Tal Afar, une ville au nord de l’Irak, dans la province de Nineveh et à l’ouest de Mossoul, près de la frontière syrienne, vient d’être libérée de la présence du groupe armé « État islamique » (EI -Daech) en moins de huit jours. Cette défaite rapide de Daech est une indication claire que les forces de sécurité irakiennes ont acquis suffisamment d’expérience dans leur lutte contre le groupe terroriste et de connaissances de son style de combat. Elle révèle aussi que la plupart des combattants et des dirigeants de Daech avaient quitté la ville avant que la bataille de Mossoul ne commence (et pendant la bataille), en sachant que leur tour viendrait. Tal Afar avait aussi envoyé à Mossoul de nombreux combattants se joindre à la principale bataille, dans l’espoir (mal calculé) que la ville elle-même, al-Hadbaa’ (Mossoul), ne tomberait pas.
Le territoire occupé par Daech en Irak s’est rétréci à moins de 25 % de ce qu’il était, quelques villes seulement restent encore sous son contrôle : Hawija (la prochaine à être libérée), Ana, Rawa et al-Qaem à la frontière syro-irakienne, où la présence de Daech est la plus forte. Tous les militants qui se retirent de l’Irak et de la Syrie sont en effet en train de se regrouper dans le triangle formé par le désert irakien d’al-Anbar et la zone semi-désertique de la Badia syrienne, là où Daech s’était établi il y a plus d’une décennie (quand Daech s’appelait encore Al-Qaeda en Irak).
La principale question qui se pose est celle-ci : Est-ce vraiment la fin de Daech?
Il ne fait aucun doute que Daech va perdre toutes les villes sous son emprise en Irak et en Syrie au cours des prochains mois (2017-2018). Il restera toutefois présent dans le désert et des cellules dormantes continueront d’exister dans les villes (non seulement au Moyen-Orient, mais partout dans le monde). Daech sera toujours capable de mener des opérations commando contre des positions militaires isolées entre les deux frontières sans nécessairement atteindre d’objectif stratégique, ne serait-ce que pour signaler sa présence.
Daech semble toutefois montrer un réel changement de comportement, en adoptant une « nouvelle politique ». Pour la première fois, Daech a capitulé devant ceux qui, pour ses militants, sont des « rafidis » (littéralement « ceux qui ont rejeté », pour désigner les chiites, qui peuvent être tués sur place), en acceptant de libérer un militant du Hezbollah chiite. Par le passé, Daech refusait de se prêter à des échanges de prisonniers et de cadavres iraniens, même si Téhéran était prêt à payer le prix pour les récupérer. Daech avait aussi l’habitude de donner l’ordre à ses militants de combattre jusqu’à la mort, sans quoi ils allaient être exécutés s’ils abandonnaient leur position de combat, peu importe la raison. Aujourd’hui, Daech a accepté de livrer 335 militants et plus de 620 membres de leurs familles en échange de sept corps de membres du Hezbollah, 1 corps d’un officier Iranien et d’un prisonnier vivant. C’est ce même Daech qui avait refusé toutes les offres de la Jordanie pour qu’il libère le pilote qu’il détenait, Maaz al-Kassasbah, préférant plutôt le brûler vif.
Daech a également ordonné le retrait de 1 800 militants et commandants de Tal Afar avant l’attaque, parce qu’il voulait conserver ses ressources humaines. Contrairement aux batailles antérieures, il n’y avait pas d’ordre de combattre jusqu’à la mort. Daech voulait aussi éviter que la ville de Tal Afar ne soit détruite comme Mossoul, peut-être dans l’espoir de pouvoir revenir un jour dans ces villes irakiennes, après avoir tiré des leçons de ses erreurs et afin de poursuivre sa lutte armée.
Par ailleurs, Daech entraîne de très jeunes adolescents et s’en vante, afin d’envoyer un message clair au reste du monde, à savoir qu’il poursuivra la lutte de génération en génération. Le groupe impose d’ailleurs à cette fin l’utilisation de sa propre monnaie (des dinars d’or, d’argent et de cuivre) dans les villes sous sa domination, qu’il échange contre des devises locales et des dollars. Il se prépare ainsi à cacher son argent en vue de l’ère qui suivra sa défaite dans les principales villes d’Irak et de Syrie. Cela ressemble étrangement à ce que Saddam Hussein a fait en 2003 pendant l’occupation de son pays par les USA, ce qui est loin d’être étonnant vu le nombre d’anciens officiers baasistes parmi les dirigeants de Daech.
Daech a besoin d’argent, car ses ressources se tarissent en même temps que son territoire se rétrécit. Il perçoit moins de taxes, mais a aussi moins d’argent à dépenser. Daech a commis des erreurs fatales en se lançant dans son aventure sanglante. Il a forcé la dose en tuant des musulmans qui s’opposaient à son style, à ses règles et à son extrémisme. Daech a causé la destruction de toutes les villes irakiennes sunnites qu’il a occupées, ces mêmes villes dans lesquelles il espère retourner un de ces jours.
En fait, Daech a grandi dans ces villes du nord et de l’est de l’Irak, où il jouissait d’un grand soutien moral et financier par la population locale. Des documents ont révélé que des responsables irakiens ont contribué au financement de Daech pendant des années avant 2014, dont au moins 125 millions de dollars d’aide gouvernementale destinée aux provinces qui ont été détournés vers le groupe, répartis comme suit :
24 milliards 731 millions de dinars d’al-Anbar;
6 milliards 93 millions de dinars de Diyala;
24 milliards 329 millions de dinars de Salahoddine;
65 milliards du gouverneur de Niniveh.
Daech percevait aussi des taxes mensuelles dans les villes sunnites où il était actif (avant 2014). Les habitants versaient des contributions mensuelles et les échoppes payaient des frais à intervalles réguliers, qui variaient selon la nature de leur commerce. L’argent était manifestement versé pour aider Daech dans sa lutte contre le gouvernement central à Bagdad.
Aujourd’hui, Bagdad est déterminé à empêcher le retour de Daech. Mais le problème va demeurer entier si la population sunnite est encore prête à soutenir Daech, à abriter ses militants et à verser de nouveau des contributions mensuelles pour lui permettre de renaître. C’est ce que nous saurons dans les prochaines années.
This entry was posted in Middle East Politics on 28/08/2017.
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Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai
Traduction : Daniel G.