Les colloques consacrés au « terrorisme » se suivent et se ressemblent, sauf assurément celui qui s’est tenu à Genève, le 27 mai dernier, à l’initiative notamment de votre magazine en ligne prochetmoyen-orient.ch[1].
Pour la doxa dominante, Dae’ch et ses méthodes « barbares » ont vu le jour en Irak ! L’affaire est entendue par la presque totalité des experts cathodiques qui oublient tout simplement que les mêmes méthodes meurtrières ont largement eu cours en Algérie entre 1988 et 1998, une décennie noire et sanglante qui a fait quelque 200 000 victimes. Durant cette même période, les idéologues des GIA (Groupes islamiques armés) avaient déjà proclamé la renaissance du Califat en multipliant leurs atrocités dans une indifférence internationale généralisée.
Un ouvrage clef, fondamental et définitif éclaire cette période et l’ensemble des modus operandi mis en œuvre à l’époque. Son enquête historique, ses témoignages et ses déconstructions permettent d’établir les « filiations » – au sens bachelardien du terme, c’est-à-dire de manière conceptuelle et actualisée -, permettant justement de comprendre d’où vient réellement Dae’ch et ses différentes tactiques mortifères. Evidemment, paru en 2013, cet ouvrage [2] fabriqué et diffusé par une maison algérienne – Casbah-Editions -, n’a pu crever le plafond de verre des intelligentsias francophones blablatant au rythme des modes de Saint-Germain-des-Prés.
La censure passive – mais parfois délibérément orchestrée – dont a été victime ce travail pourtant essentiel à la compréhension du phénomène terroriste contemporain, s’explique par bien d’autres ruses de la raison. La première tient à l’identité et aux qualités de son auteur ; la deuxième relève des partis pris idéologiques qui refont surface dès qu’il est question de l’Algérie : un État dont il n’est toujours pas universellement admis qu’il s’est constitué comme République souveraine après une longue guerre de libération nationale ; enfin, la troisième touche à la centralité diplomatique et géopolitique de ce même État dont les détracteurs actionnent toujours et encore les leviers d’une « communication » puissante et diversifiée au nom des « droits humains », de la « bonne gouvernance » et de « compétence universelle ».
Licencié de la faculté de droit de Paris Panthéon-Sorbonne, Ali Haroun y obtient le CAPA (certificat d’aptitude à la profession d’avocat), puis un doctorat d’État. En 1955, il rejoint le FLN. En 1956, sous la responsabilité de Mohamed Boudiaf, il dirige Résistance Algérienne édité à Tétouan. En 1957, il gagne Tunis en compagnie d’Abane Ramdane désigné alors responsable d’El Moudjahid. Il est, en février 1958, muté à la Fédération de France du FLN, puis nommé membre du CNRA (Conseil National de la Révolution Algérienne). Après l’indépendance, il est député à l’assemblée nationale constituante (1962-1963). Dès la fin de son mandat, il se retire de toute activité politique et se consacre à son cabinet d’avocat jusqu’en 1991. Il est alors appelé comme ministre des Droits de l’homme (1991), puis devient membre du Haut Comité d’État (HCE) entre 1992 et 1994.
Son itinéraire, ses analyses et leurs « filiations » sont assurément insupportables aux chantres de la thèse du « coup d’État de janvier 1992 ». Documents et témoignages à l’appui, le livre déconstruit la fable du coup de force dans un contexte politique d’exceptionnel délitement où les islamistes venaient de bourrer les urnes en proclamant « un vote, une fois », alors que des listes de futurs égorgés étaient placardées sur la porte des mosquées d’Alger, de Constantine, de Blida et d’Oran.Il est aussi insupportable aux égorgeurs d’alors, aujourd’hui reconvertis en responsables d’ONGs installées en France, aux Pays-Bas, aux Danemark et en Suisse. Ces ex-jihadistes des GIA poursuivent aujourd’hui leur sale guerre par d’autres moyens avec la complicité passive – parfois délibérément active -, des responsables politiques de nos vieilles démocraties-témoins.
« Quant au génocide », écrit Ali Haroun, « ils y parviendront bientôt et le commettront ouvertement. Comme on l’a vu, en une seule nuit, à Raïs et autant à Bentalha, des centaines de personnes seront tuées à coups de hache, de sabre ou par égorgement. Les victimes non achevées seront précipitées dans les puits alentour. Et sidérés, l’on entendra plus tard la sœur de l’« émir » qui dirigea ce massacre infernal, avouer que pour s’emparer plus vite des bijoux de ses victimes, elle coupait les oreilles et poignets des femmes agressées, que son sinistre frère allait exterminer. Il aura fallu la destruction des tours jumelles du World Trade Center et l’atteinte à la puissance américaine, pour comprendre la nécessité de combattre le fléau mondial du terrorisme intégriste par des moyens radicaux ».
Le Rempart, explique et démontre pourquoi et comment s’organisa la riposte anti-terroriste : « dans l’urgence, on fut alors contraint d’édifier la digue indispensable pour contenir la furie de la violence intégriste. En effet, la protection d’un État républicain conforme aux aspirations des pères fondateurs de l’Algérie libérée, nécessitait de dresser un barrage de protection contre l’accès au pouvoir de ceux dont la décennie rouge allait dévoiler l’horreur ». Cette riposte n’a pas été un long fleuve tranquille, tant s’en faut, mais le pays a tenu, comme il tient aujourd’hui encore ses engagements nationaux et internationaux dans le contexte régional que l’on connaît et sur lequel il est inutile de gloser pour savoir qu’il pourrait implanter durablement Dae’ch sur les rives nord de la Méditerranée.
En définitive, le grand mérite de ce grand livre est d’élever, l’exemple algérien et ce que le pays a enduré dans une quasi-solitude, au niveau d’un « paradigme » rigoureusement nécessaire à la compréhension d’un phénomène qui n’a pas pris naissance seulement dans l’Irak du printemps 2013. Ce « paradigme algérien » constitue l’une des indispensables clefs pour comprendre, donc transformer la menace terroriste contemporaine.
Notes
[1] Les actes suivront
[2] Ali Haroun : Le rempart. La suspension des élections législatives de janvier 1992 face à la terreur jihadiste. Casbah-Editions, 2013.
Source : Proche&Moyen-Orient.ch
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