L’histoire de la crise à Madagascar se résume à une partie de dominos : Andry Rajoelina a renversé Marc Ravalomanana qui lui-même a renversé Didier Ratsiraka. Andry Rajoelina, l’actuel président de la Transition, n’ignore pas le sort réservé aux perdants dans la Grande Île : un billet d’avion aller simple, destination : loin. Marc Ravalomanana, renversé en 2009, est toujours en exil en Afrique du Sud. Didier Ratsiraka, renversé en 2002, est à Madagascar depuis la fin du mois d’avril, après onze ans d’exil en France.
Pour la bonne marche de l’élection présidentielle, dont le premier tour est toujours censé se tenir le 24 juillet, la communauté internationale avait fini par imposer le « ni ni », c’est-à-dire ni candidat Rajoelina, ni candidat Ravalomanana. Les deux avaient fini par dire d’accord, Ratsiraka s’étant tenu à l’écart du processus électoral, après avoir refusé de signer la feuille de route de sortie de crise mise en place par les médiateurs de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Aujourd’hui, deux d’entre eux sont candidats, et le troisième, Marc Ravalomanana, l’est virtuellement, à travers la candidature de son épouse. Comment cela a-t-il été possible ? Pourquoi ? Et avec quelles conséquences ?
Vendredi 3 mai, fin de matinée, dans un café à une centaine de mètres du palais présidentiel. Précisément à l’endroit où l’ancien président Marc Ravalomanana a été accusé d’avoir fait tirer sur des manifestants partisans d’Andry Rajoelina, le 7 février 2009. Cela a provoqué sa chute et l’accession au pouvoir de son rival, qu’on a dit aidé par la France. Le consommateur anglais redemande un café. « J’étais dans un taxi à ce moment-là. La foule, qui me prenait pour un Français, a commencé à secouer la voiture. Si je ne m’étais pas réfugié dans un magasin, je ne sais pas ce qui se serait passé. » À Madagascar, de manière générale, mieux vaut éviter d’être français lors d’une manifestation. Un téléphone sonne. « Tu ne devineras jamais ! » « Quoi ? Hugo Chavez a ressuscité ? » « Non, Andry Rajoelina est candidat ! »
Un sprint plus tard et nous voilà dans le bâtiment de la Haute Cour constitutionnelle qui abrite les bureaux de la Cour électorale spéciale (CES), en contrebas du palais présidentiel. La CES est l’organe indépendant mis en place dans le cadre de la Feuille de route de sortie de crise pour valider les candidatures à l’élection présidentielle, trancher les litiges et annoncé les résultats du scrutin. Dans la cour les listes des candidats sont placardées sur un panneau en bois. Un groupe de journaliste agglutiné devant écrit sur ses carnets le nom d’Andry Rajoelina, puis se disperse dans un calme absolu.
Comment Andry Rajoelina peut-il figurer sur cette liste alors qu’il ne figurait pas sur celle des personnes ayant déposé leur candidature dans les délais légaux ? Réponse, confirmée par la CES trois jours plus tard : Andry Rajoelina a bien déposé son dossier, mais après le délai légal. Il a été validé, au nom de « la liberté de tout citoyen de se porter candidat à toutes les élections ». Sur le tableau, figurent aussi les noms de Lalao Ravalomanana et de Didier Ratsiraka. La Cour a estimé en substance que s’ils n’étaient pas chacun en exil politique, ils auraient vécu à Madagascar les six mois précédant le premier tour, condition exigée par le Code électoral.
La cour de la HCC est déserte. Il fait froid. À Madagascar, c’est l’automne. Les trois camps opposés de la crise auraient de toute façon été représentés. Mais par ces trois-là ? Et notamment Rajoelina et Ravalomanana, à l’origine du blocage de la crise depuis quatre ans, qui avaient juré qu’ils ne seraient pas candidats ?
Dans une salle de conférence d’un grand hôtel de la capitale, le parlementaire Roland Ratsiraka, candidat à l’élection présidentielle, saisit un micro pour conclure, en présence des représentants de vingt-quatre autres candidats : « Constatant l’acceptation de certaines candidatures, manifestement irrecevables, et l’ajout clandestin d’une candidature au-delà de la limite de dépôt […] nous notons un manque de partialité et de crédibilité manifeste de la CES. » Il annonce une proposition de loi pour en remplacer les membres.
