Journée sanglante dans la grande ville du Liban-Nord, au moins neuf morts.
Après un début de soirée relativement calme dans la ville de Tripoli, la tension est montée d’un cran mercredi dans la grande ville du nord après la mort de deux enfants, tués par des tireurs embusqués qui sévissent dans les quartiers rivaux de Bab el-Tebbaneh (sunnite) et de Jabal Mohsen (alaouite).
Le commandement de l’armée libanaise a annoncé dans un communiqué diffusé en début de soirée que deux soldats ont été blessés lors des accrochages, alors que cinq personnes soupçonnées d’avoir participé aux affrontements armés ont été arrêtés.
De son côté, la chaîne de télévision OTV a indiqué que trois grenades ont été lancées sur la rue Syrie mercredi soir. La OTV a aussi précisé que les tireurs embusqués ont ouvert le feu à plusieurs reprises en début de soirée. Un fait confirmé par la radio Voix du Liban (VDL) qui a précisé que deux enfants ont été tués par les tireurs embusqués sur le rond point Abou Ali, adjacent à la rue de Syrie qui sépare les deux quartiers rivaux.
Au total, neuf personnes ont péri depuis mardi lors d’accrochages à Tripoli (Liban-Nord) entre des sunnites hostiles au régime en Syrie voisine, et des alaouites partisans du président Bachar el-Assad, selon différentes sources.
Quatre personnes ont péri mercredi durant la journée, abattues par des tireurs embusqués dans des accrochages entre les quartiers rivaux de Bab el-Tebbaneh (sunnite), et Jabal Mohsen (alaouite), a affirmé cette source.
« A Bab el-Tebbaneh, Zacharia Othmane, Mehdi al-Beik et Khodr Hanoub ont été tués mercredi et Khaled Salem, 27 ans, a péri dans la nuit », a déclaré cette source à l’AFP, ajoutant qu’un quatrième homme, Ali Habbabeh, avait été tué mercredi à Jabal Mohsen.
Mardi, un habitant du même quartier alaouite, Mohamed Ibrahim, 65 ans, avait été tué par balles, de même qu’Abderrahmane Nasouh, résident de Bab el-Tebbaneh, a poursuivi la source.
Les affrontements sporadiques qui opposent des habitants de Jabal Mohsen à ceux de Bab el-Tebbaneh ont également fait 57 blessés, dont deux soldats libanais déployés dans la zone, de même source.
Les deux quartiers s’affrontent régulièrement, surtout depuis le début de la crise syrienne. Les tensions se sont aggravées depuis la mort en Syrie de vingt-et-un jeunes sunnites libanais et palestiniens originaires de Tripoli et du Akkar qui avaient rejoint la rébellion contre Assad.
Une source au sein des services de sécurité libanais avait indiqué que « les jeunes gens, passés en Syrie pour combattre avec les rebelles, étaient tombés dans un traquenard et avaient été tués près de la ville de Tall Kalakh dans la province de Homs » (centre), frontalière du Liban. Cette source avait précisé que 14 corps avaient été amenés par les troupes gouvernementales dans un hôpital syrien. Les corps des 21 islamistes auraient été enterrés dans une fosse commune.
Mardi, des sources médiatiques ont mentionné les noms de cinq des 21 islamistes tués : Malek al-Hajj Dib, 23 ans, Abdel Karim Ibrahim, 18 ans, Abdel Rahman al-Hassan, 22 ans, Youssef Abou Arida, 26 ans, et Bilal Khodr al-Ghoul, 22 ans.
De nombreuses rumeurs circulent toutefois quant aux circonstances exactes de la mort de ces Libanais.
De nombreuses zones d’ombre entourent le drame de Tell Kalakh
Le ministre libanais des Affaires étrangères Adnane Mansour a demandé lundi aux autorités syriennes le rapatriement des corps des Libanais tués vendredi dernier en Syrie aux côtés des rebelles.
Le ministre a présenté cette requête à l’ambassadeur de Syrie au Liban, Ali Abdel Karim Ali, qui a annoncé, dans un communiqué, que le gouvernement de son pays « étudiera cette demande, pour des raisons humanitaires, et déterminera prochainement, avec le concours de M. Mansour, les modalités de son règlement ».
