Le livre de Daud Abdullah est certainement le plus solide des livres consacrés à la politique étrangère du Hamas, en anglais comme en français.
Par Christophe Oberlin*
Pour beaucoup, le Hamas est un groupement palestinien politico-religieux classé sur la liste des organisations terroristes. Ceux qui en savent davantage se souviennent confusément d’élections palestiniennes anciennes suivies d’une sorte de coup d’Etat divisant les « territoires palestiniens » en deux : la Cisjordanie dirigée « légalement » par l’Autorité Palestinienne, et la Bande de Gaza « dirigée d’une main de fer par le mouvement islamiste ». Cette dernière formule étant même retrouvée dans certains travaux de recherche en Sciences Politiques.
Peu savent que le Hamas, tout en développant une stratégie de participation aux processus électoraux selon le même schéma que celui des démocraties libérales occidentales, a cherché dès sa création en 1987 et jusqu’aujourd’hui à développer un réseau de relations internationales. Le livre de Daud Abdullah (1) intitulé The Making of Hamas’s foreign policy, riche de près de 600 références bibliographiques, et appuyé sur une série impressionnante de récits par les acteurs eux-mêmes du mouvement, démontre la constance et la cohérence de cette politique étrangère. Point de « tournant à 180° », mais une adaptation réaliste aux événements intercurrents. Comme l’impact de l’occupation du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein alors que le Hamas − qui s’en souvient − et à l’inverse d’Arafat, condamna l’invasion ; la déportation à Marj el Zohour au Liban qui, loin d’étouffer le mouvement, lui permis d’accéder à la notoriété internationale. Des récits séparés particulièrement intéressants sont consacrés aux rapports du Hamas avec des pays comme la Chine, la Russie, l’Afrique du Sud, l’Inde ou le Brésil. Des relations basées sur cinq principes : indépendance, non ingérance, consensus, évitement des conflits, limitation de la résistance armée à la Palestine du mandat britannique.
Le livre de Daud Abdullah est certainement le plus solide des livres consacrés à la politique étrangère du Hamas, en anglais comme en français. Mis à part l’ouvrage de Aude Signoles (2), concis et sans parti pris, mais déjà ancien, les autres livres ou articles longs publiés en français restent marqués par l’idéologie. Des livres à charge, utilisant un vocabulaire volontiers méprisant à l’égard d’un mouvement qui représente pourtant la moitié de l’électorat palestinien. Un poids électoral qui inquiète Israël et ses amis occidentaux. Il est regrettable que les publications françaises, sur lesquelles s’appuient volontiers médias et décideurs politiques, restent marquées par certaines idées préconçues, et farouchement attachées à une vision restrictive et erronée de la laïcité à la française. Daud Abdullah, par le sérieux de ses références et analyses, présente ici le résultat d’un remarquable travail de chercheur, tout en estimant son sujet. Il va jusqu’à comparer le pragmatisme britannique… à celui du Hamas ! On aimerait que la classe politique en tire leçon et cesse de prendre pour cible les sociétés musulmanes, y compris dans notre pays.
Christophe Oberlin
*Christophe Oberlin a traduit de l’anglais et préfacé le livre de Daud Abdullah