Acculés dans leur réduit montagneux, pourchassés par l’armée syrienne, les combattants d’al-Nosra et de Daech (ils seraient entre 2 500 et 3 000) seront inévitablement obligés de mener une action d’envergure au printemps au Liban où les attendent de pieds ferme les combattants du Hezbollah et l’armée libanaise. Un combat perdu d’avance…
Alors que la région a les yeux fixés sur le dernier sprint des négociations sur le nucléaire iranien et que la classe politique libanaise guette le moindre signal venu de l’étranger, la zone s’étendant le long de la frontière entre la Békaa et la Syrie connaît d’intenses mouvements de troupes. Pour ceux qui veillent à la stabilité de ce secteur, « la bataille du printemps », annoncée par le secrétaire général du Hezbollah dans son dernier discours, se prépare en hiver. Ou en tout cas avant le début de la fonte des neiges. Des experts militaires précisent ainsi que les combattants d’al-Nosra et de Daech coincés dans le jurd montagneux s’étendant entre la Syrie et le Liban (ils seraient entre 2 500 et 3 000) seront inévitablement obligés de mener une action d’envergure au printemps. Une telle action serait devenue nécessaire à cause de la réduction de l’espace vital des combattants dans la région, en raison de l’avancée des unités de l’armée syrienne à Deraa et de leur remontée lente mais sûre vers la région de Zabadani et vers la capitale Damas, ainsi qu’à cause de la fermeture de la région de Qoussair par les combattants du Hezbollah qui leur a fermé les portes du Liban-Nord. S’ils veulent continuer à être présents dans cette région d’une grande importance, à cheval entre la Syrie, le Liban, Israël et la Jordanie, les combattants sont obligés de s’étendre vers le Liban, qui reste pour eux, sauf changement stratégique du rapport des forces en Syrie, le seul débouché possible. D’ailleurs, en dépit des mauvaises conditions climatiques, les combattants jihadistes n’ont pas cessé de chercher à harceler l’armée libanaise, que ce soit dans le secteur de Ras Baalbeck ou dans celui de Ersal. Des combats plus ou moins intenses ont lieu régulièrement et les soldats libanais parviennent à chaque fois à repousser les tentatives d’infiltration. Ils ont même pris l’initiative de repousser les combattants, pour tenter de fermer les brèches dans la région de Ras Baalbeck, particulièrement délicate parce qu’elle abrite des villages chrétiens. D’ailleurs, dans cette région de la Békaa, et en dépit des dénégations officielles, il y a une sorte de partage tacite des responsabilités entre les forces en présence. Les combattants du Hezbollah sont postés dans le jurd de Brital (où la population est en grande majorité chiite) alors que l’armée libanaise prend, elle, en charge le jurd de Ras Baalbeck où la population est en majorité chrétienne et celui de Ersal où la population est en majorité sunnite. De la sorte, la possibilité de frictions ou de tensions confessionnelles est écartée et les villageois se sentent plus en sécurité. De l’autre côté de la frontière, les soldats syriens et les combattants du Hezbollah se partagent aussi les responsabilités pour assurer un maximum de protection, notamment autour du village libanais de Toufeil (qui constitue une enclave libanaise en territoire syrien) et qui reste un maillon faible dans la chaîne de défense du jurd qui s’étend entre le Liban et la Syrie, d’autant qu’il se situe entre la région du Sud et le rif de Damas. Tout en évitant de parler de coordination et d’échanges d’informations, les sources militaires libanaises précisent qu’il y a un minimum de complémentarité entre les forces en présence des deux côtés de la frontière, puisqu’elles combattent toutes un ennemi commun, les groupes jihadistes. Chaque force respecte le territoire de l’autre, sachant que la priorité reste à l’armée libanaise, non seulement parce qu’elle est celle de tout le Liban et parce qu’elle regroupe des soldats de toutes les confessions et de toutes les régions, mais aussi parce que sa présence et ses méthodes rassurent les citoyens qui vivent dans cette région montagneuse. C’est ainsi l’armée qui a répondu aux demandes répétées des habitants de certains villages de pouvoir s’entraîner au maniement des armes et qui a ainsi couvert la formation de structures parallèles, sur le modèle des « forces de défense populaire » créées en Irak pour soutenir l’armée légale. Officiellement, l’armée libanaise n’a pas de contact direct avec l’armée syrienne, parce que le gouvernement libanais refuse toute idée de coordination entre les deux, mais, comme le précisent les sources militaires, l’armée n’est pas obligée de révéler ses plans et ses démarches sur le terrain, à la classe politique. Elle obtient un feu vert pour, par exemple, « pacifier le jurd autour de Ersal » et c’est le commandement qui dresse les plans selon des considérations purement militaires qu’il n’a pas à expliquer à la classe politique. D’ailleurs, la déclaration du Premier ministre Tammam Salam, hier, au quotidien as-Safir, confirme cette tendance. Interrogé sur la possibilité d’une coordination avec l’armée syrienne le long de la frontière avec le Liban, le Premier ministre a précisé qu’« il n’est pas question pour l’instant de modifier la politique de distanciation, mais sur le terrain, les services de sécurité libanais et en particulier la Sûreté générale n’hésitent pas à prendre des mesures de coordination si elles sont nécessaires pour combattre la menace terroriste ». Comme quoi, la classe politique s’en lave les mains, ou se bande les yeux, mais tant que cela permet de protéger la frontière libanaise, nul ne songe réellement à protester…
L’OLJ
https://www.lorientlejour.com/article/915023/la-bataille-du-printemps-qui-se-prepare-en-hiver.html
Légende : carte des positions d’al-Nosra et Daech dans le réduit montagneux du Qalamoun entre la Syrie et le Liban