Le vice-président de l’ANC et de la République sud-africaine est venu plaider le maintien des Communistes au sein de la Triple alliance. En jeu, son élection en décembre 2019 à la tête de l’organisation.
Intervenant à la tribune du 14ème Congrès du Parti communiste sud-africain, le vice-président de la République et de l’ANC, Cyril Ramaphosa, a été plus critique que jamais à l’égard de la direction du pays, une manière de lancer très clairement sa campagne électorale en vue de la 54ème Conférence nationale de l’ANC qui doit élire sa nouvelle direction en décembre prochain. Une manière, également, prendre de la distance avec Jacob Zuma et ses proches, à la direction de l’organisation. L’enjeu est de taille puisque le président élu deviendra, selon les statuts, le nouveau président de la République, en cas de victoire de l’ANC aux élections générales de 2019.
« Il y a, dans notre pays, une grande impatience de notre peuple qui se demande comment nous allons résoudre les nombreux défis politiques auxquels nous devons faire face, a-t-il déclaré dès l’ouverture de son discours. Particulièrement, la façon de gérer l’économie pour sortir de la récession, d’affronter la notation en catégorie spéculative de l’Afrique du Sud (par les agences internationales), de combattre la corruption galopante de la corruption, « et plus important, quelles mesures nous devons prendre pour créer des emplois et débarrasser le pays du fléau des inégalités et de la pauvreté ».
Alors que le congrès du SACP doit décider de l’avenir de son alliance historique avec l’ANC et la confédération COSATU – ce qui implique de s’engager ou non avec ses propres candidats aux élections générales de 2019, et non plus sous la bannière de l’ANC – Cyril Ramaphosa a appelé l’organisation communiste à « reconnaître la nécessité de retisser les fils entre la démocratie révolutionnaire, le mouvement syndical et socialiste du grand mouvement de libération qui partagent une vision commune de la Révolution nationale et démocratique et ses objectifs ». Retour aux fondamentaux, une fois de plus. « Détruire l’alliance entre l’ANC et le SACP serait une grande erreur qui ne pourrait être absoute par l’Histoire, a-t-il ajouté, se référant au grand et populaire dirigeant communiste de l’ANC, Chris Hani, assassiné alors qu’il était pressenti par Nelson Mandela comme le futur président de l’Afrique du Sud, et à Oliver Tambo, l’historique président de l’ANC en exil, décédé en 1993.
Pour convaincre les participants au congrès du SACP dont un grand nombre soutiennent la sortie de l’Alliance tripartite, et pour se démarquer de la direction de l’ANC dont il est, toutefois, le secrétaire général, Cyril Ramaphosa ne mâche pas ses mots. « Aujourd’hui, notre maison est minée par les rivalités internes, les jalousies mesquines et le péché de pouvoir », dit-il, se référant au rapport sur l’état de l’ANC présenté par le secrétaire général de l’organisation, Gwede Mantashe, fin juin, à l’occasion de sa 5ème conférence politique. Un rapport qui « décrit comment nos structures et nos programmes ont été minés par la compétition pour les ressources, la corruption et la capture des institutions d’État par des familles, des individus et des entreprises ». Une situation qui s’évalue en « milliards de rands partis dans la poche d’une minorité ».
Sans nommer précisément le président Jacob Zuma impliqué dans plusieurs scandales, il est évident que Cyril Ramaphosa l’inclut implicitement dans sa longue diatribe contre « ceux, dans (nos) rangs qui sont impliqués dans de telles activités ». Et, affirme Cyril Ramaphosa qui a besoin du soutien des votes communistes pour obtenir son investiture, en décembre, là se situe, le défi, « particulièrement pour le Parti communiste qui a, tout au long de son existence, été à l’avant-garde de l’approfondissement et du développement de la compréhension politique et de l’approche idéologique pour les membres de notre mouvement ».
La Conférence politique de l’ANC, en juin dernier, a été le lieu de discussions acharnées entre les deux factions apparues au cours de ces dernières années. Si le texte final reprend, encore une fois, les fondamentaux de la politique de l’organisation depuis 1994 et la fin de l’apartheid, toujours en attente de concrétisation, l’appel de Cyril Ramaphosa dans ce contexte très critique, revêt une importance particulière, car il y a urgence. « Nous attendons de ce Congrès, dit-il aux communistes, qu’il produise des propositions pratiques sur les questions critiques comme la terre et la réforme agraire, l’industrialisation, la déconcentration de la propriété et son contrôle, le développement de l’éducation et des compétences. » Il investit ses alliés communistes de la mission de définir « pour l’Alliance », un programme « sans ambiguïté » et « ambitieux » pour le changement social et économique.
En attribuant au Parti communiste un rôle de leader incontournable et indispensable dans la Triple alliance, Cyril Ramaphosa a essayé de convaincre ses membres et sa direction qu’ils représentent la force de la dernière chance, et exerce une pression évidente en lui attribuant une responsabilité qu’il ne peut refuser en se retirant de la Triple alliance et en présentant ses propres candidats aux élections générales. Ce qui pourrait être considéré comme la plus haute des trahisons politiques.
L’ex-secrétaire général du Parti, Jeremy Cronin – par ailleurs membre du Comité exécutif national de l’ANC (NEC) et vice-ministre des Travaux publics – n’est pas du même avis. Depuis plusieurs mois, attentif aux exigences de la base, il défend fortement l’indépendance du Parti vis-à-vis de l’ANC, soulignant que son parti a soutenu le président au-delà du possible et du crédible. Il est fortement soutenu par certaines provinces, dont le Mpumalanga à l’est de Johannesburg. La rupture, si elle devait être approuvée par le Congrès du SACP, changerait fondamentalement la vie politique sud-africaine et pourrait peser sur le futur de l’ANC déjà menacée, comme l’ont montré les résultats du dernier scrutin. Que décidera le Congrès ? Pour Cyril Ramaphosa qui sera vraisemblablement opposé à Nkosazana Dlamini-Zuma, le choix des Communistes est crucial. Nkosazana Dlamini-Zuma, ex-épouse et candidate de Jacob Zuma, ex-présidente de la Commission de l’Union africaine, et ex-ministre sud-africaine, est soutenue par l’organisation des femmes de l’ANC et par celle de la jeunesse.
Une troisième solution est, apparemment en discussion – informelle – entre les dirigeants du Parti communiste, des syndicats, la société civile et la partie contestataire des Vétérans pour la formation d’un nouveau mouvement, un « front de gauche » dirigé par Cyril Ramaphosa, qui s’engagerait dans les élections de 2019 au cas où celui-ci ne serait pas élu face à Dlamini en décembre. Une alternative « nécessaire », si l’ANC n’est pas capable de se renouveler et de retrouver son chemin historique, selon Mugwena Maluleke, membre du comité central.