Après l’assassinat de Hassan Hawlo Laqqis, un commandant du Hezbollah devant son domicile dans la banlieue Sud de Beyrouth le 4 décembre, Mohammad Chatah, un ancien ministre et proche conseiller de Saad Hariri, vient à son tour d’être assassiné à Beyrouth dans un attentat à la voiture piégée. Cet assassinat intervient au lendemain de la timide reprise du « dialogue national » au palais présidentiel. A qui profite le crime ?
La première question qu’il est impératif de poser, après l’assassinat de Mohammad Chatah, le conseiller politique de Saad Hariri et l’ancien ministre proche du mouvement pro-saoudien et anti-syrien du 14 Mars est la suivante : qui a intérêt à liquider cette personnalité plutôt modérée au lendemain d’une ébauche de dialogue national entamée la veille au Palais présidentiel de Baabda sous la direction du Président ? Qui a intérêt à mettre le pays du Cèdre à feu et à sang ?
Avec l’assassinat de cette personnalité, certes anti-syrienne et anti-Hezbollah, mais modérée, le Liban vient de franchir un nouveau palier dans la violence. M. Chatah a été tué dans l’explosion d’une voiture piégée qui a visé son convoi dans le centre-ville de Beyrouth, dans le secteur de Starco. Cinq autres personnes ont été tuées et une cinquantaine blessée, des passants et des automobilistes qui se trouvaient par hasard sur les lieux de l’attentat. La charge piégée, évaluée par le procureur Samir Hammoud à 50 ou 60 kilogrammes d’explosif, a provoqué des dégâts considérables dans les voitures stationnées dans les parages, les devantures des boutiques et les façades des immeubles. Les vitres ont été soufflées dans un rayon de cent mètres. Cet attentat a été unanimement condamné par la classe politique libanaise. Le président Michel Sleiman l’a qualifié d’«acte lâche». «Quel que soit le message derrière cet attentat, il n’affaiblira pas la détermination des Libanais à protéger leur pays», a dit le chef de l’Etat, qui a mis l’accent sur la nécessité de former un nouveau gouvernement dans les plus brefs délais. Le président du Parlement, Nabih Berry, a de son côté estimé que l’assassinat de Mohammad Chatah est «un crime qui veut faire du Liban une scène de règlements de comptes et une tentative de semer la discorde entre les différentes communautés du pays.» Le ministre des Finances, Mohammad Safadi, a condamné l’assassinat du «symbole de la modération et du dialogue». Originaire comme M. Chatah de Tripoli, M. Safadi a appelé à faire face au «diable de la discorde» qui fait du Liban un pays entièrement à découvert». Le député du Hezbollah, Ali Fayad, a condamné l’assassinat d’«un homme modéré qui essayait toujours d’atténuer les effets des divergences politiques». M. Fayad a dénoncé «un crime qui vise la sécurité et l’unité du Liban». Il a exprimé l’inquiétude du Hezbollah de la situation, réaffirmant l’attachement du parti à la poursuite du dialogue. Le 14-Mars, dont M. Chatah était un membre éminent, a immédiatement pointé un doigt accusateur en directeur de la Syrie et du Hezbollah. Pour M. Saad Hariri, «ceux qui ont assassiné Mohammad Chatah et Rafic Hariri sont les mêmes. Ce sont ceux qui fuient le tribunal international, qui veulent assassiner le Liban, humilier l’Etat et qui entraînent le pays vers le brasier régional», a-t-il dit dans un communiqué, en allusion au Hezbollah. Le chef du bloc parlementaire du Courant du futur, Fouad Siniora, a déclaré que «la liste des martyrs risque encore de s’allonger parce que l’assassin n’a pas fini de faucher la vie des héros libanais et des héros du 14 Mars». Selon lui, «l’assassin est le même, de Tripoli à Deraa», a-t-il dit en allusion au régime syrien. M. Siniora accusé au passage le Hezbollah, soulignant que l’attentat est intervenu à quelques jours du début du procès, le 16 janvier prochain, des responsables présumés de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. L’ambassadeur de Syrie, Ali Abdelkarim Ali, a accusé «l’ennemi israélien» d’être derrière l’attentat du Starco. Il a également pointé du doigt l’Arabie saoudite en affirmant que «les pays qui soutiennent le terrorisme en Syrie cherchent à déstabiliser la région». «Ceux qui ont misé sur la chute du régime syrien sont désespérés, a-t-il dit. Il faut s’unir pour mettre fin aux attentats».
