L’aide humanitaire à Gaza vise à préserver la dignité humaine, mais celle-ci ne peut être atteinte sans libération.
PAR SAMAH JABR*
Les organisations étrangères opérant à Gaza sous couvert d’aide « humanitaire » distribuent des « kits de dignité », qui comprennent des articles d’hygiène de base tels que du savon, des serviettes hygiéniques, des brosses à dents et parfois des sous-vêtements. Ces organisations affirment que leur objectif est de préserver la dignité des personnes, en particulier des femmes et des jeunes filles, pendant les crises.
Lors d’une récente livraison d’aide du gouvernement britannique à un hôpital de campagne à Gaza, l’ancien ministre des affaires étrangères David Cameron a déclaré : « De nombreuses personnes à Gaza souffrent ; personne ne devrait être privé des éléments de base de la vie comme un abri et un lit, et tout le monde mérite la dignité que procurent les kits d’hygiène essentiels ». Cette déclaration contraste toutefois fortement avec le soutien simultané du Royaume-Uni à Israël dans son génocide contre les Palestiniens de Gaza.
Ce soutien comprend l’assistance aux opérations militaires, la mise en œuvre d’accords avec le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahu concernant la formation conjointe de personnel militaire britannique et israélien, et la fourniture de services de renseignement contre les Palestiniens, comme l’attestent de nombreux rapports. Des avions britanniques ont effectué des missions de reconnaissance au-dessus de Gaza et des avions militaires israéliens se sont rendus en Grande-Bretagne dans des circonstances non divulguées. En outre, le Royaume-Uni facilite le soutien militaire des États-Unis à Israël par l’intermédiaire de ses bases à Chypre. Cette alliance militaire va de pair avec l’engagement de la Grande-Bretagne à défendre Israël sur la scène mondiale contre les critiques, en particulier à l’ONU et dans les forums juridiques internationaux. Malgré ces réalités, la couverture médiatique se concentre souvent sur la distribution de kits de dignité aux habitants de Gaza, ignorant le contexte plus large des actions israéliennes contre les Palestiniens.
Cette situation soulève une question essentielle : Comment la guerre détruit-elle la dignité ?
La guerre commence par la déshumanisation des civils par des discours et des actions qui les réduisent à de simples objets aux yeux des agresseurs, rendant ainsi acceptable la privation de leur dignité. À Gaza, les responsables israéliens ont comparé les Palestiniens à des animaux et à des insectes, tentant ainsi de justifier leur oppression. La guerre provoque des déplacements, déracinant les gens de leurs maisons et les forçant à vivre dans des conditions surpeuplées et dégradantes, les privant du contrôle de leur vie et renforçant leur dépendance à l’égard de l’aide extérieure. Les déplacements répétés, qui sont devenus la norme à Gaza, ont aggravé ce sentiment de perte de dignité.
La guerre brise également les dynamiques familiales et le tissu social qui maintient la cohésion, renforçant encore les sentiments d’isolement et d’impuissance et éloignant le concept de dignité.
Contrairement à l’aide qui reçoit l’attention de la communauté internationale, le maintien de la cohésion sociétale est ce qui nourrit véritablement les sentiments de dignité. La guerre détruit également les infrastructures essentielles, telles que les hôpitaux, les écoles et les systèmes d’approvisionnement en eau, privant les populations de leurs droits aux besoins fondamentaux et érodant davantage leur qualité de vie. Le ciblage des installations de soins de santé et l’assassinat de travailleurs médicaux à Gaza illustrent les efforts déployés non seulement pour effacer des vies, mais aussi pour anéantir la dignité qui les soutient.
La distribution de kits de dignité par les gouvernements et les organisations qui contribuent au siège et à la violence contre Gaza ou qui en sont complices est une contradiction flagrante.
L’exposition continue à la violence et aux traumatismes – des démolitions de maisons et des bombardements à la surveillance constante – engendre une peur et une insécurité omniprésentes, sapant la stabilité psychologique et dépouillant les individus du sentiment de sécurité fondamental qui fait partie intégrante de la dignité humaine.