Vendredi, entre 17 et 21 jeunes sunnites libanais, selon les sources, ainsi qu’un Palestinien, partis le matin même de Tripoli, avaient péri à Tell Kalakh, une ville syrienne frontalière où ils étaient venus combattre l’armée régulière syrienne.
Une source au sein des services de sécurité libanais avait indiqué que « les jeunes gens, passés en Syrie pour combattre avec les rebelles, étaient tombés dans une embuscade et avaient été tués dans la province de Homs », frontalière du Liban. Cette source avait précisé que 14 corps avaient été amenés par les troupes gouvernementales dans un hôpital syrien.
Les parents réclament une enquête
Meurtris par la nouvelle de la mort de leurs fils, des parents de Tripoli ont demandé qu’une enquête soit ouverte au sujet de la partie qui les a endoctrinés et envoyés à la mort.
Le père de l’une des victimes, Khodr Alameddine (20 ans), étudiant en première année de la faculté des lettres de l’Université libanaise, s’est confié hier au quotidien al-Chark el-Awsat pour dire que son épouse et lui-même ignorent tout de l’identité du groupe qui a pu endoctriner leur fils.
Le père du jeune « martyr », Moustapha Alameddine, a affirmé qu’il avait reconnu son fils à la blouse jaune qu’il portait, sur des images des corps sans vie diffusées par la télévision syrienne. « Mon fils a quitté la maison mercredi à 15 heures, sans rien dire de ses intentions. Nous l’avons cherché jusqu’à vendredi, quand on nous a appris qu’il a été tué en Syrie », a-t-il souligné.
« Il se rendait à des mosquées dont les imams tenaient des discours modérés, a ajouté le père, mais dernièrement, il avait commencé à parler plus souvent du jihad, et nous avions demandé à des dignitaires religieux de le ramener à des sentiments plus modérés. »
Moustapha Alameddine a affirmé qu’il ne connaissait pas le groupe qui avait endoctriné son fils, ni aucun de ses compagnons tués. « Nous demandons à l’État d’enquêter à ce sujet et de déterminer les circonstances de ce départ fatidique vers la Syrie. Nous voulons savoir qui endoctrine nos enfants, se joue de leur jeune intelligence et les entraîne à la mort », a-t-il conclu.
Le père de Khodr Alameddine a enfin affirmé se méfier de toutes les actions de protestations organisées après la mort de son fils et de ses camarades. Il a dénoncé l’exploitation de leur mort à des fins politiques.
Le Hezbollah impliqué ?
Rumeurs et indications impossibles à vérifier se sont multipliées hier, au sujet des circonstances dans lesquelles les jeunes combattants libanais ont été tués.
Selon le quotidien koweïtien as-Siassa, des indicateurs du Hezbollah infiltrés dans les rangs jihadistes à Tripoli seraient à l’origine de la fuite qui a permis l’interception du groupe de Libanais se rendant en Syrie. L’homme aurait ainsi alerté son parti qui, à son tour, aurait alerté les renseignements syriens.
Un autre quotidien koweïtien, al-Anba’, a affirmé pour sa part que c’est un élément du groupuscule islamiste Fateh el-Islam, précédemment emprisonné au Liban et retourné durant son séjour en prison, qui aurait « donné » le groupe de jihadistes libanais.
Pour sa part, citant des informations qui lui sont parvenues de l’intérieur syrien, le député Khaled Daher (courant du Futur) a affirmé que ce sont les renseignements de l’armée de l’air syrienne qui ont tendu aux combattants libanais l’embuscade qui leur a coûté la vie, précisant que les combattants qui n’ont pas été tués ont été emprisonnés et emmenés à Damas.
« L’enthousiasme de ces jeunes fait honneur à leurs parents », a affirmé le parlementaire, précisant que leur motivation se renforce quand ils apprennent que le Hezbollah est engagé aux côtés du régime syrien et des gardiens de la révolution iranienne, dans la répression féroce du peuple syrien et la protection du régime Assad.
