Interview donnée en décembre 2015 à Gaza par Mahmoud Zahar, membre fondateur du Hamas à notre envoyé spécial à Gaza. Pour lui, même si le soulèvement actuel s’arrêtait aujourd’hui, ce serait un grand succès pour nous. Le bénéfice est considérable.
Des événements importants sont en cours, et il ne s’agit pas d’une production occidentale. La population de Cisjordanie ne reconnait plus à Mahmoud Abbas la qualité de négociateur pour un processus de paix. Et ils disent franchement qu’il a créé deux Etats, l’un sur le territoire de 48[1] et le deuxième pour les colons sur 60% de la Cisjordanie. Il n’y a pas d’Etat pour les Palestiniens. Abbas essaye maintenant de tirer bénéfice de la nouvelle intifada pour lancer un nouveau cycle de négociations pour 3 ou 6 mois avec le soutien de John Kerry et d’autres. En Cisjordanie les gens n’y croient plus, ils croient à l’intifada.
Et il y a escalade. Ils ont commencé par des manifestations puis ont jeté des pierres puis ils ont utilisé des couteaux, des voitures. Et ils ont étendu le champ de la contestation aux territoires de 48. Par exemple ils sont allés au sud de la Palestine à Beersheba la plus importante citée du sud, juste à l’est de Gaza. Tout a été filmé. Des soldats israéliens terrorisés à tel point que certains ont levé les mains en l’air et s’attendaient à être tués. C’est impressionnant, et ceci a un impact psychologique majeur sur la nouvelle génération en Israël. Un important général israélien, Eizenkot[2], a dit « qu’il n’imaginait pas comment ces enfants[3] de dix ou onze ans, quand ils voient leurs frères soldats courir et fuir devant le Palestiniens, dans sept ans quand ils seront nos soldats, pourraient nous protéger d’une agression massive ! »
Tout ceci échappe à l’imagination de Mahmoud Abbas, à l’imagination d’Israël, à l’imagination occidentale. Même si ce soulèvement s’arrêtait aujourd’hui, ce serait un grand succès pour nous. Le bénéfice est considérable. Si ça continue, l’effet sera cumulatif. Personne ne peut deviner quand cette intifada va s’arrêter, ou quand elle va reprendre. Si vous analysez l’intifada dans son sens politique, c’est un mouvement populaire massif qui peut être déclenché par des événements fortuits, comme un simple accident de la route en 1987, la visite de Sharon sur l’esplanade des mosquées pour la deuxième intifada. Ici c’est à la suite de cette famille palestinienne brulée vive par des colons. Personne ne peut imaginer quelle sera la cause demain.
A ce jour le résultat du soulèvement est un grand succès, au point que les Israéliens ont du modifier ce qu’ils appellent la « théorie de sécurité nationale ». Celle-ci était basée sur la destruction massive : pour assurer la sécurité d’Israël, nous devons détruire notre ennemi, physiquement et moralement, par des batailles courtes. Maintenant ils ajoutent : nous sommes menacés par notre ennemi, nous devons développer un système d’alarme précoce et un système de défense très efficace. Ils parlent de défense pour la première fois depuis 1966 ! Auparavant la terre était sûre, l’économie fonctionnait, le tourisme était florissant, la guerre était à l’extérieur. La théorie de sécurité nationale a volé en éclat. L’homme qui a médiatisé ce changement est Eizenkot. Et tout le monde en Israël l’accable : « Pourquoi l’avoir dit publiquement ? Cette théorie aurait du rester secrète ! »
[1] Terme utilisé pour nommer Israël dans les frontières d’avant 1967
[2] Gadi Eizenkot, chef d’état major de l’armée israélienne
[3] juifs israéliens