Le troisième scrutin de l’Angola depuis les accords de paix de 1992 a encore donné un net avantage au MPLA, qui engrange 71,8 % des voix. Un score inférieur à 2008 (81,2 %), mais encore supérieur aux deux tiers nécessaires à d’éventuelles révisions de la Constitution. Avec 18,6 % des suffrages, l’Unita conforte sa position de principal parti d’opposition et récupère une partie des voix perdues en 2008 (10,3 %). Enfin, avec seulement 1,7 % des voix, le Parti de la rénovation sociale (PRS) cède sa place de troisième parti à la Large convergence pour le salut de l’Angola-Coalition électorale (Casa-CE), d’Abel Chivukuvuku, dissident de l’Unita, qui remporte 6 % des suffrages. Moins qu’il ne l’espérait, mais suffisant pour occuper une place respectable sur l’échiquier politique national. L’adhésion de dernière minute de figures qui furent proches du MPLA, et notamment l’amiral Mendes de Carvalho, ont donné une image d’ouverture à la Casa et contribué au bon résultat à Luanda (13 %). Dans la capitale, l’abstention a été la plus forte et la contestation plus perceptible, notamment de la part des jeunes. Les autres partis et coalitions, y compris l’historique FNLA, ont obtenu des scores insignifiants.
La Casa-CE serait-elle la troisième force que certains attendent ? Trop tôt pour le dire. Ses liens avec l’Unita, que Chivukuvuku a quitté seulement en janvier dernier, devraient être un handicap aux yeux de l’électorat déçu du MPLA, qui est le seul grand potentiel réservoir de voix. Car le phénomène inédit de l’abstention – 40 % des inscrits n’ont pas voté (28 % en 2008) – est attribuable à l’expression du mécontentement à l’égard du pouvoir.
Le MPLA est cependant arrivé en tête dans toutes les provinces, y compris dans la capitale (où avec 60 % des voix, il a eu son plus bas score dans ce fief historique) et à Cabinda où les indépendantistes ont joint leurs voix à celles de l’opposition traditionnelle. Il a en revanche gagné des voix à l’intérieur du pays où les grands travaux ont eu un impact positif sur les électeurs. Dans ces régions, ils apprécient d’autant plus la reconstruction des infrastructures qu’ils ont été en première ligne lorsqu’elles ont été détruites par les bombardements sud-africains ou par l’Unita…
L’investiture du président a été retardée de quelques jours, pour donner au tribunal constitutionnel le temps d’examiner les recours des partis de l’opposition. Ceux-ci ont contesté les conclusions des six organisations d’observateurs africains, pour lesquels il s’est globalement agi d’un scrutin « libre et transparent », et ont présenté plusieurs recours pour fraudes. Selon les indiscrétions des médias angolais, les preuves fournies ne paraissent pas assez solides aux yeux des juges. C’est autour de la forte abstention que s’est donc focalisée l’argumentation de l’opposition. Selon l’Unita, l’abstention s’expliquerait surtout par la mauvaise préparation et gestion des listes électorales – qui aurait empêché de nombreux électeurs de voter – et par la manipulation malveillante de la Commission nationale électorale indépendante (CNE).
Isaias Samakuva, président de l’Unita, s’est même embarqué dans la dénonciation d’un vaste complot, dans un style qui n’est pas sans rappeler celui de son mentor Jonas Savimbi. Pour organiser les fraudes, a-t-il déclaré, le pouvoir a créé une structure parallèle à la CNE « intégrant des spécialistes étrangers et des techniciens angolais afin de manipuler les résultats. Les architectes de cette manipulation ont été trois techniciens chinois du ministère de la Sécurité de Chine invités à cette fin par Dos Santos lui-même ». Le porte-parole de l’Unita a ajouté un parfum de guerre froide en affirmant que les ordinateurs utilisés pour les calculs des voix ont été auparavant manipulés par des experts russes…
La lourdeur du scénario est tel qu’il n’a pas suscité l’adhésion des potentiels amis de l’Unita à l’étranger. C’est ce qu’a regretté Samakuva, les accusant d’être « davantage intéressés au pétrole angolais qu’à la démocratie ».
Pourtant, les médias internationaux ayant couvert les élections ont plutôt eu tendance à prêter une oreille attentive aux réclamations de l’Unita, et répercuté la méfiance de cette dernière envers les institutions. Certes, les moyens à la disposition du MPLA ainsi que « l’interminable suite d’inaugurations d’ouvrages d’intérêt public », selon un éditorialiste angolais, ont donné l’avantage à la campagne du parti au pouvoir.
Mais aucun média international ayant exprimé un penchant pour l’opposition n’a pris soin de rappeler la responsabilité de l’Unita dans l’œuvre de destruction systématique du pays, notamment après les accords de paix de 1991 qui ont mis fin au parti unique. De cette période tragique, il y a des traces significatives, notamment dans les condamnations répétées du Conseil de Sécurité de l’Onu, qui a émis plusieurs résolutions fustigeant l’Unita et décrété contre elle pas moins de trois embargos successifs en la seule année 1993.
En refusant de procéder à un « droit d’inventaire » par rapport à son passé, et en maintenant à tout prix le culte du chef historique, l’Unita s’expose pourtant à ces critiques. Lors de la création de son parti, le dissident Abel Chivukuvuku avait aussi stigmatisé la direction de l’Unita, « fermée au débat interne », voire « rétrograde ». Mais il a soigneusement évité d’évoquer le long passé commun sous la férule de Savimbi. Plus tristement, plutôt qu’innover et jouer la modernité – aidé en cela par son aisance physique –, il a tenu un discours électoral plutôt réactionnaire, qu’on aurait dit parfois inspiré de l’intégrisme chrétien. Cela doit être l’air du temps en Angola, car le PRS, qui s’est battu pour le fédéralisme (transformer les principales régions en États), a aussi penché vers les thèmes de société empruntée au Tea Party : contre l’avortement, les homosexuels, les droits des femmes…
Tous les partis de l’opposition ont cependant eu jeu facile en s’attaquant à la corruption ou à l’aggravation du fossé social. Et c’est à ces questions que le MPLA, qui s’est engagé à mener une politique de redistribution plus volontariste, devra répondre ces prochaines années.