« Des pays occidentaux comme la France et la Grande-Bretagne se demandent ce qui arrivera lorsque les jihadistes reviendront en Europe après avoir reçu un entrainement militaire… »
Le succès grandissant des groupes jihadistes en Syrie a conduit à ce qui est lentement devenu une fraternité jihadiste transnationale. Au cours des derniers mois, des centaines de Saoudiens, Tunisiens et Jordaniens et autres ont répondu à l’appel pour le Jihad en Syrie. Dans une région où les systèmes politiques traditionnels se délitent lentement, ce courant aura des conséquences à long terme.
Selon un récent rapport publié par Global Post, des centaines de jeunes Saoudiens se regroupent pour mener une « guerre sainte » contre le président syrien Bachar al-Assad. Al Qabas, un quotidien koweitien, a également rapporté que des dizaines de Koweitiens combattent aux côtés de l’Armée syrienne libre (FSA). En outre, les journaux tunisiens ont souligné que des centaines de Tunisiens ont rejoint le Jihad après avoir été « endoctrinés dans des mosquées où la guerre sainte est glorifiée ». Selon, également, la Fondation Quilliam (et confirmé par le Libanais salafiste Sheikh Omar Bakri), le Dr. Abu Muhammad al-Suri, un vétéran du Jihad syrien, qui dirige al-Dawla al-Islamiyya (l’ « État islamique », un petit groupe jihadiste), a « permis à une poignée de musulmans britanniques de prendre part au combat en Syrie », et plus de 50 jihadistes français ont rejoint les groupes radicaux en Syrie, selon le quotidien français Le Figaro.
En dépit de la pléthore de rapports pointant la participation croissante des jihadistes en Syrie, il faut garder à l’esprit que les groupes salafistes-jihadistes prédominants dans le pays, comme Jabhat al-Nusra entre autres, restent marginaux dans la rébellion en termes de nombre d’adeptes comparés à la FSA. Mais l’impact du rôle croissant des jihadistes dans la révolution n’est plus centré sur la Syrie et la radicalisation de la rue syrienne seulement. Il aura aussi des conséquences significatives sur la région elle-même, considérant que les jihadistes étrangers qui combattent avec les organisations radicales en Syrie sont amenés à rentrer au bercail un jour. « Des pays occidentaux comme la France et la Grande-Bretagne se demandent ce qui arrivera lorsque les jihadistes reviendront en Europe après avoir reçu un entrainement militaire. La situation est particulièrement inquiétante en Jordanie où de nombreux nationaux s’inquiète de ce que ces militants reviennent un jour dans leur pays natal pour poursuivre le combat ! » explique Karim Emile Bitar, directeur de recherches à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS).
Les événements qui se déroulent en Syrie portent en eux une similitude particulière avec le scénario de guerre en Afghanistan. Pendant les années 1980, les combattants étrangers se sont regroupés en Afghanistan pour combattre l’occupation soviétique ; plusieurs dizaines d’années plus tard, et des centaines de kilomètres plus loin, l’expérience que les combattants ont acquise pendant ce conflit continue de se faire sentir. D’anciens militants de ce conflit sont venus contrôler et définir les activités terroristes dans certains pays récemment, avec pour résultat ce dont certains analystes parlent en termes de « diffusion de métastase » en développement du jihad. Le journaliste et auteur de The Lonely Salafiste , Hazem al Amine, explique : « Ces individus reviennent avec une expérience de combattant des conflits armés et un entrainement au maniement des armes et des explosifs. Les pays qui facilitent l’exportation de combattants en Syrie tendent à oublier qu’un jour, ils reviendront chez eux comme membres de cellules dormantes terroristes. »
Dans des interviews récentes, à leur retour de Syrie au Liban, des jihadistes, ont révélé qu’ils avaient appris les bases de la guerrilla, y compris comment fabriquer des engins explosifs, et comment poser des mines. On leur a aussi appris l’utilisation des armes légères et de moyenne portée ainsi que des techniques de combat et de reconnaissance. Plusieurs ont noté qu’ils étaient entrainés par des déserteurs de l’armée. Cependant, des sources palestiniennes au Liban soulignent que certains membres de groupes terroristes locaux, tels que Kataeb Abdullah Azzam et Fatah al-Islam, ont aussi fourni des entrainement clé en main aux rebelles syriens. Des combattants qui retournent chez eux apportent aussi une longue liste de contacts internationaux et des groupes utiles d’individus de diverses compétences : instructeurs, facilitateurs et autres frères en armes. Ce qui leur permet d’étendre encore davantage leurs réseaux pour poursuivre le combat si nécessaire.
Un autre défi auquel sont confrontés les régimes de la région est la dimension sunnite-chiite du conflit, un conflit qui gagne en importance avec la poursuite de la guerre en Syrie. Le sectarisme à l’intérieur du conflit est en train de devenir plus qu’une réalité et la violence répétée (massacres et assassinats) entre Alaouites et Sunnites ne fera que rendre pire la rivalité entre les communautés. Les divisions croissantes débordent de façon forte dans des pays comme le Liban et l’Irak, voire des endroits comme le Yémen, ajoute al-Amine. « La division sectaire en Syrie a déjà aujourd’hui un impact en Irak qui abrite les communautés rivales chiites et sunnites. En outre, nous avons noté qu’un nombre croissant de Yéménites vont combattre en Syrie. Le nombre de vols entre le Yémen et la Turquie a augmenté d’un à cinq par semaine. »
« À la lumière des énergies destructives activées par le conflit syrien, on peut se demande si nous n’assistons pas à la fin de la configuration territoriale post Seconde guerre mondiale », dit Emile Bitar. Le vieux réseau territorial semble se disloquer lentement. « Dans toute la région, nous assistons à l’affaiblissement des autorités centrales, à l’épanouissement des vieux réseaux de solidarité et à la réactivation négative de fidélités sectaires et tribales », conclut-il. Les organisations jihadistes prospèrent généralement dans les situations de chaos de ce type qui leur permettent de jouir d’une prépondérance politique plus importante. Tout comme les étoiles de mer, ces entités peuvent survivre en s’unissant autour d’une idéologie partagée ou d’une seule plateforme de communication.
L’effondrement de la Syrie et les changements qui s’ensuivent dans le rapport des forces entre Sunnites et Chiites de la région auront indubitablement des conséquences significatives sur les structures de pouvoir des pays voisins et sur les groupes régionaux indépendants. Le retour des jihadistes chez eux ne fera qu’exacerber cette tendance, particulièrement dans des pays qui confrontés à leurs propres tensions à l’intérieur du pays. Il faut garder à l’esprit que le but ultime des jihadistes est d’établir une « ouma », un objectif qui pourrait sembler de plus en plus réalisable avec l’affaiblissement des centres de pouvoir traditionnels des pays d’origine.
Traduit de l’anglais par Christine Abdelkrim.Delanne
Source :
* Mona Alami est une journaliste franco-libanaise spécialiste du monde arabe. Elle couvre actuellement les groupes salafistes dans cette région du monde.
Source : https://carnegieendowment.org/sada/2013/04/02/syria-s-foreign-legions-ii-returning-home/fvve