Il est temps de laisser le voisinage tenir ISIS en échec et la région en équilibre.
Par Christopher Mott*
Malgré les affirmations de la vice-présidente Kamala Harris selon lesquelles il n’y a pas de troupes américaines dans les zones de combat actives aujourd’hui, beaucoup restent déployées à l’étranger dans des positions dangereuses et insoutenables à travers le monde. Il s’agit notamment de l’Irak et de la Syrie.
Toutefois, les États-Unis et l’Irak sont apparemment parvenus à un accord pour commencer le retrait des 2 500 soldats américains encore stationnés dans ce pays. S’échelonnant de 2025 à 2026, ce plan, s’il est couronné de succès, mettrait fin à la présence militaire américaine dans un pays où de nombreux problèmes internes sont directement liés à l’invasion de 2003.
À côté de l’Irak se trouve la Syrie, un pays dont la guerre civile brutale et de longue durée a également connu plus d’une décennie d’intervention américaine, depuis l’opération mal conçue Timber Sycamore, le plus grand programme d’armement et d’équipement de la CIA de l’histoire, jusqu’à l’occupation directe par les États-Unis, via des bases, d’une partie importante de l’est du pays. Pendant ce temps, une longue campagne coordonnée de changement de régime visant le président Bachar al-Assad a échoué après avoir exacerbé la situation sur le terrain.
L’opération Timber Sycamore a été révélée par la suite comme ayant aidé un mouvement rebelle islamiste souvent lié à des alliances informelles ou même explicites avec des affiliés d’Al-Qaïda. Les objectifs de ces mouvements comprenaient souvent l’imposition d’un gouvernement théocratique et la conversion forcée, voire l’extermination, de groupes minoritaires sectaires. À peine plus de dix ans après le 11 septembre, les États-Unis sapaient leur propre « guerre contre la terreur » autoproclamée afin de procéder à un changement de régime.
C’est de ce chaos qu’est né Daëch (ISIS), qui n’aurait probablement pas eu autant de succès sans tous les acteurs non étatiques qui se sont développés dans le sillage des guerres d’Irak et de Syrie.
Mais si les États-Unis ont joué un rôle de soutien, c’est en fait un patchwork complexe de forces locales et de milices soutenues par l’Iran qui a mené la majorité des combats contre ISIS au cours de la dernière décennie. Les États-Unis ont fortement soutenu les Kurdes tout en s’opposant au gouvernement syrien qui combattait également ISIS à l’époque. Pendant ce temps, en Irak, les États-Unis ont travaillé avec les milices soutenues par l’Iran contre ISIS pour ensuite craindre leur influence.
C’est, selon le gouvernement américain, pour empêcher la résurgence de ce réseau terroriste que les bases américaines sont restées en Syrie et en Irak. Il y aurait encore 900 soldats américains en Syrie aujourd’hui. Elles servent également à contrer l’influence iranienne qui tient ISIS à distance. Un nid de frelons d’acteurs régionaux grouille autour de ces bases éloignées, de sorte que l’objectif et la durabilité des déploiements deviennent de plus en plus discutables.
Le problème d’être un comptoir sur une portion de territoire entourée de gouvernements favorables à l’Iran est que ces petites forces sont en fait des fils-pièges. Elles sont fréquemment attaquées, ce qui a entraîné des pertes américaines tout au long de l’été, mais elles ne sont pas assez nombreuses pour modifier de manière significative l’équilibre des forces avec les acteurs locaux.
Les gouvernements irakien et syrien – qui, malgré leurs problèmes, restent les forces les plus puissantes dans leurs pays respectifs – sont tous deux amis de l’Iran. Les risques ne font qu’augmenter à mesure que la guerre de Gaza exacerbe les tensions, avec notamment des frappes aériennes israéliennes sur la Syrie proprement dite. Les sanctions, quant à elles, ont causé d’immenses dégâts à l’économie syrienne, mais n’ont pas réussi à ébranler le gouvernement ni à ouvrir des perspectives à la diplomatie américaine.
Il n’y a aucune excuse pour risquer la vie des soldats américains dans ce qui est de plus en plus une série d’interventions ratées transmises d’une génération à l’autre. Si l’Iran doit être contenu, ce sera par d’autres pays plus locaux, et non par une poignée de bases américaines vulnérables et isolées. Ces bases, franchement, ne pourraient devenir pertinentes qu’avec une infusion massive de renforts que le public américain ne soutiendra probablement jamais, compte tenu de l’humeur qui se dégrade rapidement à l’égard des interventions à l’étranger.
En outre, avec la nouvelle réjouissante du retrait des forces américaines d’Irak, le seul accès terrestre aux bases en Syrie se fera par la Jordanie. Leurs lignes d’approvisionnement pourraient donc être encore plus menacées qu’elles ne le sont actuellement. Il est donc tout à fait logique que si l’Irak doit être évacué par les forces américaines, la Syrie devrait l’être également.
Sachant tout cela, il est temps de mettre un terme à l’intervention américaine en Syrie en même temps qu’à l’intervention en Irak.
Christopher Mott
*Christopher Mott est chercheur à l’Institute for Peace & Diplomacy et auteur du livre The Formless Empire : Une brève histoire de la diplomatie et de la guerre en Asie centrale. Il est titulaire d’un doctorat en relations internationales de l’université de St. Andrews et a travaillé auparavant pour le département d’État américain.
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