
Un soldat des forces spéciales canadiennes faisait partie d’une équipe militaire américaine controversée de 20 membres surnommée Talon Anvil en 2015, tandis que d’autres militaires canadiens jouaient un rôle de soutien ou étaient informés de ses activités, selon des documents obtenus par ce journal ainsi que des informations fournies par des sources militaires. PHOTO PAR SGT DONALD CLARK /DND
Des enquêteurs indépendants et des groupes de défense des droits de l’homme estiment qu’au moins 7 000 civils ont été tués par des frappes aériennes de la coalition en Irak et en Syrie.
David Pugliese – Ottawa Citizen
Des membres des Forces canadiennes ont participé à une équipe militaire américaine controversée qui a été accusée d’avoir tué des dizaines d’innocents en Irak et en Syrie.
Mais les détails concernant le rôle des forces spéciales canadiennes dans cette équipe, dont le nom de code est Talon Anvil, sont encore secrets. Un soldat des forces spéciales canadiennes faisait partie de l’équipe de 20 membres en 2015, tandis que d’autres militaires canadiens jouaient un rôle de soutien ou étaient informés de ses activités, selon des documents obtenus par ce journal ainsi que des informations fournies par des sources militaires.
En décembre 2021, le New York Times a révélé que Talon Anvil était responsable du lancement de dizaines de milliers de bombes et de missiles contre l’État islamique en Syrie et en Irak, mais qu’il avait tué au passage des centaines de civils. Les actions imprudentes de l’équipe de Talon Anvil, qui a opéré de 2014 à 2019, ont alarmé les membres de l’armée américaine et même la C.I.A., rapporte le journal.
Les règles destinées à protéger les civils ont été contournées. Des personnes qui n’avaient aucun rôle dans le conflit, y compris des agriculteurs tentant de récolter, des enfants jouant dans les rues, des familles fuyant les combats et des villageois s’abritant dans des bâtiments, ont été tuées, selon l’enquête du New York Times.
Deux jours après que ce journal a publié le premier de plusieurs articles sur Talon Anvil, le Commandement des Forces d’opérations spéciales du Canada (COMFOSCAN) a fait part de ses inquiétudes quant à la possibilité que des questions soient soulevées sur sa propre implication dans l’équipe.
» Les allégations décrites dans l’article du NYT étaient-elles connues des dirigeants du COMFOSCAN à l’époque ou ont-elles été révélées depuis ? « , a noté un officier dans un courriel adressé au brigadier-général Martin Gros-Jean.
Gros-Jean a été nommé en 2020 à un nouveau poste de commandant adjoint du soutien, qui supervise la gestion quotidienne des forces du COMFOSCAN.
Les conseils et informations fournis à Gros-Jean ont été entièrement censurés des documents obtenus par ce journal en utilisant la loi sur l’accès à l’information. Les Forces canadiennes ont invoqué des raisons de sécurité nationale pour ne pas divulguer ces informations.
Mais la Défense nationale, dans une déclaration distincte adressée à ce journal, a reconnu qu’un membre des forces spéciales canadiennes faisait partie de Talon Anvil. Le ministère n’a pas fourni de détails sur le rôle de cette personne au sein de l’équipe de 20 membres, mais a noté que le soldat des forces spéciales était intégré à l’armée américaine à l’époque.
Talon Anvil était dirigé par des forces spéciales américaines connues sous le nom de Delta. Le COMFOSCAN entretient une relation étroite avec Delta, ainsi qu’avec d’autres forces spéciales américaines.
Le soldat des forces spéciales canadiennes a été affecté à Talon Anvil d’avril à octobre 2015, selon le ministère. « La direction du commandement de la CANSOF est au courant des allégations contre l’unité militaire américaine, qui ont fait l’objet d’une enquête à l’époque par les forces américaines », ajoute le communiqué. « Comme l’enquête était menée par les États-Unis, nous n’avons pas d’informations supplémentaires à fournir. »
Le New York Times a rapporté qu’une seule frappe aérienne lancée par Talon Anvil ayant entraîné la mort de civils est en cours d’examen. Talon Anvil, qui était situé à Erbil, en Irak, puis déplacé en Syrie, était responsable d’environ 80 % des 112 000 bombes et missiles lancés sur des cibles de l’État islamique.
Des enquêteurs indépendants et des groupes de défense des droits de l’homme ont estimé qu’au moins 7 000 civils ont été tués par les frappes aériennes de la coalition en Irak et en Syrie.
La Défense nationale a noté que le personnel de l’Aviation royale du Canada n’était pas affecté à l’équipe de Talon Anvil. Mais on ne sait pas quel rôle, le cas échéant, Talon Anvil a joué dans les frappes aériennes du Canada contre les forces de l’État islamique.
Talon Anvil comptait trois groupes travaillant 24 heures sur 24 pour recueillir des informations auprès des troupes terrestres alliées, y compris les forces spéciales canadiennes, ainsi que des données de surveillance recueillies par des drones et d’autres aéronefs et des interceptions de transmissions radio et électroniques.
Les chasseurs CF-18 canadiens ont mené 251 frappes aériennes du 30 octobre 2014 au 15 février 2016. Au total, 606 bombes ont été larguées, principalement sur des cibles en Irak. Les Forces canadiennes ont déclaré qu’elles ne disposaient d’aucune information sur d’éventuelles victimes civiles de ces missions de bombardement.
Les responsables du Pentagone ont toutefois reconnu qu’il était difficile d’obtenir un décompte fiable des décès de civils ou d’enquêter sur les allégations selon lesquelles des innocents ont été tués lors des bombardements, car la plupart se sont produits dans un territoire contrôlé par l’État islamique.
Le précédent gouvernement conservateur a envoyé des forces spéciales canadiennes dans le nord de l’Irak pour former les troupes kurdes à partir de 2014. Ce programme a été élargi par le gouvernement libéral, les forces spéciales canadiennes faisant appel à des frappes aériennes et prenant part à des combats au fusil avec les forces ennemies. À l’époque, le gouvernement libéral et les dirigeants militaires canadiens ont insisté sur le fait que ces activités ne devaient pas être considérées comme des combats.
L’armée canadienne a publié certains détails sur les combats dans le cadre de sa stratégie de communication stratégique. Par exemple, elle a coordonné la diffusion d’informations aux médias en 2017 concernant un tireur d’élite des forces spéciales canadiennes effectuant un tir mortel sur un tireur de l’État islamique à près de 3,5 kilomètres de distance.
Cette information a été diffusée quelques jours avant que le gouvernement libéral annonce qu’il renouvelait la mission en Irak pour deux ans. Elle visait à mettre en évidence ce que les libéraux et les militaires considèrent comme une mission réussie, selon des sources de la défense à l’époque.
Par David Pugliese – Ottawa Citizen
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