Ilan Pappé fait partie de ce qu’on a appelé les «nouveaux historiens» de l’entité sioniste, c’est-à-dire des chercheurs qui sur la base d’un travail classique d’historiens ont remis en cause le conte fabriqué par la propagande sioniste et qui a été vendu aux opinions publiques du monde occidental. Parmi les mythes que ces historiens ont contredit on a la fameuse thèse selon laquelle en 1948 les Palestiniens avaient volontairement quitté leurs terres pour laisser le champ libre aux armée arabes qui n’auraient ainsi pas eu à se préoccuper du risque de faire des victimes parmi la population palestinienne. Un autre mythe est celui qui veut que les Arabes, par l’entremise de leurs radios, avaient annoncé leur intention de repousser les Juifs ) la mer.
Ici Ilan Pappé nous parle de la montée en puissance en Palestine occupée d’un mouvement politique de type à la fois religieux et nationaliste dont l’objectif ultime est de parvenir à une Palestine débarrassée de sa population indigène, désarabisée pour reprendre le mot de Pappé. Pour notre historien, ce mouvement peut tout à fait être comparé à un mouvement nazi et sa composante «jeunesse» aux «jeunesses hitlériennes».
‘La Jeunesse Hitlérienne’ ou DAESH Israël: Les deux Kooks qui ont nationalisé la judaïsme
Par Ilan Pappé
Le phénomène du sionisme religieux trouve son origine dans l’enseignement de deux des rabbins sionistes les plus respectés, un père et son fils, membres de la famille Kook.
Les grands médias et les gouvernements des pays Occidentaux insistent sur le fait que nous devrions mettre sur un pied d’égalité le Hamas et l’EI (État Islamique). Cette prise de position s’inspire de l’insistance d’Israël pour une telle équivalence.
Outre le fait qu’il s’agit d’une comparaison trompeuse, il est particulièrement important de noter qu’il existe une bien meilleure étude de cas qui démontre la fusion du messianisme dogmatique et de la violence. Cette comparaison ne correspond pas à un phénomène palestinien mais israélien.
Ce phénomène trouve son origine dans l’enseignement de deux des rabbins sionistes les plus respectés, un père et son fils, membres de la famille Kook.
Parlons d’abord du père, Avraham Itzhak Kook (1865-1935). Il est né en Lettonie, dans une région autrefois russe, et est finalement devenu le père du sionisme religieux.
Ce courant idéologique messianique, raciste et fondamentaliste gagne aujourd’hui en termes de présence et d’influence parmi les élites politiques israéliennes, qui tentent de suivre religieusement les enseignements et les visions du rabbin Kook et de son fils, Zvi Yehuda Hacohen Kook (1891-1982).
Kook, le père
Mais parlons d’abord de Kook, père.
Avraham Kook est arrivé en Palestine en 1904 pour devenir la plus importante autorité rabbinique qui a contesté la vision juive orthodoxe, qui est encore défendue aujourd’hui par de nombreux Juifs orthodoxes. Le point de vue de ces derniers soutient que le sionisme est une tentative laïque visant à altérer la volonté de Dieu et ne devrait donc pas être soutenu.
En tant que grand rabbin de la communauté sioniste en Palestine mandataire – le colonialisme britannique en Palestine de 1918 à 1948 – Kook a donné sa bénédiction religieuse au projet sioniste.
Fort de sa position d’autorité, Kook a prêché que le droit du peuple juif à la Palestine est la volonté de Dieu et que les rabbins devraient faire tout ce qu’ils peuvent pour convaincre les Juifs du monde entier de venir coloniser la Palestine.
Dans les années 1920, Kook était très actif en exigeant l’expansion de la zone autour du Mur des Lamentations à Jérusalem par l’expulsion de ses habitants musulmans. Il avait même suggéré de les indemniser, un programme qu’Israël tentera effectivement de mettre en œuvre après la guerre de juin 1967.
Le principal héritage de Kook a été un établissement de formation appelé Merkaz Harav , « le Centre du Rabbin ».
Cette institution est devenue un lieu important dans l’histoire du sionisme religieux, en raison de l’énorme influence du fils de Kook, le rabbin Zvi Yehuda Hacohen Kook.
Kook fils
Parlons maintenant de Kook, le fils.
