeao, et probablement des soldats tchadiens. Ces troupes seront transportées sur les terrains par des moyens français. Elles progresseront en fonction des renseignements fournis par les grandes oreilles françaises. La France et ses alliés européens devraient assurer l’encadrement de l’état-major de cette force africaine.
Si Paris a redoublé d’enthousiasme, ce n’est guère le cas de l’Onu, qui reste sceptique, craignant avant tout un échec de cette opération dont les contours restent flous. Dans le désert malien, près de 6 000 combattants djihadistes organisent la résistance, truffant la région de mines, tout en s’employant à gagner les populations locales musulmanes à leur cause. L’ultime djihad face aux croisés.