Le temps presse pour l’Ukraine. Après 18 mois de guerre, la question n’est plus de savoir si l’alliance occidentale va vaciller, mais quand écrit le colonel Richard Kemp dans une opinion parue dans le quotidien britannique The Telegraph connu pour ses positions conservatrices et pour la guerre en Ukraine. Revue de presse.
Colonel Richard Kemp
Depuis le début, bien qu’elles aient fait les bons discours et fourni du matériel militaire, la France et l’Allemagne, en particulier, ont été des partenaires réticents. Leurs dirigeants ont souvent semblé plus préoccupés par la recherche d’une « voie de sortie » pour Vladimir Poutine que par l’éjection de ses forces d’Ukraine. Outre la dépendance à l’égard de l’énergie russe, l’instinct pacifiste des classes politiques d’Europe occidentale a conduit à une négligence de leurs forces armées et à une peur correspondante de l’escalade.
Les États-Unis, qui se taillent la part du lion dans le soutien apporté à l’Ukraine, sont à l’origine de cette guerre. Pourtant, dès les premiers jours, le président Biden a lui aussi traîné les pieds, apportant une aide militaire tout juste suffisante pour que l’Ukraine continue à se battre, mais intentionnellement insuffisante pour lui permettre de remporter la victoire.
À l’instar de ses alliés d’Europe occidentale, M. Biden a été dissuadé avec succès par les menaces vides de Poutine d’étendre la guerre. La crainte de provoquer Poutine explique son incapacité à fournir les armes dont le pays a un besoin urgent, notamment des avions de combat et des missiles à longue portée, ainsi que sa résistance obstinée à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
Aujourd’hui, les sondages, tant en Europe qu’aux États-Unis, montrent que le soutien de l’opinion publique à l’aide militaire à Kiev est en baisse, une enquête récente indiquant que moins de 50 % des Américains sont en faveur d’un financement supplémentaire. Cette situation reflète, du moins en partie, la lenteur des progrès de la contre-offensive ukrainienne, qui n’a enregistré que des gains limités jusqu’à présent.
Les analystes militaires occidentaux et les médias s’attendaient à ce que Kiev réitère cet été ses victoires éclatantes de l’automne dernier à Kharkiv et à Kherson. Aujourd’hui, les gens se demandent s’ils en ont pour leur argent et si les investissements considérables consentis par leurs pays déboucheront un jour sur quelque chose de concret.
La corruption ukrainienne suscite également une inquiétude croissante, amplifiée par les voix qui s’opposent à l’engagement américain en Europe pour d’autres raisons. Les préoccupations liées à la corruption doivent être prises en compte, mais elles ne doivent pas l’emporter sur l’intérêt stratégique primordial de l’Occident, qui est d’empêcher une victoire russe.
Zelensky est manifestement conscient que le soutien de l’Occident est sur le point de s’effondrer, et ses récentes actions peuvent indiquer un certain degré d’inquiétude. Il a, par exemple, emprisonné le magnat présumé corrompu et ancien gouverneur de province Igor Kolomoisky, un allié et un partisan de longue date. Il a limogé le ministre de la défense, Oleksii Reznikov, au plus fort de la guerre, là encore sur fond d’allégations de corruption. Ce dernier pourrait être le signe d’un changement prochain de la stratégie militaire de l’Ukraine.
Rien de tout cela ne fera une différence significative. Aucun ajustement stratégique ne peut inverser le cours de la guerre sans une augmentation considérable de l’aide militaire. Et que l’on s’attaque ou non à la corruption, Olaf Scholz, Emmanuel Macron et, surtout, Joe Biden exerceront des pressions sur Kiev pour qu’elle accepte de négocier, tôt ou tard. M. Biden l’a prédit l’été dernier, lorsqu’il a écrit que les États-Unis armaient l’Ukraine non pas pour vaincre l’agression russe, mais pour « se battre sur le champ de bataille et être dans la position la plus forte possible à la table des négociations ». Poutine ne jouera probablement le jeu – bien que cela soit loin d’être certain – que s’il peut conserver le territoire ukrainien qu’il a illégalement annexé et si l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’est pas remise en cause de façon permanente.
Ce serait évidemment un désastre pour l’Ukraine, mais aussi une défaite pour l’OTAN. Pour Poutine, il s’agirait d’une victoire qui l’encouragerait à poursuivre son agression contre l’Ukraine et l’Occident dans les années à venir.
Si ce scénario se réalise, un Occident humilié aura besoin d’une solide stratégie de limitation des dégâts. Cela impliquerait le renforcement des forces de l’OTAN, qui n’a pas encore été sérieusement abordé des deux côtés de l’Atlantique. Rien n’indique, par exemple, que l’Allemagne établisse un budget pour atteindre le minimum de dépenses de défense de l’OTAN, soit 2 % du PIB, malgré ses promesses. Le Royaume-Uni continue d’opérer de nouvelles coupes dans son armée sous-dimensionnée.
Un deuxième volet consisterait à poursuivre la guerre économique contre une économie russe affaiblie, afin de souligner le prix à payer pour mener une guerre agressive et de saper la capacité de Moscou à se réarmer. Cette approche est très problématique. Il ne fait aucun doute que tout accord de paix impliquerait la levée des sanctions. Il faut donc des moyens plus imaginatifs pour étouffer l’économie de guerre de la Russie. L’interdiction des livraisons d’armes en provenance de l’Iran et de la Corée du Nord – qui représentent tous deux une grave menace pour l’Occident – devrait être sérieusement étudiée.
Une autre voie importante consiste pour les États occidentaux à parrainer des actions judiciaires civiles contre les avoirs russes gelés, qui s’élèvent actuellement à environ 600 milliards de livres sterling dans le monde. À titre d’exemple, citons l’initiative britannique à but non lucratif PayBack4Ukraine, qui cherche à saisir des avoirs par voie judiciaire afin de financer les réparations des victimes de l’agression de Poutine. Cette forme de « guerre du droit » pourrait changer la donne en coupant les ailes de la Russie et enverrait également un signal clair contre toute agression future à des États tels que la Chine et l’Iran. Mais une approche stratégique est nécessaire, comme la création d’un tribunal international dédié spécifiquement à ce type de litige. Pour maximiser l’effet de la levée des sanctions, ce tribunal doit être mis en place avant tout pourparler de paix.Si l’Occident n’est pas en mesure d’aider l’Ukraine à mettre un terme à la saisie de son territoire par la Russie, il doit planifier des mesures décisives pour le lendemain, plutôt que de répéter les erreurs qui ont suivi l’accaparement de la Crimée par Poutine en 2014 et qui ont conduit directement à l’invasion de 2022.
Le colonel Richard Kemp est un ancien officier de l’armée britannique.
The Telegraph
Le président américain Joe Biden et le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors du sommet de l’OTAN.