Les potentats africains ont plus travaillé à consolider leurs pouvoirs qu’à sortir le continent des crises multiformes qui l’affectent.
L’Afrique va mal! Ce n’est pas une vue de l’esprit que de le réitérer dans un continent qui n’a su ni saisir sa chance, ni fructifier ses potentialisations qui sont, restent, immenses. Le continent africain est globalement riche, mais ses populations sont pauvres. Les dirigeants africains – formatés dans le même moule, à une ou deux exceptions près – ont régné, règnent encore pour quelques-uns d’entre eux, sans partage sur leurs peuples allant jusqu’à fonder des dynasties. Le colonialisme y est pour beaucoup, qui laissa derrière lui les germes de la désintégration par les manipulations outrées des terres et des peuples. Mais, il serait par trop facile de rendre le seul colonialisme coupable de ce qui arrive à l’Afrique alors qu’elle avait tous les atouts en main pour être maîtresse de son devenir. Les dictateurs, qui ont fait main basse sur le continent et sevré les Africains des libertés, en ont décidé autrement. Des dictateurs qui se sont constitué des trésors en Occident (compte en banque, palais, châteaux…) au détriment des peuples africains qui souffrent de la faim, des maladies, du sous-emploi et, last but not least, la fuite des cerveaux. L’appauvrissement de l’Afrique était quasiment programmé au regard du vol organisé de ses richesses. C’est que dès les indépendances, les dirigeants africains ont fait tout faux quand le putsch a été promu au statut d’arbitre ultime consacrant le droit du plus fort. Aussi, les potentats africains ont plus travaillé à consolider leurs pouvoirs qu’à sortir le continent des crises multiformes qui l’affectent. Dans ce contexte, le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation peut n’avoir pas de sens eu égard, singulièrement, au charcutage auquel la colonisation s’est livrée sur de nombreux pays africains laissant autant de bombes à retardement. Nous l’avons vu en 1967 avec la sécession de la région orientale du Nigeria qui s’est muée en «République du Biafra» (la guerre a duré quatre ans). Aucune leçon n’a été tirée de cette expérience frustrante, puisque peu après, une longue guerre civile (elle dura 23 ans) aboutira en juillet 2011 à la partition du Soudan en deux pays. Avant la partition du Soudan, il y eut l’avènement de l’Erythrée qui s’est séparée de l’Ethiopie. L’affaire du Katanga et du Kivu en RD du Congo (ce pays n’est toujours pas sorti des complexes problèmes qui le minent), la guerre d’indépendance en Casamance (Sénégal) sont autant de faits qui montrent combien les dirigeants africains n’ont été ni à la hauteur, ni su assumer leurs responsabilités envers leurs peuples, envers l’Afrique. Aujourd’hui, au moment où les Touareg du Mali proclament l’indépendance du nord du pays, la Libye aussi se trouve au bord de l’implosion avec la proclamation de l’autonomie de la Cyrénaïque. Que dire du Nigeria, véritable baril de poudre avec ses 160 millions d’habitants divisés à parité entre les musulmans (au nord) et les chrétiens (au sud)? Faut-il rappeler le génocide entre Hutu et Tutsi au Rwanda en 1994? L’Afrique récolte aujourd’hui les retombées des triturations faites du continent par les empires coloniaux, mais il appartenait aux responsables politiques africains de faire en sorte que les mines à retardement laissées par la France et la Grande-Bretagne, notamment, se transforment en ferment pour une Afrique forte et créative, une Afrique riche de ses différences pour fonder l’égalité, les libertés et la démocratie. A contrario, on a ressuscité le tribalisme, accentué les distinctions ethniques, perverti les croyances, opposé chrétiens et musulmans (comment peut-on imposer la chari’â dans un pays où existe une forte minorité d’une autre religion?). Le résultat, on l’a vu au Soudan. Aussi, ce qui se passe aujourd’hui au Mali n’arrive pas uniquement aux autres surtout lorsque des pays ont à leur tête des dirigeants obtus exacerbant les différences quand il était attendu qu’ils fassent de ces diversités ethniques, religieuses, culturelles une richesse sans prix pour leurs pays. En lieu de quoi il y eut surtout la paupérisation des peuples africains, face à l’opulence et l’exhibition de fortunes choquantes des dirigeants africains.
Editorial de L’Expression Dimanche 08 Avril 2012