Le problème des « kits de dignité » à Gaza est donc multiple.
La distribution de kits de dignité par des gouvernements et des organisations qui contribuent au siège et à la violence contre Gaza ou qui en sont complices est une contradiction flagrante. Ces entités, qui prétendent défendre la dignité, contribuent à créer les conditions qui privent les habitants de Gaza de leur humanité et de leur dignité. La distribution de ces kits est un geste superficiel qui masque leur rôle dans la perpétuation des causes profondes de la souffrance, presque comme un moyen de consoler la conscience occidentale en fournissant un peu de savon à ceux qui endurent une violence constante.
L’idée que la dignité peut être préservée ou restaurée grâce à des articles d’hygiène de base est également très troublante. Offrir du savon à ceux dont les familles ont été tuées et les maisons détruites banalise le concept de dignité, le réduisant à une simple propreté corporelle tout en ignorant les profondes blessures psychologiques et émotionnelles infligées par l’injustice. La véritable dignité est un sentiment intégral qui dépasse les biens matériels ; elle englobe le respect de soi, la valeur humaine et la capacité de vivre librement et de manière indépendante.
Pour la population de Gaza, la dignité est inextricablement liée à la libération de la violence et de l’occupation, au droit à l’autodétermination et à l’accès aux services essentiels sans dépendre de l’aide extérieure. La fourniture de biens matériels ne doit pas remplacer le soutien à la résistance palestinienne contre le génocide. Cette approche ne répond pas aux besoins profonds des habitants de Gaza ou des Palestiniens et peut être considérée comme une tentative d’apaiser la culpabilité de l’Occident tout en ignorant les violations persistantes des droits des Palestiniens.
Enfin, l’accent mis sur les femmes dans la distribution des kits de dignité reflète souvent une sensibilité imposée par l’Occident qui néglige la souffrance des hommes, en particulier ceux qui sont impliqués dans la résistance.
Les femmes sont souvent présentées comme des victimes sans défense, tandis que les hommes, en particulier les combattants de la résistance arabo-musulmane, sont soit ignorés, soit dépeints comme méritant moins d’empathie.
Les femmes sont souvent présentées comme des victimes sans défense ayant besoin d’une protection particulière, tandis que les hommes, en particulier les résistants arabo-musulmans, sont soit ignorés, soit dépeints comme méritant moins d’empathie. Cela renforce les stéréotypes traditionnels et empêche les hommes de recevoir les soins nécessaires, ce qui accentue encore les divisions entre les sexes – comme si les hommes étaient à blâmer pour avoir provoqué la guerre contre eux-mêmes et contre d’autres femmes, ce qui les exempte des kits occidentaux d’empathie et de dignité. La véritable justice exige une approche globale qui soutienne à la fois les femmes et les hommes, en reconnaissant leurs besoins individuels et collectifs.
Si les kits de dignité peuvent apporter un soulagement immédiat, ils ne remplacent pas la véritable dignité, qui ne peut être restaurée que par la libération de l’oppression. L’expression « kits de dignité » à Gaza est trompeuse et superficielle, car elle diminue la lutte profonde que mènent les Palestiniens pour leur liberté.
La véritable dignité n’est pas accordée par des objets matériels, mais par la fin de la violence et la reconnaissance des droits des Palestiniens à l’autodétermination et à la justice. À Gaza, la dignité est une valeur collective qui représente le droit du peuple palestinien à vivre dans la liberté et la sécurité. Toute tentative de restaurer la dignité par des biens matériels est une simplification arrogante d’une lutte bien plus profonde.
Samah Jabr
*Le docteur Samah Jabr est psychiatre et exerce dans les secteurs public et privé en Palestine, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle dirige actuellement l’unité de santé mentale du ministère palestinien de la santé. Elle est affiliée à l’université George Washington au sein de la division de la santé mentale mondiale, où elle est actuellement professeur clinique associé de psychiatrie et de sciences du comportement. Le Dr Jabr est également membre fondateur du réseau mondial de santé mentale de Palestine.
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