En prévision de la vacance du pouvoir, le commandant en chef de l’armée libanaise, Jean Kahwaji rappelle à ses officiers la sacro-sainte règle de neutralité et s’impose comme ultime recours face au vide déjà créé par l’absence de gouvernrment et bientôt par la vacance du poste de président de la république dont le mandat vient bientôt à échéance.
Le Liban va-t-il être contraint dans les mois à venir de choisir un commandant de l’armée comme futur président? Si l’impasse politique perdure (un gouvernement démissionnaire, incapacité de former un nouveau gouvernement, prochaine vacance du poste de Président de la république…), il ne fait pas de doute que c’est l’actuel commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwaji qui aura à assumer cette fonction. Ce n’est pas la première fois qu’un tel scénario se présente dans ce pays présenté par certains comme un « modèle de démocratie » dans cette région. En 1952, c’est le général Fouad Chehab qui avait assumé pour quelques jours, après la démission forcée, à la suite d’un soulèvement populaire qui avait contraint le premier président du Liban indépendant, Béchara al-Khoury, à la démission, la fonction de président du Conseil par intérim avec pour mission l’organisation dans les plus brefs délais d’élection présidentielle. Ce qu’il fit en moins d’une semaine.
En 1958, alors que le pays était confronté à une guerre civile, c’est le même général Fouad Chéhab qui sera choisi comme un présdent de consensus.
Le deuxième chef de l’armée à devenir président de la République sera le général Emile Lahoud qui exercera cette fonction de 1998 à 2007.
C’est un autre commandant de l’armée qui lui succède : l’actuel président de la république Michel Sleiman dont le mandat vient à expiration en mai de cette année. Il est improbable qu’il soit reconduit ne disposant pas d’une majorité suffisante pour amender la constitution qui interdit un deuxième mandat.
Cette fonction sera-t-elle assumée, provisoirement ou constitutionnelement par l’actuel commandant en chef de l’armée, Jean Kahwaji ? C’est fort probable. En s’adressant directement aux hauts cadres de l’armée, il prend en tout cas une posture de présidentiable.
C’est en tout cas ce qui ressort des propos qu’il avait tenu le vendredi 7 février, à l’issue d’une série de rencontres avec les hauts officiers de l’institution militaire, tous grades confondus, les félicitant pour « les efforts déployés ces derniers mois en vue d’imposer la sécurité, de lutter contre le terrorisme et d’appliquer la résolution internationale 1701 en coopération avec la FINUL, à l’ombre des perpétuelles menaces israéliennes ». Un discours qui va droit au cœur du Hezbollah.
Le général s’est penché sur les derniers exploits de l’armée sur le front de la lutte contre le terrorisme qu’il a qualifié d’ « excellente », évoquant les défis qui guettent et assurant que l’institution militaire se tenait prête à poursuivre dans cette voie et démanteler toute cellule terroriste.
« Les circonstances régionales et internationales nous imposent la prudence et la responsabilité. Vous devez être à la hauteur des espoirs qu’on a placés en vous (…). Alors que certaines parties libanaises s’en prennent à l’armée, les puissances arabes et internationales multiplient leurs aides visant à la renforcer », a-t-il affirmé, lors de cette réunion tenue, à l’accoutumée, au début de chaque année.
Et de poursuivre: « Le Liban traverse une période difficile. Nous sommes toujours sans gouvernement, nous craignons pour l’échéance présidentielle et, avec les développements sécuritaires, l’armée demeure une soupape de sécurité (…). Elle assumera ses responsabilités et défendra le pays et ses institutions. Elle ne se désistera jamais de son droit à imposer la stabilité, à interdire toute auto-sécurité et à empêcher le conflit. Nous ne permettrons pas au chaos de régner, ni à Tripoli ni ailleurs ».
Le commandant de l’armée a en outre expliqué que le soutien de la communauté internationale à l’armée augmentait les responsabilités de cette dernière et la poussait à se renforcer.
« La culture politique requise chez les officiers ne signifie, en aucun cas, qu’il faudrait avoir des liens avec les partis libanais. Il est interdit aux officiers d’être à la solde de quiconque et de s’impliquer en politique! Le commandement de l’armée doit être votre seule référence et vous ne devez allégeance qu’à cette institution », a-t-il conclu.
Profil d’un général présidentiable
Mais qui est cet officier chrétien maronite amené à exercer la plus haute fonction de l’Etat ?
Né à Ayn Ebel, sous-préfecture de Bin Jbayl (à la frontière avec Israël), il est né en 1953. Il rejoint l’armée en 1973, deux ans avant l’éclatement de la guerre civile qui amènera l’armée nationale à imploser en plusieurs armées, selon les appartenances confessionnelles.
Diplômé de l’école militaire libanaise en 1976, Jean Kahwaji, gravit patiemment les échelons jusqu’en 2002, lorsqu’il est nommé à la tête de la deuxième brigade d’infanterie. Avant cela, il commande la brigade aéroportée et le troisième bataillon d’intervention rapide, considéré comme des unités d’élite.
Le général Kahwaji a suivi des stages de formation et de perfectionnement aux Etats-Unis, en Suède et en Grande-Bretagne. Il s’est spécialisé dans la lutte contre le terrorisme en Allemagne en 2006.
Polyglotte, il parle couramment le français, l’anglais et l’italien. Blessé au combat, il détient un palmarès impressionnant de médailles et de décorations. Originaire du village maronite de Ayn Ebel dans l’ancienne zone occupée par Israël, au Sud Liban, Jean Kahwaji, fait partie des officiers, qui ont refusé de collaborer avec l’armée israélienne dans les années 70 et 80, du siècle dernier. C’est d’ailleurs cette qualité qui amènera le Hezbollah à donner son accord pour sa nomination à la tête de l’armée en 2008.
Sa désignation serait également le fruit d’un accord entre le président de la République, Michel Sleimane, lui-même ancien commandant en chef, le leader chrétien Michel Aoun, le Hezbollah, et le chef de la majorité parlementaire Saad Hariri qui était à l’époque plutôt conciliant avec la Syrie, après la défaite que ses troupes avaient essuyée un an plus tôt dans les rues de la capitale Beyrouth.
Son profil correspond parfaitement à la conjoncture actuelle au Liban et dans la région.
La montée en puissance des groupes terroristes au pays du Cèdre, la quasi certitude des chancelleries occidentales et des monarchies du Golfe (Arabie saoudite et Qatar) de l’impossibilité de renverser le régime syrien, autant de raisons qui plaident désormais en faveur de Jean Kahwaji qui est de surcroit proche de la résistance libanaise, comme c’était le cas avec le président-général Emile Lahoud.
Légende : Le Commandant en chef de l’armée libanaise, Jean Kahwaji, en visite de travail, en 2008, à Damas.