L’Arabie saoudite a-t-elle armé les bras des assassins ?
Il faut rappeler que cet attentat est intervenu le lendemain même de la réunion à Baadba, siège de la présidence libanaise, d’une première réunion de dialogue national depuis le 14 novembre 2010, avec un autre rendez-vous fixé au 25 juin. Il s’agissait d’une percée significative sur le chemin du déblocage de l’impasse politique où se trouve le Liban (gouvernement démissionnaire et incapacité à s’entendre sur un nouveau gouvernement). Le succès du chef de l’Etat ne se limite pas au fait d’avoir réussi à réunir autour d’une même table les principaux leaders du pays (à l’exception de Samir Geagea, qui a choisi de boycotter), séparés par une montagne de contentieux et de conflits, mais surtout d’avoir convaincu les participants à approuver sans modifications majeures le communiqué final, dont il avait préparé les grandes lignes ces trois derniers jours.
Le «manifeste de Baabda», comme l’a baptisé le président Sleiman, comporte dix-sept points, dont sept sont consacrés aux questions relatives à la stabilité et à la sécurité du pays. Une première lecture permet de dresser un tableau des pertes et profits nettement déficitaire pour le 14-Mars et relativement avantageux pour le 8-Mars et son allié aouniste. Il est clair, en effet, que le 14-Mars a finalement décidé de participer au dialogue en trainant les pieds, pour ne se mettre en porte-à-faux avec la volonté royale saoudienne, bien que le ministre saoudien
des Affaires étrangères, Saoud al- Fayçal, et certains milieux dans le royaume wahhabite, ont tenté jusqu’à la dernière minute d’assurer une couverture politique nécessaire pour permettre au 14-Mars de se dérober à l’appel du président de la République. Mais la volonté du roi Abdallah ben Abdel Aziz reste, visiblement, plus forte que les contre-pouvoirs au sein de la famille royale. En participant au dialogue, le 14-Mars est entrainé dans une dynamique qu’il ne pourra plus stopper de son propre chef. Ce qui signifie que son programme politique annoncé dans son dernier document, basé sur la nécessite de renverser le gouvernement de Najib Mikati, tombe à l’eau. Il ne peut plus, en effet, militer pour obtenir la démission du Premier ministre en participant, à ses côtés, à la table du dialogue. Mais c’est dans les points du «Manifeste de Baabda» que les infortunes du 14- Mars apparaissent le plus clairement. Le document, dont des copies seront transmises à la Ligue arabe et aux Nations unies, ne fait nulle part mention des armes du Hezbollah, des armes palestiniennes à l’extérieur des camps et des décisions prises lors des précédentes réunions du dialogue. Au contraire, le texte refuse explicitement la création d’une zone tampon au Liban-Nord et la contrebande d’armes et le passage de combattants vers la Syrie. Il apporte un soutien marqué à l’Armée libanaise, que les faucons du Courant du futur soumettent à un tir nourri dans le but de neutraliser son action au Liban- Nord, justement pour avoir les mains libres dans cette région. Le communiqué appuie, enfin, la politique de dissociation de la crise syrienne, adoptée par le gouvernement, est tellement décriée par les durs du mouvement du 14-Mars.
On l’aura compris, certains clans au sein du pouvoir saoudien étaient résolument opposés à ce dégel et étaient décidés à transformer le Liban en une base arrière pour renverser le régime syrien. Cet assassinat vient à point nommé pour tenter de plonger le Liban dans le chaos. Ces apprentis sorciers vont-ils réussir dans leur plan ? Ou va-t-on assister plutôt à un sursaut patriotique salutaire ? Affaire à suivre
Afrique Asie et Médiarama