Les révélations de Serge Daniel, directeur de la Lettre confidentielle du Mali sur les dessous des transactions de coulisses qui ont abouti à la libération de 204 djihadistes contre la libération de quatre otages, trois européens et le leader de l’opposition malienne Soumaïla Cissé et le paiement de 30 millions d’euros.
Serge Daniel
Fin mars 2020. Le leader de l’opposition malienne, Soumaïla Cissé, est enlevé dans la région de Tombouctou (nord-ouest du Mali) où il est en campagne électorale. Quelques heures après, pour faire diversion, des doigts écrivent qu’il est libéré. Certains auteurs de cette affirmation sont en réalité manipulés.
L’idée est de donner le temps aux ravisseurs de celui que ses partisans appellent « Soumi » d’isoler, puis de conduire l’otage en lieu sûr. La stratégie a parfaitement fonctionné. Le désormais otage tombe rapidement dans les mains des hommes de Iyad ag Ghaly, qui est le chef de tous les jihadistes du Mali, d’obédience Al-Qaïda.
À Bamako, le Premier ministre s’appelle Boubou Cissé. Nous sommes le 5 mars 2020. Il signe nerveusement un ordre de mission (voir document page 3) à un homme d’affaires Chérif Ould Tahar. Le document lui donne « autorisation et mandat » pour « conduire toutes les démarches et formalités et conclure tous actes nécessaires » afin d’obtenir la libération de Soumaïla Cissé. Un homme dans l’ombre ouvre son carnet d’adresses. Il s’agit de Moustapha Chafi, ancien conseiller spécial de l’ex-président du Burkina Faso, Blaise Compaoré.
De Doha au Qatar où il réside (il s’apprête à rentrer en Mauritanie), Chafi a actionné ses réseaux dans le Sahel pour faire avancer les choses, à la demande d’un ami à Soumaïla Cissé.
D’après les informations de La Lettre Confidentielle du Mali (LLCM), très rapidement, la filière de négociations installée par le Premier ministre Boubou Cissé fait ouvrir nuitamment une pharmacie à Bamako. Des médicaments sont achetés et envoyés à celui qui est désormais otage. Tidiani Ben Alhoussein, homme d’affaires malien basé en Mauritanie, très influent et ami de Soumaïla Cissé, s’active. Il est en contact avec le Premier ministre malien. Dans le dispositif mis en place, le colonel Malamine Konaré joue un rôle crucial. Il connaît le milieu, les vraies et les fausses pistes. Un autre homme, Sidy Mohamed Kagnassy, homme d’affaires malien, conseiller du Président ivoirien Alassane Ouattara, agit de son côté au nom de son patron.
Les négociations avancent rapidement. Les ravisseurs remettent en mains propres au principal médiateur, Cherif Ould Taher, une lettre manuscrite sur laquelle figurent les conditions pour libérer Soumaïla Cissé. Dans le document, ils demandent deux millions d’euros et dressent une liste de prisonniers jihadistes à libérer des prisons maliennes.
Tout semble fonctionner. Approximativement, une date est même retenue pour libérer l’otage Soumaïla Cissé. Soudain, le canal de négociations du Premier ministre Boubou Cissé est « débranché ». Le président de la République de l’époque, IBK, demande aux services spéciaux de prendre le relais et de faire un doublé : obtenir la libération de Soumaïla Cissé et celle de l’otage française Sophie Pétronin, enlevée en décembre 2016 à Gao, principale ville du nord du Mali.
On mélange alors à nouveau les cartes. Un nouveau canal de négociations est créé. Le député malien Hamada Ag Bibi est mis sur orbite. Mais les choses vont se compliquer.
Les ravisseurs font monter les enchères, d’autant plus que l’Italie demande aussi que ses deux otages soient libérés. Les ravisseurs posent clairement comme condition : la libération d’une liste de prisonniers jihadistes. La Lettre Confidentielle du Mali (LLCM), sur la base d’informations crédibles, confirme que, le 5 octobre, au moins 203 personnes condamnées, en détention préventive ou secrète ont été libérées à Bamako et à Koulikoro, localité située à 60 km de Bamako. Conduits à Tessalit par avion, la majeure partie des prisonniers libérés ont quitté cette ville du nord du Mali pour les montagnes de Tigharghar, fief des jihadistes. D’autres jihadistes ont été libérés dans le centre du Mali.
Mais tout n’est pas pour autant réglé. Quelques jihadistes manquent à l’appel. Au dernier moment, les ravisseurs refusent de libérer les otages. Nuitamment, finalement, les dernières libérations de jihadistes interviennent depuis les prisons maliennes et/ou d’un pays voisin du Mali et le processus de regroupement des otages commence. Ils seront conduits à Tessalit où attendait un avion de l’armée malienne pour ramener tout ce monde à Bamako.
Mais dire que les quatre otages ont été libérés uniquement contre l’élargissement d’environ 200 jihadistes n’est pas exact. D’après les informations de La Lettre Confidentielle du Mali (LLCM), les ravisseurs ont finalement demandé dix (10) millions d’euros pour libérer Soumaïla Cissé, 10 millions d’euros pour libérer l’otage française Sophie Pétronin et 10 millions d’euros pour la libération des otages italiens, soit au total 30 millions d’euros. Une bonne partie de cette somme a été payée. Et peut- être une partie tombée du camion.
Par Serge Daniel
Directeur de la Lettre confidentielle du Mali
Numéro du 12 octobre 2020