
Le néolibéralisme coupable (et victime) de la pandémie ? Photo DR
A la fin des années 1970, le monde occidental quittait les Trente Glorieuses pour entrer dans l’ère dite néolibérale ou monétariste. Quarante ans après, tous les signes montrent que cette période s’achève à son tour, et que nous abordons la troisième grande période macroéconomique post 1945. Revue de presse. Les Echos.
Antoine Foucher
Pour le démontrer, examinons les quatre principes économiques qui ont défini notre époque depuis le début des années 1980. D’abord, le rôle de l’Etat et du marché. Retrait de l’Etat, dérégle- mentation et confiance dans la capacité d’autorégulation des marchés : ces con- victions, déjà fragilisées depuis 2008, sont remises en cause par la crise actuelle. Ce n’est pas le marché mais bien l’Etat qui, après avoir sauvé́ les banques il y a dix ans, protège cette fois-ci l’économie réelle du risque d’effondre- ment. C’est aussi le retour de l’État comme garant d’une souveraineté́ européenne et nationale sur les biens et services essentiels qui est réclamé́ par la population, par exemple sur la santé ou le numérique.
Ensuite, le rôle de la monnaie et de la banque centrale. La doctrine monétariste considère que la politique monétaire n’influence à long terme que l’inflation et que les banques centrales doivent donc être indépendantes pour garantir les agents contre les errements politi- ques. Là aussi, le Covid vient, comme en 2008, apporter un démenti cinglant à cette hypothèse. Jamais les Etats n’auraient pu financer la protection des entreprises et des salariés depuis un an sans l’achat massif de dette publique, c’est-à-dire sans création monétaire. La BCE et la Fed ont agi exactement comme si elles étaient sous l’autorité des gouvernements, car elles n’avaient pas d’autre choix politique. Le pilotage du cercle vicieux actuel – un endettement public record nécessitant une politique expansionniste durable pour maintenir des taux d’intérêt bas, elle-même ali- mentant une bulle sur les actifs – exige une coordination étroite entre les politi- ques budgétaire et monétaire, dans laquelle l’indépendance des banques centrales est une fiction juridique.
Troisième caractéristique qui flagelle : l’intensification du commerce mondial. Il a cru deux fois plus vite que le PIB mondial entre les années 1980 à 2000, mais il ralentit spectaculairement depuis dix ans. La crise du Covid va accélérer la tendance, et pousser vers une régionalisation des chaînes de valeur.
Enfin, l’exigence de rentabilité à deux chiffres pour les actionnaires, signe dis- tinctif entre tous du capitalisme action- narial, devient intenable car incompatible avec la tolérance de plus en plus réduite des peuples aux inégalités et les conséquences sur la transition écologi- que. Celle-ci exige une consommation durable, la proximité des lieux de pro- duction, des investissements massifs pour décarboner les modes de produc- tion et financer une énergie plus chère : toutes ces tendances condamnent les rendements actuels et interrogent sur la pérennité d’une entreprise qui conti- nuerait à considérer le bien commun comme hors sujet.
Résumons. L’État était considéré́ comme le problème : c’est redevenu une partie de la solution. Les banques centrales devaient être indépendantes et limiter leur offre de monnaie : elles sont de fait sous l’autorité politique des États et créent de la monnaie comme jamais. Les chaînes de production devaient se mondialiser toujours plus : elles se régionalisent. La « corporate gouvernance » avait enfermé l’entreprise dans l’obsession du rendement de court terme : gouvernements, salariés et clients lui enjoignent désormais d’intégrer l’intérêt général dans son activité́. Il n’est pas donc pas excessif de penser que le Covid a précipité́ la fin du néolibéralisme pour nous faire entrer dans une nouvelle ère. Rien, dès lors, ne serait plus inadapté́ que de raisonner avec nos schémas d’hier pour tracer un nouveau chemin.
Antoine Foucher est président du cabinet Quintet Conseil et ancien directeur de cabinet de Muriel
Opinion parue dans le quotidien les Echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-les-quatre-principes-du-neoliberalisme-enterres-par-le-covid-1295738