L’instrumentalisation posthume du chef d’Al-Qaïda par les services américains.
Pour marquer les esprits en faveur du candidat Obama, un an après la traque victorieuse contre Ben Laden, l’Administration américaine a choisi de rendre publiques 65 lettres du terroriste chef d’Al Qaida. Sans tenir compte du danger que représente l’une d’entre-elles pour les otages Français d’AQMI, au Niger en particulier, appelant à retarder leur exécution en fonction du résultat des élections présidentielles et du sort de Sarkozy..
Parmi les lettres d’Oussama Ben Laden recupérées lors du raid du 2 mai 2011 au cours duquel celui-ci a été abattu, l’Administration américaine a choisi d’en rendre publiques 65 cette semaine, dans le cadre d’une opération de communication destinée en grande partie à associer cette victoire à la candidature de Barack Obama pour sa réélection. Alors que des dizaines de milliers de documents ont été saisis lors de l’intervention américaine d’Abbottabad, cette dose homéopathique a forcément été subtilement dosée, et cela rend pour le moins consternant le choix de publier une lettre dans laquelle Ben Laden donne ses consignes au mouvement Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Avec un point crucial: attendre l’issue des élections francaises pour tuer les otages.
Dans cette lettre, Ben Laden écrivait peu avant sa mort:
« En ce qui concerne les otages français aux mains de nos frères dans le Maghreb islamique, je tiens à avertir que l’atmosphère après la position française à l’égard du peuple libyen ne permet pas de tolérer de tuer les Français, en raison des conséquences négatives qui s’en suivraient. Il est devenu évident que la plupart des gens ordinaires soutiennent Sarkozy, donc si nous avons besoin de les tuer alors cela devrait être après la fin des événements libyens et leurs développements, et la meilleur bénéfice que je vois est dans l’échange de la femme contre ce qui serait le plus avantageux pour vous et pour vos Frères là-bas, aussi loin que les hommes, si les frères peuvent attendre, devraient être gardés jusqu’aux élections, et si cela est difficile, alors ils devraient échanger la moitié d’entre eux et de garder la moitié la plus importante, et si cela est aussi difficile alors ils devraient au minimum garder l’homme le plus important d’entre eux jusqu’aux élections françaises. Et il vaut mieux que les négociations ne soient pas publique et qu’une limite de temps soit imposée de sorte que les Français ne retarderont pas l’échange, jusqu’aux élections (TN: éventuellement après les élections), de sorte qu’ils gardent la carte gagnante dans leurs mains, même si la période restant jusqu’à l’élection n’est pas courte. »
Ben Laden écrit ensuite:
« En ce qui concerne l’officier britannique capturé par nos frères en Somalie, je dis que nous essayons de l’échanger avec nos prisonniers ou avec leurs alliés, si c’est ce qui se passe alors c’est ce que nous voulons, et s’ils se retrouvent sur une route bloquée, et ne peuvent pas le garder comme une carte de pression sur la France pour contraindre la France à quitter l’Afghanistan avant les élections de Nicolas Sarkozy, alors ils doivent être rachetés avec de l’argent, et mis au courant au sujet de ce que j’ai déclaré sur les conséquences de tuer les Français à ce stade, même si la réaction à l’assassinat seraient moindres si le meurtre a été perpétré de leur côté que s’il était perpétré par Al-Qaida au Maghreb islamique. »
La question, grave, se pose donc de savoir quelles peuvent être les conséquences de cette publication par les autorités américaines sur le sort des otages détenus par l’AQMI et, en particulier, en raison de la mention explicite faite quant aux élections présidentielles françaises où le nom de Nicolas Sarkozy n’est pas utilisé au hasard, loin de là.
C’est pour le moins une erreur monumentale de la part des Américains contre les intérêts Français, à la veille d’une élection présentée par Ben Laden comme un couperet pour les otages.
* STÉPHANE TRANO (Marianne2)
La chronique des élections américaines 2012 vue des Etats-Unis.
Stéphane Trano, 43 ans, est journaliste politique et essayiste. Il est installé à Chicago, souvent considérée comme la plus « américaine » des grandes villes des Etats-Unis, au rang desquelles elle se classe troisième. Porte du Midwest où se côtoient les géants de l’industrie, la bourse mondiale des matières premières et les écoles les plus réputées d’économie ou d’architecture, Chicago se trouve également au carrefour des états de la « corn belt » – fortement ruraux – et nombre de scrutins y ont déterminé l’issue des élections à la présidence des Etats-Unis. C’est aussi le fief de Barack Obama et cœur de son dispositif pour sa réélection en novembre 2012.