Dans un livre* exceptionnel, Victor Loupan relate, en se fondant sur des documents tombés dans le domaine public, comment et avec l’aide et pour les intérêts de qui, le monde a changé à partir de 1917.
Afin d’abattre un empire pluri-centenaire et s’y emparer du pouvoir, ceux qui ont réalisé la Révolution russe, ont dû dans un premier temps, dissimuler leur mouvement et travestir l’identité de ses chefs. Lénine, ce qui signifie « l’Homme de la Léna », n’était autre que Vladimir Illitch lianov que le pouvoir tsariste avait exilé le long de la Lena qui coule à l’extrémité orientale de la Sibérie. Quant à Trotski, il s’était échappé de sa relégation dans l’Orient russe en usurpant le nom d’un officier sous lequel il cachait celui de Lev Davidovitch Bronstein. Staline, pour sa part oblitérait derrière la dénomination de « l’Homme de fer », celle du Géorgien Yossif Vissiariovitch Djougachivili. Ces trois hommes, au premier plan devant un groupe résolu d’agitateurs professionnels ont incarné divers moments de l’ébranlement et de la fin de l’ancien ordre des choses.
Pourtant derrière ces révolutionnaires se tenaient de puissants intérêts d’argent, symbolisés par la banque Kühn and Loeb dirigée par Jacob Schiff, résolu depuis des lustres à briser le pouvoir des tsars. Ces financiers renforçaient leurs interventions grâce à leur association à la force d’Etats ennemis de Saint-Pétersbourg, en particulier l’Allemagne impériale, aussi bien que de puissances rivales de la Russie, en tête desquels les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Les uns autant que les autres ont encouragé, soutenu, financé, ou même armé un régime qu’ils affirmaient publiquement combattre. D’où la fameuse phrase de Lénine : « Les capitalistes vendront jusqu’à la corde qui permettra de les pendre ». Pour entrevoir l’enchevêtrement des acteurs qui ont frappé au cœur et saigné à blanc le colossal géant euro-asiatique, cherchant à le dépecer, le très informé livre de Victor Lupan entrouvre la porte. D’une plume agréable et riche d’informations, il soulève une partie du voile sanglant derrière lequel le délire idéologique de certains, manipulé par le cynisme avide de quelques tireurs de ficelles, a couvert le pays de millions de morts.
Il est hors de portée de décrire en quelques lignes le vaste dévoilement proposé par Lupan, dans un texte condensant une masse considérable de données, présentées de manière clairement intelligible. On peut observer que le feu de sa critique se focalise sur la personnalité de Trotski dont la relation avec la haute finance anglo-américaine aurait déterminé certains de ses comportements, inexplicables autrement. Ainsi se comprendrait l’ordre qu’il avait donné au commissaire politique de Mourmansk de laisser les troupes britanniques s’y installer librement et de collaborer avec elles. L’auteur relate aussi comment Trotski aurait imposé la vente du quart des réserves en or de l’Etat russe afin de payer, à l’avance, son oncle maternel afin qu’il monte et installe, à partir de rien, une usine de locomotives en Suède, laquelle devait ensuite fournir des motrices au réseau soviétique … Pourtant, la Russie disposait déjà d’une capacité de produire 5000 locomotives par an ! Ces quelques éléments d’une charge bien argumentée se comprennent d’autant mieux que Lupan avoue avoir été un communiste orthodoxe. On aurait aimé qu’il en dise plus sur Lénine et Staline. Ceci d’autant plus qu’il montre, au sein des premiers soutiens au nouveau pouvoir Rouge, la présence de luttes sournoises entre un courant téléguidé par Berlin et un autre proche de l’axe Londres-New York.
Ce livre qui ouvre des perspectives novatrices, mérite bien plus d’attentions que certains traités pesants et besogneux. L’essentiel y est rapidement dit et fondé sur des sources aisément vérifiables. Une lecture stimulante et décapante que l’on ne peut que recommander au lecteur intéressé à une connaissance sans a priori de l’Histoire.
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(*) Une histoire secrète de la révolution russe, Victor Loupan, Editions du Rocher, 196 p., 2017, 17,90 €