Avec Les Confessions de l’ombre, premier roman de Pierre Boussel, passionnant de bout en bout, l’agent secret Sébastien Hernandez fait son entrée dans le cercle restreint des espions de papier made in France. Si vous êtes accro à ce genre de littérature, vous entendrez parler de lui. Il n’a pourtant rien d’un OSS 117, d’un Coplan FX 18 ou d’un Malko Linge, n’a pas la gâchette facile et ne roule pas en voiture de sport au bras d’une créature de rêve. C’est un agent dormant, monsieur Tout-le-Monde, un personnage fondu dans le paysage, attendant qu’un supérieur claquemuré à la Piscine – siège parisien de la Direction générale de la Sécurité extérieure, service de renseignement français (DGSE) – le réveille.
Pour Hernandez, officier habitué aux opérations anti-islamistes en Algérie, en Tchétchénie ou en Somalie, attendre on ne sait quoi à Tanger n’a rien d’enthousiasmant. En ce début de xxie siècle, le port est l’ombre de ce qu’il fut du temps de son statut international : repaire d’aventuriers, nid d’espions. Pierre Boussel, chroniqueur à Radio Méditerranée Internationale et qui y réside, nous décrit le charme désuet d’une ville où tout le monde se connaît, mais où rien d’extraordinaire ne se passe, si ce n’est des trafics de haschich et de faux papiers pour immigrés clandestins.
Il ne se passe rien… jusqu’au jour où débarque une ONG évangéliste américaine, avec femmes et enfants, venue aider les Marocains « à accéder à la modernité et à la liberté » ! Hernandez qui se la coulait douce en jouant à l’économiste expatrié est « réveillé ». Son patron l’informe que les missionnaires sont drivés par la CIA et qu’à Washington, George W. Bush et Donald Rumsfeld, inquiets de la montée de l’anti-américanisme dans les pays musulmans, n’ont rien trouvé de mieux que d’envoyer des militants chrétiens au Maroc pour tâter le pouls de l’ennemi. Hernandez a carte blanche pour saboter l’opération, car il est hors de question de laisser la CIA intervenir – surtout sans prévenir – dans un pays considéré comme faisant toujours partie du pré carré français.
Au début, « tout baigne ». Notre héros fait livrer aux évangélistes des médicaments avariés. L’épidémie de gastro-entérite qu’ils déclenchent dresse la population contre eux. Apprenant que l’ONG cherche des charpentiers, Hernandez lui envoie des islamistes du cru, plutôt folklo, persuadé qu’ils saloperont le travail. Il veut ensuite faire accuser les Américains d’avoir pollué le lac. Seulement voilà, les islamistes n’étaient pas des branquignols. Deux enfants de la mission sont trouvés morts noyés sur une plage, un évangéliste est assassiné. L’aventure des Pieds nickelés américains tourne au drame. La suite est haletante.
La postface d’Alain Chouet, ancien de la DGSE et référence en matière de terrorisme, est la preuve que Pierre Boussel est « au parfum », comme on dit dans le renseignement. Qui s’en plaindrait ?
Les Confessions de l’ombre, Pierre Boussel, Éd. Kero, 304 p., 19,90 euros.