Le 22 mars dernier, quand les militaires de la ville-garnison de Kati, à 15 km de Bamako, chassent le chef de l’État Amadou Toumani Touré du pouvoir, les Maliens sont à cinq semaines d’une élection présidentielle à laquelle le sortant n’est pas candidat. Les putschistes déclarent mettre un terme rapide à un régime incompétent qui a échoué à vaincre une rébellion touarègue déclenchée trois mois plus tôt au nord-est du pays.
Amadou Haya Sanogo, autoproclamé président d’une junte militaire dénommée Conseil national pour la restauration de la démocratie et le redressement de l’État (CNDRE), ne profitera pas longtemps de son coup d’État. Stoppé net dans son élan par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao, regroupant quinze pays) qui le menace d’embargo financier, diplomatique et militaire, le capitaine est contraint d’abandonner le pouvoir après seulement deux semaines d’exercice. Sous les auspices de la Cedeao, un accord-cadre conclu à Ouagadougou installe Dioncounda Traoré, ancien président de l’Assemblée nationale et successeur constitutionnel du président déchu, au pouvoir à titre provisoire. La Constitution prévoit, en effet, un intérim de quarante jours maximum assuré par le président de l’Assemblée nationale, au cours duquel doit être organisée la présidentielle.
Cet accord tiendra tant bien que mal, jusqu’à ce que, la fin de l’intérim pointant, la Cedeao se rende compte qu’aucun schéma n’a été arrêté pour la suite. Pour la junte, au-delà de quarante jours, Dioncounda n’est plus président et Sanogo peut reprendre son fauteuil. Menacé de sanctions par la Cedeao, Sanogo plie à nouveau devant la décision de l’organisation sous-régionale de prolonger le bail de Dioncounda, qui devient ainsi le président d’une transition censée s’achever douze mois plus tard, avec la tenue de l’élection présidentielle et la réunification du pays. La moitié nord, en effet, a été conquise par des rébellions indépendantistes et islamistes depuis début avril. Aux côtés du président intérimaire, se trouve un premier ministre « aux pleins pouvoirs », l’astrophysicien Modibo Diarra.
Le bilan de cette transition péniblement mise en place est bien maigre. Investi le 12 avril, Dioncounda Traoré n’est jamais parvenu à imprimer sa marque, empêché de fonctionner par les militaires putschistes, officiellement en retrait, mais dont l’influence dans le jeu politique est allée crescendo. Le clou de cette défiance est atteint le 21 mai. La veille de commencer son mandat, Dioncounda est sauvagement tabassé dans ses bureaux de Koulouba par une meute de nervis à la solde de la junte. Le service de sécurité du chef de l’État assiste, passif, à la scène. Sauvé de justesse de la mort par bastonnade, le président s’engouffre dans un avion en direction de la France. Pendant deux mois, Dioncounda est en convalescence à Paris, et les supputations vont bon train quant à ses intentions réelles. Choisira-t-il l’exil à Paris ou rentrera-t-il affronter le chaudron militaro-politique malien ?
Pendant l’absence du président, le premier ministre, resté seul aux avant-postes, brillera par son inaction et son incapacité à faire décoller la transition. Entré en fonction en avril, ce n’est que fin juillet qu’il se décide, sous des pressions insistantes des Maliens et de la Cedeao, à élaborer la feuille de route de son gouvernement. Lorsque celle-ci est enfin rendue publique, c’est la déception et l’indignation dans l’espace politique. Quarante formations politiques, dont les principales, se regroupent autour d’un front commun pour dénoncer l’incapacité et l’incompétence de Modibo Diarra et appeler à sa démission.
