Soumis à un matraquage idéologique qui ne dit pas son nom, bombardé par un mélange subtil de vérités et de mensonges présentés comme des faits établis, tenu dans l’ignorance d’aspects essentiels des événements, le public occidental est incapable de saisir le sens des crises qu’il entrevoit. Le monde arabe, l’islam et les convulsions qui les agitent lui paraissent confus. Aussi est-il rafraîchissant de croiser un auteur qui dit la réalité des choses et dévoile les raisons de la dissimulation et de la distorsion des faits.
Jean-Michel Vernochet pointe en direction des manipulateurs du désarroi des peuples arabes. La révolte d’une jeunesse avide de liberté et de progrès sera-t-elle instrumentalisée par l’Arabie Saoudite et le Qatar, désireux d’imposer un intégrisme étouffant et rétrograde ? Mal dissimulées derrière eux, les puissances d’Occident, à leur tête les États-Unis et Israël, parviendront-elles à exécuter leur plan de régression du sud de la Méditerranée ? En initiant le prétendu « Printemps arabe » et en tentant de le réorienter vers l’islamisme, ils souhaiteraient imposer à ces pays un nouveau carcan stérilisateur et en dévoyer les revendications légitimes.
Pour l’élucider, Vernochet rappelle l’histoire et les motivations du wahhabisme, doctrine de l’Arabie Saoudite et du Qatar. Il montre la répartition des tâches entre l’Arabie Saoudite, qui soutient les organisations salafistes, et le Qatar qui, avec les islamistes au pouvoir à Ankara, appuie les Frères musulmans. Ces acteurs se partagent les tâches pour assurer leurs chances. Pour les populations victimes, le résultat serait en tout cas identique. Derrière ces compères, les tireurs de ficelle israélo-américains conseillent, forment et envoient des mercenaires (politiques ou militaires), arment les milices islamistes et jettent un voile pudique sur tous les excès. D’où la campagne de désinformation de la télévision qatarie Al-Jazeera et des grands médias occidentaux. Pour eux, les salafistes les plus sanguinaires deviennent des « combattants de la liberté », les Frères musulmans sont labellisés « islamistes modérés » et les violences destinées à terroriser leurs adversaires et leurs crimes les plus infâmes sont occultés ou, pire, attribuées aux victimes diabolisées.
Derrière cette mécanique, Vernochet évoque la lecture outrancière et littéraliste des dogmes qui place ces sectaires en marge de l’islam et contribue à le noircir par leurs excès. On est en présence d’un contre-islam s’autoproclamant le seul véritable et anathémisant les détenteurs de la tradition. La complicité liant cette idéologie au mondialisme est patente pour Vernochet. En plus des convergences économiques et géopolitiques qui les lient, il estime que ces deux acteurs d’une même mise au pas aspirent par un « monothéisme du marché » et une « pensée correcte » à une table rase, afin de restreindre les libertés et encaserner les hommes.
Ces riches développements poussent à la réflexion. Les perspectives ouvertes invitent le lecteur à reprendre les nombreuses informations parsemant ce livre pour débroussailler les pistes explorées par l’auteur.
* Les Égarés, le wahhabisme est-il un contre islam ?, Éditions Sigest, Jean-Michel Vernochet, 170 p, 2013, 15 euros.