La décision de la Haute Cour de Londres autorisant Julian Assange à faire appel de l’ordre d’extradition le laisse croupir dans une prison de haute sécurité, dans un état de santé précaire. C’est là tout l’enjeu.
CHRIS HEDGES
La décision de la Haute Cour de Londres d’accorder à Julian Assange le droit de faire appel de l’ordre d’extradition vers les États-Unis pourrait s’avérer une victoire à la Pyrrhus. Cela ne signifie pas que Julian échappera à l’extradition. Cela ne signifie pas que le tribunal a jugé, comme il se doit, qu’il est un journaliste dont le seul « crime » a été de fournir au public des preuves des crimes de guerre et des mensonges du gouvernement américain. Cela ne signifie pas qu’il sera libéré de la prison de haute sécurité HMS Belmarsh où, comme l’a dit Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, après avoir rendu visite à Julian, il subissait une « exécution au ralenti ».
Cela ne signifie pas que le journalisme soit moins menacé. Les rédacteurs en chef et les éditeurs de cinq médias internationaux – le New York Times, le Guardian, Le Monde, El Pais et DER SPIEGEL – qui ont publié des articles basés sur des documents divulgués par WikiLeaks, ont demandé instamment que les accusations portées par les États-Unis soient abandonnées et que M. Julian soit libéré. Aucun de ces dirigeants de médias n’a été accusé d’espionnage. Cela n’enlève rien au stratagème ridicule du gouvernement américain consistant à extrader un citoyen australien dont la publication n’est pas basée aux États-Unis et à l’inculper en vertu de la loi sur l’espionnage (Espionage Act). Cette décision s’inscrit dans le cadre d’une longue farce à la Dickens qui se moque des concepts les plus élémentaires du droit à un procès équitable. Cette décision est fondée sur le fait que le gouvernement américain n’a pas donné suffisamment de garanties que Julian bénéficierait des mêmes protections du premier amendement que celles accordées à un citoyen américain, s’il était jugé. La procédure d’appel est un obstacle juridique de plus dans la persécution d’un journaliste qui devrait non seulement être libre, mais être fêté et honoré comme le plus courageux de notre génération.
Oui, il peut faire appel. Mais cela signifie une autre année, peut-être plus, dans des conditions de détention difficiles, alors que sa santé physique et psychologique se détériore. Il a passé plus de cinq ans au HMS Belmarsh sans être inculpé. Il a passé sept ans à l’ambassade d’Équateur parce que les gouvernements britannique et suédois ont refusé de garantir qu’il ne serait pas extradé vers les États-Unis, même s’il a accepté de retourner en Suède pour contribuer à une enquête préliminaire qui a finalement été abandonnée.
Le lynchage judiciaire de Julian n’a jamais été une question de justice. La pléthore d’irrégularités juridiques, notamment l’enregistrement de ses réunions avec ses avocats par la société de sécurité espagnole UC Global à l’ambassade pour le compte de la CIA, aurait dû à elle seule entraîner le rejet de l’affaire, car elle éviscère le secret professionnel de l’avocat.
Les États-Unis ont inculpé Julian de 17 actes relevant de la loi sur l’espionnage (Espionage Act) et d’un chef d’accusation d’utilisation abusive d’un ordinateur, pour une conspiration présumée visant à prendre possession d’informations relatives à la défense nationale et à les publier. S’il est reconnu coupable de tous ces chefs d’accusation, il risque 175 ans de prison aux États-Unis.
La demande d’extradition est fondée sur la publication en 2010 par WikiLeaks des journaux de guerre de l’Irak et de l’Afghanistan – des centaines de milliers de documents classifiés, divulgués sur le site par Chelsea Manning, alors analyste du renseignement de l’armée, qui ont révélé de nombreux crimes de guerre américains, notamment des images vidéo de l’abattage de deux journalistes de Reuters et de dix autres civils non armés dans la vidéo Collateral Murder, la torture systématique de prisonniers irakiens, la dissimulation de milliers de morts civiles et le meurtre de près de 700 civils qui s’étaient approchés trop près des postes de contrôle américains.
En février, les avocats de Julian ont présenté neuf motifs distincts pour un éventuel appel.
Une audience de deux jours en mars, à laquelle j’ai assisté, était la dernière chance pour Julian de demander un appel de la décision d’extradition prise en 2022 par la ministre britannique de l’intérieur de l’époque, Priti Patel, et de bon nombre des décisions du juge de district Baraitser en 2021.
Les deux juges de la Haute Cour, Dame Victoria Sharp et le juge Jeremy Johnson, ont rejeté en mars la plupart des motifs d’appel de Julian. Ses avocats soutenaient notamment que le traité d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis interdit l’extradition pour des délits politiques, que la demande d’extradition a été faite dans le but de le poursuivre pour ses opinions politiques, que l’extradition équivaudrait à une application rétroactive de la loi – car il n’était pas prévisible qu’une loi sur l’espionnage vieille d’un siècle soit utilisée contre un éditeur étranger – et qu’il ne bénéficierait pas d’un procès équitable dans le district Est de Virginie. Les juges ont également refusé d’entendre de nouvelles preuves selon lesquelles la CIA aurait comploté pour kidnapper et assassiner Julian, concluant – à la fois de manière perverse et incorrecte – que la CIA n’avait envisagé ces options que parce qu’elle pensait que Julian avait l’intention de fuir en Russie.
Mais les deux juges ont déterminé lundi qu’il était « défendable » qu’un tribunal américain n’accorde pas à Julian la protection du premier amendement, violant ainsi ses droits à la liberté d’expression tels qu’ils sont consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme.
Chris Hedges
https://chrishedges.substack.com/p/the-slow-motion-execution-of-julian
Traduit par Brahim Madaci