En Libye, la question n’est plus de savoir si une nouvelle intervention militaire occidentale aura lieu, mais quand et selon quelles modalités. La détermination politique de ses protagonistes est affichée : les États-Unis viennent d’obtenir de l’Italie l’autorisation d’utiliser la base militaire de Sigonella, en Sicile, pour envoyer des drones dans le pays.
Pas seulement en reconnaissance – comme ils le font déjà –, mais pour bombarder des objectifs militaires « précis » relevant du dispositif de Daech. Le 19 février, ils en donnaient un avant-goût en envoyant des avions de combat bombarder un des camps d’entraînement de l’État islamique (EI) Daech près de Sabratha, à l’ouest de Tripoli, à proximité de la frontière tunisienne. Le raid a fait plus de 50 morts, dont un Tunisien, Noureddine Chouchane, cadre opérationnel de l’EI, qui serait derrière deux attaques terroristes l’an dernier en Tunisie, au musée du Bardo à Tunis (22 morts) et à dans un hôtel près de Sousse (38 morts). Il aurait été par ailleurs associé à l’attaque de l’ambassade américaine dans la capitale quelques mois auparavant.
Alors que, sous des prétextes divers, des opérations secrètes étaient menées depuis des mois en territoire libyen, le raid américain a été interprété comme le signe avant-coureur d’une nouvelle « tempête du désert » au cœur du continent africain. Il intervenait après des fuites savamment distillées sur la préparation accélérée de plans de combat par l’armée française, et des déclarations menaçantes, voire belliqueuses, venant de Rome. L’Italie craint plus qu’aucun autre pays de la région la concentration, à moins de 500 kilomètres de son littoral, des troupes fanatisées, aguerries et solidement équipées de Daech, redéployées dans le golfe de Syrte, berceau de la famille Kadhafi.
Pour cette nouvelle coalition internationale en armes, le « chaos libyen » a assez duré. Elle l’a clamé sur tous les tons ces dernières semaines, après avoir pensé en tirer quelques bénéfices. L’effet boomerang de l’expédition punitive lancée en 2011 par Nicolas Sarkozy a tourné au cauchemar. Improvisée, conduite dans la précipitation, cette intervention sauvage a ruiné le pays et sa population, laissant le champ libre à des milices islamistes rivales assoiffées de pouvoir, de sang et de vengeance.
Rome, Paris, Washington et Londres n’attendent plus que le feu vert du gouvernement dit d’Union nationale de l’homme d’affaires tripolitain Fayez al-Sarraj, qu’ils ont porté sur les fonts baptismaux à Skhirat, au Maroc, essentiellement dans le but de remettre le couvert de l’horreur. Ils attendent, avec une certaine impatience désormais, qu’il soit enfin adoubé par le Parlement de Tobrouk – le seul qu’ils reconnaissent – pour être invités à franchir le Rubicon… avec ou sans l’accord du Conseil de sécurité des Nations unies. Faute de quorum, celui-ci a ajourné une nouvelle fois son vote, comme s’il voulait gagner encore un peu de temps. « Encore une minute, monsieur le bourreau ! »
Cependant, une nouvelle expédition militaire relevant, quoi qu’on dise, de la diplomatie surannée de la canonnière du xixe siècle en plein xxie siècle est-elle souhaitable ? Sachant que toutes les entreprises guerrières de ce type n’ont fait leurs preuves nulle part ailleurs – les pays ont été jetés dans la tourmente puis abandonnés dans leurs champs de ruines –, est-ce la solution ? Pour notre collaborateur Richard Labévière, « une intervention militaire étrangère en Libye serait la pire des catastrophes. Elle aurait comme principale conséquence de favoriser une jonction opérationnelle entre la nébuleuse AI-Qaïda au Maghreb islamique, Boko Haram et les shebab somaliens ».
Voisins directs de la Libye, l’Algérie avec une extrême fermeté, l’Égypte du bout des lèvres et la Tunisie par pure résignation ne la voient pas d’un bon œil non plus. Ces pays plaident chacun à sa façon pour une solution politique négociée entre Libyens. À l’évidence, dans cette atmosphère de guerre larvée, les médias mainstream et leurs coreligionnaires sont de nouveau à l’œuvre. Est-ce un hasard si l’Algérie, championne de la réconciliation et de la souveraineté nationale, devient soudain la cible d’une campagne de presse haineuse pour laquelle sont mobilisés ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur ?
Des mains turques, qataries ou saoudiennes ne cessent par ailleurs de jeter de l’huile sur le feu en vue d’attiser les conflits entre milices, les rivalités régionales et les idéologies intégristes. Chacun de ces parrains a son agenda propre, qui ne tient nullement compte de l’intérêt du peuple libyen. Meurtri par une guerre qui n’en finit pas de dérouler son cortège funèbre de morts et de « martyrs », fatigué et en proie aux privations, celui-ci n’aspire plus qu’à une vie paisible dans une patrie retrouvée et rejette de toutes ses forces « la paix des cimetières » que lui promettent tous ces va-t-en-guerre.