Improvisation, manque de vision et inféodation à la politique saoudo-qatarie. La Tunisie, jadis neutre et solidaire des pays arabes, est désormais méconnaissable.
Le gouvernement de la Troïka est là depuis trois mois, une période certes insuffisante pour accomplir des réalisations spectaculaires en matière d’accomplissement des objectifs de la révolution. Toutefois, les prises de position en politique étrangère sont suffisamment nombreuses, pour avoir une idée claire sur les nouvelles orientations de la diplomatie tunisienne. Quelle synthèse peut-on avoir en la matière ?
Première observation : le 14 janvier 2012, premier anniversaire de la révolution tunisienne, berceau du printemps arabe. Il n’y avait que le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, le président du CNT libyen, Mustapha Abdeljelil, le président mauritanien, Mohamed Oueld Abdelaziz et l’Emir du Qatar, Hamad Ben Khalifa Al Thani.
La France s’est fait représenter par le président du Haut conseil de l’Institut du Monde Arabe (sic !), alors que les Etats-Unis n’étaient pas du tout représentés (Re-sic !). C’est vraiment trop peu, pour ce pays et cette révolution, berceau du printemps arabe, qui a besoin de reconvertir le capital-sympathie dont elle dispose en projets de partenariat et de développement.
Renseignements pris, la France n’a été informée de la manifestation que quelques jours avant le 14 janvier, et l’administration française avait dû parer au plus pressé, pour trouver une personnalité disponible le week-end du 14 janvier, afin de représenter l’Hexagone, premier partenaire économique de la Tunisie. Côté américain, on a préféré garder le silence. L’absence des autres pays signifie qu’ils ont été «ignorés» pour cette cérémonie qui aurait dû servir de tremplin pour défendre la cause de la transition démocratique et, surtout, économique en Tunisie. Mais, il manquait le savoir-faire nécessaire à une telle situation.
Deuxième observation : la crise syrienne. Dès les premiers jours de son installation à Carthage, le président Marzouki a tenu à montrer son talent révolutionnaire. Ainsi, il a parrainé, en fin 2011, le congrès tenu en Tunisie par le Conseil national de transition de Syrie, présidé par Burhane Ghalioun. Marzouki y a même prononcé un discours, officialisant le parti-pris officiel tunisien, non pas avec le peuple syrien, mais avec ce CNS qui n’est pas encore reconnu à travers le monde.
Ensuite, ce fut l’épisode de la rupture des liaisons diplomatiques. La Tunisie a été le premier pays à déclencher les hostilités diplomatiques avec la Syrie, avant même le Qatar. Notre pays est désormais devenu celui par lequel la fronde arrive, alors que ça ne nous ressemble pas et que la Tunisie a toujours pratiqué une diplomatie équilibrée.
Enfin, la conférence des amis de la Syrie, organisée, aujourd’hui 24 février à Tunis, finalise l’engagement de la Tunisie dans l’offensive diplomatique dans le monde arabe, dirigée par le Qatar et parrainée par les Etats-Unis. Lequel engagement ne permet plus à la Tunisie de se proclamer non-alignée. A-t-on vraiment intérêt à avoir un tel engagement ?
Troisième observation : Les déplacements à répétition du président provisoire. En moins de trois mois, il est allé en Libye. Il a participé au Sommet africain à Adis-Abeba. Il a fait une tournée maghrébine. C’est un peu trop pour un président aux prérogatives limitées, dont le pays passe par une crise économique, alors que l’heure de vol de l’avion présidentiel coûte, à la communauté nationale, pas moins de 50.000 dinars.
Beaucoup de bruit a accompagné ces déplacements sans qu’on ne voie rien venir de concret. A entendre le tapage médiatique, avec deux conférences de presse après la participation au sommet d’Adis Abeba, on aurait cru que la Tunisie a «ouvert» l’Afrique, ou en plus contemporain, que la délégation tunisienne avait ramené des contacts solides et des marchés intéressants. Or, rien de tel n’est palpable. Du moins, rien en vue pour le moment, même pas des promesses…
Quant à la tournée maghrébine, il ne suffit pas de brandir le slogan de l’activation de l’Union maghrébine, pour que ça se débloque. L’ancien président Ben Ali, avait participé à la première réunion de l’UMA en 1989. Pourtant, cet édifice est resté figé. Plusieurs diplomates, arabes et occidentaux, ont fait beaucoup de navettes entre l’Algérie et le Maroc, et autant de missions de bons offices, pour essayer d’aider à régler le différend concernant le Sahara occidental. Mais, c’était en vain.
Donc, Marzouki, avec toute la bonne volonté qu’il peut avoir, n’avait pas à entamer une autre initiative, vouée elle aussi à l’échec et ne pouvant qu’affecter le capital-sympathie de la Tunisie avec ses voisins maghrébins. La Tunisie n’a aucun intérêt à avoir sur le dos l’Algérie parce que notre président veut leur donner des leçons, en matière de rapports avec les islamistes, comme il l’a fait à partir de la Libye. Ou, encore, en se proposant comme arbitre du conflit algéro-marocain et, cette fois, à partir du Maroc. Ce n’est pas parce que Marzouki a de la famille là-bas que la Tunisie peut se permettre une telle acrobatie.
Quatrième observation : les rapports avec l’Europe. La France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne sont les premiers partenaires économiques de la Tunisie. Il est donc nécessaire de développer avec eux des projets de partenariat, surtout que ces pays, et l’Union européenne en tant que structure, n’ont cessé de montrer des signes de sympathie à l’égard de la révolution tunisienne. Il est vrai que ces pays exigent des projets clairs pour placer la partie substantielle de leurs contributions. Mais, c’est ça le partenariat. Par ailleurs, la faute n’incombe pas aux partenaires si le gouvernement tunisien a mal choisi l’équipe qui l’a représenté à Davos. La Tunisie est revenue quasiment bredouille de cette grande rencontre économique internationale, faute de bien représenter les intérêts de notre pays. Ceci, sans trop insister sur les critiques adressées par Marzouki aux Occidentaux, notamment les Français, en rapport avec le pseudo-conflit civilisationnel.
Cinquième observation : les rapports avec le Qatar et l’Arabie Saoudite. Ces deux monarchies n’ont encore rien apporté comme soutien concret à la révolution tunisienne, sauf les 500 millions de dollars, accordés par le Qatar à la Tunisie, comme prêt à court terme, sous forme de bons de trésor.
Ceci ne justifie nullement l’attitude très prudente, voire inférieure, de la diplomatie tunisienne à l’égard de ces deux monarchies, dont les pays abritent les symboles de l’ancien régime tunisien. Ce n’est pas normal que le gouvernement de la Troïka n’entreprend rien auprès de ces pays pour demander le rapatriement de l’ex-président, de son épouse et de Sakher Materi, qui se permet même de multiplier les projets à Dubaï et Doha, voire les déclarations de presse, sans une quelconque réserve. La visite du Chef du gouvernement, Hamadi Jebali, en Arabie Saoudite n’a rien apporté de nouveau en rapport avec cette question, ou des avoirs tunisiens dans ces monarchies.
Les Tunisiens, avides de réaliser l’un des principaux objectifs de la révolution, à savoir la présentation de ces criminels à la justice, se considèrent frustrés parce que leur diplomatie est figée face à des monarchies moyenâgeuses, pour des considérations insensées, à moins qu’il n’y ait d’autres dessous que le grand public ne connaît pas et que le Qatar soit vraiment le bienfaiteur d’Ennahdha, cheville ouvrière de la Troïka au pouvoir.
Mounir Ben Mahmoud (leaders.com.tn)