Sur le plan politique, la transition n’a pas fait ses preuves. Dioncounda, finalement rentré de Paris le 27 juillet, a bien entrepris de relancer la machine. La Cedeao ayant appelé à la formation d’un nouveau gouvernement d’unité nationale élargi à l’ensemble des principales formations politiques, il s’est engagé dans ce sens, non sans désarçonner la classe politique. Alors que l’essentiel des forces politiques appelait au départ de Modibo Diarra, régulièrement à plat ventre devant les militaires et incapable de réagir aux multiples violations des droits de l’homme par ces derniers, Dioncounda l’a maintenu à son poste. Mais il a entrepris parallèlement de rogner ses « pleins pouvoirs », en annonçant la création d’au moins quatre nouvelles instances devant s’occuper de questions relevant jusqu’alors de sa compétence. Un Haut Conseil a ainsi été annoncé, dirigé par le chef de l’État lui-même assisté de deux vice-présidents ; un Conseil national de transition, sorte de Parlement consultatif, est prévu, qui doit intervenir sur les questions liées à la gestion de la transition ; une Commission de négociations s’occuperait des pourparlers à mener en direction des groupes rebelles qui administrent de fait les deux tiers du territoire depuis cinq mois.
Nul ne sait encore si ces organes verront effectivement le jour, une partie de la classe politique ayant estimé qu’ils n’étaient pas prévus par la Constitution. Résultat : près de cinq mois après le début de la transition intérimaire, aucune action sérieuse n’a encore été entreprise qui laisse penser qu’une élection présidentielle pourrait se tenir dans les sept mois à venir. L’on se souvient qu’avant le coup d’État, les politiciens s’inquiétaient des retards pris dans la confection des listes électorales. La situation reste la même six mois plus tard. La carte électorale n’est plus une urgence, alors que la présidentielle est censée se tenir au plus tard en avril prochain – si le calendrier de la transition n’est pas modifié.
En raison des luttes de pouvoir, les priorités ont été inversées. L’accès aux strapontins ministériels a pris le dessus sur les actions de sortie de crise. Parallèlement, les groupes rebelles consolident leur emprise dans le Nord, l’armée de Sanogo n’étant plus aussi pressée qu’elle l’avait soutenu d’en découdre avec les groupes terroristes qui occupent le septentrion.
Le bilan est tout aussi mitigé s’agissant de la Cedeao. La force ouest-africaine de 3 300 hommes, promise à grand renfort de publicité, n’est toujours pas sur pied. L’organisation a bien réuni ses chefs d’état-major à Bamako à la mi-août, mais sans résultat décisif. Pour que ces troupes foulent le Mali, il faut une demande préalable des autorités maliennes. Cette demande n’est toujours pas parvenue au siège de l’institution à Abuja, au Nigeria. Et le capitaine Sanogo a, plus d’une fois, fait savoir qu’il n’accepterait pas que des troupes étrangères viennent sécuriser les organes de transition à Bamako. Cette posture gagne du terrain au Mali, où les habitants sont de plus en plus nombreux à considérer que le débarquement de troupes ouest-africaines serait une humiliation pour l’armée. On lui prête la capacité à libérer elle-même le Nord si on lui en donne les moyens. La Cedeao est désormais face à un dilemme : comment aider le Mali à recouvrer son intégrité territoriale sans que l’opération ne profite au capitaine Sanogo, qui aurait alors beau jeu de se présenter comme le « sauveur » du pays ?
Pendant que Maliens et Cedeao tergiversent dans le Sud, les rebelles du Nord ont une feuille de route bien plus élaborée, qu’ils appliquent méticuleusement. Les indépendantistes touaregs ayant été renvoyés dans le désert, les groupes salafistes Ansar Dine et Mujao, qui ne revendiquent (pour le moment) rien d’autre que l’institutionnalisation de la charia dans l’ensemble du pays, travaillent à rendre ce processus irréversible. D’abord au nord où ils alternent le chaud et le froid, jouant tantôt les gentils colporteurs de la bonne nouvelle du saint Coran, tantôt les justiciers impitoyables, n’hésitant pas à lapider à mort des couples non mariés ou à trancher la main des voleurs. L’agenda de Modibo Diarra n’a pas prévu quand, comment et avec quels moyens l’armée malienne entendait déloger ces salafistes, et il n’est donc plus exclu que le Mali sombre progressivement dans la République islamique. Dans un contexte où les politiques ont tous échoué, les militaires sont vomis par la communauté internationale, pendant combien de temps encore les Maliens résisteront-ils au fameux slogan des islamistes du monde entier, « Allah est la solution » ?