Les faits incriminés au nord du Mali sont multiples, explique Fadi el-Abdallah, porte-parole de la Cour pénale internationale (CPI) : exécutions sommaires de soldats de l’armée malienne, viols, massacres de civils, enrôlement d’enfants-soldats, actes de torture, pillages, disparitions forcées et destruction symboles de l’État (hôpitaux, tribunaux, mairies, écoles). Sans compter les attaques contre des églises, des mosquées et des mausolées à Tombouctou et dans les régions administratives de Gao et Kidal. En août dernier, à la demande du gouvernement, une mission de la CPI a séjourné à Bamako pour s’informer sur ces crimes présumés commis depuis mars-avril 2012. Pour Fadi el-Abdallah, l’enquête est possible même si l’État malien n’a plus le contrôle des zones où se sont produits les crimes. Car, dit-il, la procureure « a la capacité d’enquêter et de trouver des informations à travers des sources qui ne sont pas nécessairement dans le pays au moment de l’enquête ».
Un autre examen préliminaire concerne les crimes perpétrés depuis 2004 au Nigeria par la secte islamiste Boko Haram qui a revendiqué plus de 1 000 assassinats entre la mi-2009 et la mi-2012. Cette fois, la saisine ne provient pas de l’État sur le territoire duquel se sont produits les faits, mais de la Cour elle-même. En juillet dernier, lors d’une visite au président Goodluck Jonathan à Abuja, Fatou Bensouda avait prié le Nigeria d’ouvrir une enquête sur les crimes qui, avait-elle souligné, peuvent être qualifiés d’attaques terroristes, mais aussi de crimes contre l’humanité. La décision d’intervenir ou non de la CPI va dépendre de l’attitude du Nigeria. Si les tribunaux du pays prennent en charge l’affaire, la Cour n’interviendra pas. L’examen porte sur la volonté et la capacité du système judiciaire nigérian à juger les criminels présumés.
La Guinée-Conakry se trouve dans une situation similaire. Lors de sa visite à Conakry le 4 avril dernier, la procureure a averti que si la justice locale n’inculpe pas les commanditaires du massacre de 150 personnes le 28 septembre 2009, dans un stade de la capitale, sous le régime de la junte du capitaine Moussa Dadis Camara, la CPI le ferait elle-même.
Par ailleurs, accusée de n’avoir mené ses enquêtes qu’en Afrique (Ouganda, Congo-Kinshasa, Darfour, Centrafrique, Kenya, Libye et Côte d’Ivoire) depuis sa création en 2002, la CPI tente de diversifier ses zones d’intervention. Le bureau de la procureure examine ainsi la situation en Afghanistan, au Honduras, en Géorgie, en Corée du Nord et en Colombie. La reconnaissance de la Palestine comme État observateur non membre par l’Assemblée générale de l’Onu lui ouvre la perspective d’adhérer au statut de Rome, dit-on à la CPI. Elle rappelle que l’instrument d’adhésion doit être déposé auprès du secrétaire général de l’Onu, qui peut consulter l’Assemblée générale des Nations unies en cas de doutes sur la capacité de la partie à adhérer à des traités internationaux.
En 2009, l’Autorité palestinienne avait demandé au procureur d’enquêter sur des crimes de guerre commis par l’armée israélienne durant l’offensive Plomb durci à Gaza. Elle avait reconnu l’autorité de la CPI dès janvier 2009, mais en droit seul un État peut le faire. Aussi le prédécesseur de Fatou Bensouda, l’Argentin Luis Moreno Ocampo, avait-il décidé en 2011 de laisser aux « organes compétents de l’Onu » le soin de déterminer si la Palestine était un État avant de décider de l’ouverture d’une enquête. L’obstacle est désormais levé. Mais il faudra du courage à la procureure pour aller de l’avant. Car parmi les principaux contributeurs financiers de la CPI figure l’Allemagne, proche d’Israël, qui pourrait en coulisse menacer de raboter davantage le budget de la Cour. Lors de la dernière assemblée des 121 États parties, en novembre 2012, ce fut déjà la croix et la bannière pour que le budget en termes réels soit équivalent à celui de 2012, Berlin ayant déjà défendu l’option d’une « croissance zéro ».
Dans les mois à venir, le sentiment que la Cour ne juge que des Africains aura du mal à se dissiper, compte tenu du calendrier annoncé. Plus rien ne s’oppose au procès de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, déclaré en assez bonne santé pour assister aux audiences dans un arrêt rendu le 2 novembre. Tout au plus seront-elles aménagées pour ne pas trop le fatiguer. Il est possible qu’on parle d’autres affaires, car Fatou Bensouda enquête aussi sur des crimes reprochés aux militaires du camp du président Alassane Ouattara. Le 22 novembre, la CPI a annoncé la délivrance d’un mandat d’arrêt contre l’épouse de Laurent Gbagbo, Simone, pour des crimes contre l’humanité commis durant la crise ayant suivi l’élection présidentielle de 2011. Le mandat d’arrêt a été formellement adopté en février 2012, mais il était resté sous scellés.
Le 10 avril prochain, doit s’ouvrir le procès de William Samoei Ruto et de Joshua Arap Sang, soupçonnés d’avoir commis des crimes contre l’humanité au Kenya, dans le cadre de violences postélectorales en 2007-2008 (meurtre, déportation de population et persécutions). Le 11 avril s’ouvrira celui contre Francis Kirimi Muthaura et Uhuru Muigai Kenyatta. La défense de l’ancien vice-président congolais et chef du Mouvement de libération du Congo, Jean-Pierre Bemba, qui répond en tant que commandant de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis en Centrafrique début 2003, devrait présenter ses arguments au tribunal jusqu’en février 2013. Un verdict est attendu vers juillet 2013.