Tortures
Le frère de l’une des victimes, Jihad Hage Dib, a assuré pour sa part que les jeunes Libanais ont été arrêtés vivants, mais que le régime syrien les abat au fur et à mesure de leur interrogatoire, après les avoir torturés. L’homme a tiré ses conclusions de certaines images diffusées par la télévision syrienne, à partir de Tell Kalakh. Ainsi, il a avancé que l’un des jeunes prisonniers, Youssef Abou Arida, avait pu joindre sa sœur au téléphone, affirmant que « les chabab sont vivants », mais que sa voix tremblait au téléphone et laissait penser qu’il était battu. « Hier, a-t-il ajouté, son cadavre est apparu à la télévision. »
Selon l’homme, les jeunes combattants n’ont même pas eu le temps de franchir la frontière syrienne. « La nouvelle de leur rassemblement, qui a duré une demi-heure, et de leur départ s’est sue à Baal Mohsen, a-t-il dit, et des combattants des éléments de la “ brigade el-Assad ” les ont pris en filature, les interceptant avant Tell Kalakh. » « Ils étaient sans armes et parmi eux figuraient des secouristes, a-t-il précisé. Quatre des jeunes combattants ont été tués, dont Bilal el-Ghoul. Les autres ont été arrêtés et livrés aux renseignements syriens. »
Le Bloc du Futur, dirigé par le chef de file de l’opposition sunnite anti-syrienne Saad Hariri, a fait porter au gouvernement et au Hezbollah chiite qui le domine la responsabilité de leur mort.
Mercredi, l’ambassadeur de Syrie au Liban, Ali Abdel Karim Ali, a notifié les autorités libanaises de l’accord de son pays pour le transfert des corps des 21 islamistes, a indiqué une source diplomatique libanaise à l’AFP.
L’ambassadeur syrien « a contacté le ministre libanais des Affaires étrangères Adnane Mansour et l’a informé de l’accord des autorités syriennes » à la demande libanaise de rapatrier les corps des jeunes sunnites, a déclaré cette source. Elle a ajouté qu’une rencontre devait avoir lieu mercredi après-midi entre les deux parties afin de discuter des modalités de ce transfert.
Le Premier ministre Nagib Mikati avait sollicité la veille l’intervention du Comité international de la Croix-Rouge pour obtenir leur rapatriement.
Sur le plan politique, le président de la République libanaise, Michel Sleiman, a exhorté les Libanais à favoriser la neutralité et à ne pas s’impliquer dans la crise syrienne. Il a également appelé les responsables à mettre un terme à « leur rhétorique vindicative » et les médias à souligner l’importance du dialogue. « Il est de notre devoir de n’armer aucune partie en Syrie », a martelé le chef de l’Etat.
M. Sleiman a réitéré son appel à l’adoption de la déclaration de Baabda soutenue par le gouvernement et tous les protagonistes qui ont participé au dialogue national. Dans cette déclaration, les participants s’étaient engagés à éviter les discours alimentant les dissensions sectaires. Le gouvernement s’était, pour sa part, engagé, du moins officiellement, à maintenir une politique de distanciation vis à vis de la crise syrienne.
Le secrétariat général du 14 Mars a pour sa part accusé le régime de Bachar el-Assad d’alimenter la crise à Tripoli. Dans un communiqué publié à l’issue de sa réunion hebdomadaire, la coalition de l’opposition libanaise a estimé que « la détermination du régime baasiste à provoquer un conflit dans la capitale du Liban-Nord devrait être contrée par une solution radicale adoptée par le gouvernement et les forces de sécurité ».
« Les habitants de Tripoli sont conscients du complot qui vise à les impliquer dans une crise qui ne les concerne pas », poursuit le 14 Mars dans le communiqué.
Le député du Courant du Futur, Mohammad Kabbara, a, de son côté, souligné la nécessité de mettre un terme à toutes les actions armées à Tripoli. « L’armée doit rétablir le calme dans la ville, nous devons trouver une solution à ces incidents », a déclaré M. Kabbara à l’issue d’une réunion de notables de la capitale du Nord.
Le député de l’opposition a, par ailleurs, appelé le gouvernement à assurer des indemnités aux habitants de Tripoli affectés par les affrontements.
Légende :
L’armée libanaise s’est déployée entre les quartiers de bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen, à Tripoli, pour tenter de mettre fin aux violences. AFP