À l’étage au-dessus, feutre noir, imperméable, lunettes fines et élégance très « guerre froide », l’ancien ministre des Affaires étrangères et candidat Pierrot Rajaonarivelo déclare : « On se demande vraiment si on est dans un État de droit ou pas. » Captée via un téléphone portable, la radio RFI donne les explications d’Andry Rajoelina : « À ma grande surprise, j’ai appris que l’ancien président [Marc Ravalomanana] s’est présenté aux élections présidentielles à travers son épouse. Il y avait aussi l’ancien président Didier Ratsiraka qui a déposé sa candidature. Je me suis donc dit : c’est une élection libre qui devrait être transparente, pourquoi ne me présenterais-je pas aussi, maintenant que la CES a validé la candidature de tout le monde. » Logique.
Lalao Ravalomanana était rentrée officiellement pour s’occuper de sa mère malade mi-mars, à la condition de ne pas participer à la vie politique du pays. Didier Ratsiraka était rentré pour participer à une autre initiative de sortie de crise que les élections, la Conférence pour la réconciliation nationale. Il avait même déclaré à Afrique Asie : « Les élections ne sont pas une fin en soi ». Andry Rajoelina avait promis de ne pas se présenter lors d’un discours à la nation en janvier dernier, salué par la communauté internationale. Quant à Joaquim Chissano, le chef de la délégation de la SADC, médiatrice dans la crise malgache, il s’enfuit dans un ascenseur pour éviter les questions. Dans le hall, un pianiste de jazz joue une balade mélancolique.
Dans une salle du Centre de conférences aux deux tiers pleine – moins qu’à l’ouverture –, le président du Conseil œcuménique des Églises chrétiennes de Madagascar (FFKM), aube blanche et écharpe rouge, s’avance vers le micro. Derrière lui, un panneau avec une grande croix chrétienne, et devant, au premier rang, deux anciens présidents : Didier Ratsiraka et Albert Zafy. Plus une chaise vide : celle d’Andry Rajoelina. Deux jours après l’affichage de la liste définitive des candidats, c’est la clôture de la Conférence pour la réconciliation nationale. Mgr Odon Razanakolona annonce la conclusion émise par les participants à la conférence : le report des élections. Applaudissements.
Le reste de la semaine ne sera qu’une suite de communiqués qui feront vibrer la presse. La France dit sa « déception » devant « la décision de la Cour électorale spéciale de déclarer recevable la candidature de M. Andry Rajoelina à l’élection présidentielle de Madagascar, de même que celles de Mme Lalao Ravalomanana et de M. Didier Ratsiraka. » Elle exprime ses « regrets » que « M. Rajoelina rompe l’engagement solennel […] de ne pas se porter candidat à l’élection présidentielle malgache », tout en souhaitant voir les élections aboutir. L’Union européenne, principal bailleur de fonds (17 millions d’euros, soit un tiers du budget), tient le même discours. Quant à la SADC, elle demande le retrait des trois candidats, mais sans annoncer de sanctions dans le cas contraire. Comme la France, elle souhaite voir les élections se tenir en temps et heure. Les trois parties ont réagi : Rajoelina, Lalo Ravalomanana et Ratriraka maintiennent leurs candidatures.
À moins de nouveaux rebondissements, le scénario politico-électoral est quasiment bouclé : les élections se dérouleront comme prévu car, selon des sources proches du dossier, en cas inverse, la communauté internationale perdrait dans l’instant au moins 10 millions d’euros. Elle accepte de fait les candidatures illégales et irrégulières, des trois principaux protagonistes de la crise malgache. Ce n’est pas sa seule entorse à la légalité : elle tolère aussi que beaucoup de candidats soient déjà en campagne, et que la plupart d’entre eux n’aient toujours pas démissionné de leurs postes ministériels ou parlementaires.
La seule ligne rouge qui pourrait provoquer le retrait de la communauté internationale du processus, ce serait la non-démission d’Andry Rajoelina. En effet, puisqu’il est candidat, le président de la Transition devait démissionner « soixante jours avant le premier scrutin », selon la feuille de route de sortie de crise, soit le 24 mai. L’aura-t-il fait au moment où nous mettions sous presse ? Quelle qu’aura été sa décision, Madagascar n’est toujours pas sorti de l’auberge.