Trois ans après la révolution, on se rend compte, tous, que beaucoup reste à faire. Mais d’ores et déjà, les étapes que nous avons franchies nous montrent la voie à suivre.
En vue de réussir le reste de la transition démocratique et de répondre aux demandes légitimes d’une jeunesse impatiente de résultats concrets, cinq conditions sont à mon avis à satisfaire :
1.La transition va requérir avant tout une adhésion continue de toutes les parties à la nouvelle culture de compromis, même lorsqu’il s’agit de questions fondamentales. Sans de telles concessions, on ne pourra pas construire le consensus nécessaire autour des choix fondamentaux de la société. Aussi, sans de telles concessions on ne peut pas établir un climat de confiance mutuelle entre les différents opérateurs politiques. Aucune alternance du pouvoir et aucun progrès sur la voie de l’institutionnalisation de la démocratie ne pourront se faire sans une telle confiance mutuelle. Le processus de rédaction de la constitution en Tunisie a été avant tout un exercice de concessions. Dans l’avenir, cet exercice sera ardu mais tout à fait incontournable.
2.Autre condition de la coexistence dé: continuer à chercher les dénominateurs communs et non pas les facteurs de division ou de conflit. Les pratiques de diabolisation et d’incitation à la haine doivent être bannies. Le passé ne doit pas être géré par les appels à la vengeance mais plutôt par la réalisation de la réconciliation nationale. Alors que nous entamons notre quatrième année après la révolution, il faudra rapidement tourner la page du passé afin de se concentrer sur l’édification de l’avenir. La relation politique –religion ne devra plus faire l’objet d’une polarisation partisane. On a tous le droit de s’inspirer des nobles valeurs de l’Islam, mais personne ne sera plus habilité à essayer d’imposer sa vision de l’Islam ou à nous dicter notre mode de vie, en vertu de son interprétation de la religion. De surcroît, rien ne pourra plus justifier la violence ou entraver la dénonciation collective des assassinats politiques et de toutes les formes de terrorisme.
3.Il est illusoire de croire que les difficultés socio-économiques du pays, et surtout les problèmes à l’origine du mécontentement continu de la jeunesse, pourraient être effacés par de simples discours démagogiques de la part de l’élite politique. On ne pourra pas répondre par des promesses creuses aux problèmes du chômage, des déséquilibres régionaux et du sous-développement économique. Ces problèmes, qui malheureusement perdurent, ont été engendrés pendant des décennies par des politiques de développement inappropriées, et ont été sans doute aggravés par l’incompétence et la mauvaise gestion de certains gouvernements après la révolution. Il faudra aujourd’hui une grande part de vision, beaucoup de travail et des réserves intarissables d’honnêteté et de courage, pour commencer à relever ces défis. Il n’est plus possible, par exemple, de tolérer la privation de nombreux hommes d’affaires de leur liberté de voyager. Nos politiciens devront faire prendre les initiatives qui s’imposent et faire preuve du courage qu’il faut pour dire la vérité, toute la vérité à leurs concitoyens. D’ailleurs ils n’ont plus le choix. L’ère des mensonges et des tergiversations est absolument révolue.
4.L’attachement du peuple tunisien à la liberté n’est pas négociable. Malgré le souhait des Tunisiennes et des Tunisiens de retrouver une plus grande part de stabilité et de prospérité économique, nos concitoyennes et concitoyens ne sont guère nostalgiques de l’autoritarisme ou de l’oppression. L’écrasante majorité de la population est indéfectiblement attachée à la démocratie comme la meilleure forme de gouvernement. Mais les politiciens ne doivent pas pour autant dormir sur leurs lauriers. Ils ont désormais face à eux des citoyennes et des citoyens qui n’ont plus peur de s’exprimer ou n’hésiteront plus à chasser du pouvoir les politiciens incompétents et véreux, même s’ils sont démocratiquement élus.
5.Une autre leçon: les défis auxquels est confronté notre pays doivent être relevés avant tout par les Tunisiennes et les Tunisiens eux-mêmes. Cependant, nous vivons désormais dans un monde globalisé où personne, et encore moins des citoyens d’un pays ouvert sur le monde comme la Tunisie, ne peut prétendre vivre sur une île. Les considérations pseudo-identitaires ne sauraient justifier un quelconque isolationnisme anachronique. Sans la solidarité agissante de nos frères et sœurs dans la région, sans la coopération étroite avec nos amis et sans la bonne volonté tangible de nos partenaires, nos chances de succès seront amoindries. Mais une fois ces principes de solidarité, de coopération et d’ouverture soulignés, il est impératif, de réaffirmer les objectifs de la sauvegarde de la liberté, de la dignité, de la souveraineté et de l’indépendance de notre chère Tunisie, objectifs pour lesquels nos martyrs sont tombés.
Selma Elloumi Rekik est membre du Bureau politique de Nidaa Tounes.