Le but évident du général Haftar est de tenter de mettre au pas les forces islamistes, qu’elles soient qualifiées de radicales ou de modérées. Son modèle est celui de la contre-révolution menée par le maréchal El-Sisi en Egypte.
Le général Khalifa Belqasin Haftar et le colonel Mokhtar Fernana, tribus du Warshefana, Ali Zeidan
Jusque là relativement discret, le général à la retraite Khalifa Belqasin Haftar est revenu sur le devant de la scène en menant une vaste opération militaire baptisée Dignité contre les extrémistes islamistes d’Ansar al Sharia, à Benghazi, le 16 mai 2014. Pour cela, il a utilisé des milices qu’il a appelé « Armée nationale libyenne ». Cette opération a été appuyée par des hélicoptères et des avions. Pour réunir une telle puissance, il a bénéficié de l’aide de la brigade des forces spéciales Al Saiqa du colonel Wanes Abou Khamadah et d’unités de l’armée régulière.
Dans la foulée, il a soutenu le coup de force lancé à Tripoli, le 18 mai, par les milices Zinten (brigades Qaqa et Al-Senvaiq), dirigé contre le Congrès général national (CGN) accusé d’être noyauté par les islamistes, dont d’anciens membres du Groupe islamique combattant libyen (GICL). Il a également appuyé la demande du colonel Mokhtar Fernana, chef de la police militaire, appelant à la dissolution du CGN pour le remplacer par un « Conseil présidentiel » qui devrait assurer le gestion des affaires courantes jusqu’aux élections prévues le 25 juin , si tout se passe bien.
En effet, le CGN est aujourd’hui dominé par les islamistes du « Parti de la justice et de la construction » (PJC) et du « Bloc de la fidélité au sang des martyrs ». Nouri Bousahmein, le président de cette instance a, en réaction, demandé à la milice « Bouclier central de Libye » de Misrata de venir à Tripoli protéger le parlement, les quelques centaines d’activistes d’Abdelhakim Belhadj[1], le « gouverneur militaire » de Tripoli n’y suffisant pas. Ces dernières sont entrées dans la capitale le 22 mai. Pour tenter de calmer le jeu, le Premier ministre démissionnaire, Abdallah Al-Theni[2], a demandé la mise en congé du CGN jusqu’aux prochaines élections. Il a également demandé aux milices Qaqa, Zenvaiq et Bouclier central de Libye, de quitter Tripoli. Pour le moment, il ne semble guère entendu.
Qui est Khalifa Belqasin Haftar ?
Né à Benghazi en 1949 dans la tribu al-Farjani, Haftar a effectué ses études en Libye avant de suivre un stage de formation en URSS. Il participe aux côtés de Kadhafi au renversement du roi Idriss en 1969. Il est alors « séculariste et nassérien ». Il devient chef d’état-major de l’armée libyenne qu’il mène au combat en 1986, lors son offensive dirigée contre la bande d’Aouzou, au nord du Tchad. C’est une déroute et il est fait prisonnier avec plusieurs centaines d’hommes. Le colonel Kadhafi ne voulant pas reconnaître cet échec cuisant, il désavoue publiquement son chef d’état-major en reportant sur lui une supposée insubordination ayant conduit à la défaite. Haftar en gardera un grand sentiment d’injustice. Sur intervention de Washington, il est libéré en 1990 et rejoint les Etats-Unis. Il s’installe près de Langley où se trouve le siège de la CIA. En 2011, il retourne en Libye pour participer à la guerre contre son ancien maître auquel il voue une haine tenace. Il se retrouve numéro trois de la résistance armée en tant que chef de la branche militaire du Front national du salut de la Libye (FNSL) et se voit nommé général. Il aurait bien aimé en être le leader. En février, il tente sans succès de renverser le Premier ministre de l’époque, Ali Zeidan. Ce dernier sera finalement démis de ses fonctions le 11 mars par le CNG. Curieusement, Zeidan ne semble pas en vouloir au général puisqu’il s’est rallié à sa cause, fin mai 2014.
Le mouvement impulsé par le général Haftar est soutenu à l’intérieur par les milices Zinten, Jumaa Al Sayeh – le chef des tribus du Warshefana -, le ministre de la Culture Habib Lamine, par l’Alliance des forces nationale (AFN) – le deuxième parti politique libyen -, par le chef des fédéralistes de Cyrénaïque, Ibrahim Jadhrane et tous les chefs d’état-major de l’armée.
A l’extérieur, il est considéré avec bienveillance par le Grand mufti d’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, l’Egypte et l’Algérie. Le président tunisien Moncef Barzouki est, quant à lui, plus réservé. En ce qui le concerne, le département d’Etat américain a officiellement déclaré : « nous ne soutenons ni n’approuvons ses actions sur le terrain, pas plus que nous lui apportons assistance ». La réalité est plus complexe. Haftar se rendrait fréquemment en Italie pour y rencontrer discrètement des émissaires américains. Il est très proche de Salem Al-Hassi, le puissant chef des services de renseignement libyens depuis 2012, qui a été son adjoint d’Haftar dans la résistance armée.
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Le but évident du général Haftar est de tenter de mettre au pas les forces islamistes, qu’elles soient qualifiées de radicales ou de modérées. Son modèle est celui de la contre-révolution menée par le maréchal El-Sisi en Egypte. A la différence de ce dernier, il ne bénéficie pas d’un outil militaire puissant, la Libye étant déchirée entre des centaines de groupes armés qui tiennent des petits territoires où ils font régner leur loi. La situation est si instable que l’Algérie vient de décider de fermer sa frontière et la Tunisie restreint au maximum les sur la sienne. Pour l’instant, la communauté internationale regarde avec circonspection ce qui se déroule en Libye. Est-ce le début d’un changement qui pourrait ramener un peu d’ordre ou un épisode de plus dans le chaos dans lequel est plongé le pays ? Le problème majeur réside dans la question : quelle est vraiment l’assise populaire du général Haftar ?
[1] Ancien responsable du GCIL puis d’Al-Qaida en Irak.
[2] Il a démissionné peu après avoir été nommé car il a été l’objet de menaces. Son successeur, Ahmed Miitig, n’a pas encore obtenu la confiance du CGN.
Source : CF2R
https://www.cf2r.org/fr/notes-actualite/libye-le-general-haftar-homme-des-americains.php
NOTE D’ACTUALITÉ N°355