Zvi Kook est le véritable père idéologique du mouvement messianique Gush Emunim, qui a entrepris la judaïsation de la Cisjordanie occupée et de la bande de Gaza après la guerre de 1967.
Au fil des années, ce mouvement s’est déplacé des marges du système politique israélien vers le centre. En fait, certains de ses membres sont devenus des ministres importants dans divers gouvernements israéliens.
Jusqu’à son décès en 1982, Zvi Kook était bien plus engagé que son père dans la colonisation de la Palestine historique en tant qu’impératif religieux et acte nécessaire pour accélérer la rédemption du peuple juif.
La voix de Kook a été quelque peu étouffée lorsque le Parti travailliste était au pouvoir entre 1967 et 1977. Au cours de ces années, le gouvernement était directement impliqué dans le processus de judaïsation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza à travers le nettoyage ethnique et parfois des massacres ; mais sur la base d’une idéologie différente : celle du sionisme socialiste laïque.
Une fois le Likoud arrivé au pouvoir en 1977, Zvi Kook est devenu célèbre en tant que chef spirituel des colons qui colonisaient de grandes parties de la Cisjordanie palestinienne, construisant leurs avant-postes au cœur de zones palestiniennes densément peuplées.
L’idée était qu’une colonisation aussi agressive accélérerait la désarabisation de la Cisjordanie. Ce processus visait à mettre les Palestiniens sous pression en s’emparant de toutes leurs ressources, comme la terre, l’eau et même l’accès au marché du travail.
Avec l’aide de l’armée, cette méthodologie impitoyable est devenue une pratique quotidienne d’abus, de harcèlement et, dans certains cas, de meurtres et de blessures directs de Palestiniens à proximité de ces colonies illégales en plein essor.
Il était commode pour tous les gouvernements israéliens de prétendre que ces plans expansionnistes étaient mis en œuvre sans leur aval. Mais c’est un mensonge. En fait, la plupart des actions des colons en Cisjordanie ont été directement coordonnées avec les commandants militaires sur le terrain pour être ensuite approuvées par les gouvernements successifs.
Ces milices et ces groupes de vandales, formés pour la plupart au Merkaz Harav , étaient encouragés par les règles religieuses de Zvi Kook, des décrets religieux qui orientaient leurs actions contre les Palestiniens et empêchaient tout gouvernement d’« abandonner » ne serait-ce qu’un seul centimètre carré de ce qu’on appelle « Eretz Israël ». ‘.
Il importe de noter que, pour Zvi Kook et ses disciples, « Eretz Israël » inclut également la Jordanie.
De plus, un certain nombre de Juifs laïques en Israël admiraient cette forme brutale de colonisation, la considérant comme une continuation de la «glorieuse» première colonisation de la Palestine pendant la période mandataire.
« Jeunesse des collines »
La manifestation la plus extrême du Kookisme est le Noar Ha-Gevaot , la «Jeunesse des Collines».
Ce groupe, constitué de centaines de jeunes, a été encouragé par feu le Premier ministre israélien Ariel Sharon en 1998 à «occuper toutes les collines libres de Cisjordanie et à s’y installer». Cette stratégie visait à créer des «faits sur le terrain» irréversibles, une voie vers une judaïsation totale de la Cisjordanie.
Le principal mode de fonctionnement du Noar Ha-Gevaot est connu sous le nom de Tag Mehir , ou Price Tag. Il s’agit d’attaques particulièrement brutales et non provoquées contre des fermes, des voitures, des entreprises et des champs palestiniens.
Parfois, les membres du groupe incendiaient une mosquée ou une église lors de ces attaques. Parfois, c’est plus que ça. Ils tentaient et réussissaient parfois à brûler vifs des gens dans leurs maisons ou à les tuer lors de ces pogroms.
Durant ces épisodes violents, l’armée israélienne restait les bras croisés et permettait aux extrémistes de mener leurs attaques sans entrave.
Ces dernières années, ce groupe messianique est entré de manière systématique dans les quartiers palestiniens des villes mixtes d’Israël telles qu’Akka, Haïfa, Jaffa, Al-Lid et Al-Ramleh.
Ils ont construit des «centres de formation» au milieu des zones palestiniennes et harcèlent constamment la population. Ces colons ont joué un rôle important dans l’incitation aux émeutes contre les communautés palestiniennes, les Arabes de 1948, en mai 2021.
Les Jeunes des Collines ont ajouté un autre élément à leur répertoire violent ces dernières années, le raid contre Al-Haram Al-Sharif, le lieu saint musulman palestinien le plus sacré. Leur objectif est de susciter une réaction régionale qui, selon eux, faciliterait la construction du soi-disant troisième temple sur les ruines de la mosquée Al-Aqsa, dans l’espoir ultime de précipiter l’arrivée du messie juif.
Pouvoir juif, sionisme religieux
La jeunesse des collines est devenue encore plus une menace après les élections de novembre 2022, lorsque les deux partis politiques qui les soutiennent pleinement, Ozma Yehudit (Pouvoir juif) et Haziyonut Hadatit (sionisme religieux), ont renforcé de manière significative leur représentation à la Knesset. Ce renforcement a permis au Premier ministre israélien de droite Benjamin Netanyahu de constituer son gouvernement.
Les représentants de ces partis extrémistes sont désormais ministres dans le cabinet actuel, Bezalel Smotrich devenant ministre des Finances et Itamar Ben Gvir – qui était autrefois l’avocat de ces milices – devenant ministre de la Sécurité nationale.
Smotrich et Ben-Gvir, ainsi que d’autres ministres de leurs partis, ne font pas partie du cabinet restreint de guerre créé après les événements du 7 octobre. Ils ont donc peu d’impact sur la politique génocidaire actuelle menée par l’armée israélienne à Gaza.
De plus, ces politiciens extrémistes jouent déjà un rôle dans l’intensification des horribles attaques contre la communauté palestinienne de Cisjordanie occupée. Ils sont aussi les leaders de la nouvelle campagne de terreur et de racisme qui vise Arabes palestiniens de 1948 [ceux qui sont restés dans les territoires sur lesquels l’entité sioniste a été fondée en 1948, NdT]
Ces extrémistes ont déjà réussi une fois, notamment avec leurs attaques incessantes contre les villages de Masafer Yatta, dans les collines du sud d’Hébron. Avec l’aide tacite de l’armée israélienne, des milliers de Palestiniens ont été expulsés. Les gouvernements israéliens successifs voulaient désarabiser cette zone depuis des années, afin qu’Israël puisse créer une continuité territoriale pour les Juifs, du Néguev (le Naqab) jusqu’au Jourdain.
Bon nombre de ces représentants religieux sionistes accèdent désormais aux échelons supérieurs des services de sécurité et de l’armée israélienne.
Leur objectif final est de fermer une boucle, qui a commencé avec un rabbin qui a décidé de nationaliser le judaïsme en tant que projet colonial au début du 20e siècle et finalement de construire une théocratie qui tenterait d’achever ce que le sionisme laïque n’a pas réussi à faire : la destruction pure et simple du peuple palestinien.
Moshe Zimmerman, le grand historien israélien de l’Allemagne moderne, avait, dès 1995, comparé les disciples de Kook à un autre groupe qui terrorisait les Juifs pendant les jours sombres du nazisme. Voici ce qu’il a déclaré dans une interview au journal israélien Yedioth Ahronot :
«Il y a tout un secteur de la société israélienne que je considère sans hésitation comme une copie des nazis. Regardez les enfants (des colons juifs) d’Hébron, ils sont exactement comme le Hitleryugend … Ils sont endoctrinés dès le berceau sur les méchants Arabes, l’antisémitisme, le fait que tout le monde est contre nous. Ils deviennent des suprémacistes paranoïaques, exactement comme la Hitleryugend.»
Rien à ajouter
By Ilan Pappé – The Palestine Chronicle
The Palestine Chronicle 1er janvier 2024 traduit de l’anglais par Djazaïri
– Ilan Pappé est professeur à l’Université d’Exeter. Il était auparavant maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Haïfa. Il est l’auteur de Le nettoyage ethnique de la Palestine, Le Moyen-Orient moderne, Une histoire de la Palestine moderne : une terre, deux peuples et Dix mythes sur Israël. Il est co-éditeur, avec Ramzy Baroud, de « Our Vision for Liberation ». Pappé est décrit comme l’un des « nouveaux historiens » d’Israël qui, depuis la publication de documents pertinents des gouvernements britannique et israélien au début des années 1980, a réécrit l’histoire de la création d’Israël en 1948.