« Fin du néoconservatisme importé » : peut-on croire Emmanuel Macron ?
En politique, on le sait, surtout en France, les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. On l’a vu en 2012 avec le fameux credo de François Hollande, « moi, président… », en plein débat de campagne présidentielle avec Nicolas Sarkozy. Ceux qui ont pris ses engagements pour argent comptant en ont été pour leurs frais.
À peine investi, le nouveau locataire de l’Élysée a pris de court nombre de ses détracteurs, en impulsant plusieurs bonnes initiatives dans le domaine que la Ve République réserve constitutionnellement au chef de l’État : la politique étrangère et les questions ayant trait à la paix et à la guerre. Certes, il a réaffirmé son engagement européen libéral, l’ancrage de la France à l’Otan, mais il a su prendre un peu de distance par rapport aux États-Unis de Trump. Et il s’est employé à reprendre langue avec la Russie, dont il a invité le président à Versailles pour célébrer le 300e anniversaire de la visite de Pierre Le Grand en France. Emmanuel Macron s’est également rendu au Mali, à Gao, sans doute pour rendre visite au contingent français, mais aussi pour réaffirmer ses priorités : la lutte contre le terrorisme et son engagement pour le développement de l’Afrique. Il en a profité pour envoyer un message au président algérien Abdelaziz Bouteflika, réaffirmant l’engagement de la France pour accélérer l’application des accords d’Alger obtenus en 2015.
Rompant avec l’hypocrisie de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron a eu les mots justes pour dénoncer la colonisation française. Il l’avait dit depuis Alger alors qu’il n’était que candidat. Il l’a réaffirmé plus tard pour l’étendre à l’ensemble de l’Afrique et de l’Asie. « Nous devons présenter nos excuses à celles et à ceux qui ont subi la barbarie. Je pense qu’il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation. Certains ont voulu faire cela en France il y a dix ans. Jamais vous ne m’entendrez tenir ce genre de propos. J’ai toujours condamné la colonisation comme un acte de barbarie. La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime contre l’humanité. »
Si, pour Macron, le continent africain enregistre actuellement le taux de croissance mondiale le plus élevé, s’il présente beaucoup d’opportunités, il n’en reste pas moins que « l’Afrique est de plus en plus frappée par le terrorisme. […] Elle est donc une cible, et cela va perdurer. Nous devons l’aider à l’éradiquer. Pour cela, il nous faut une véritable politique africaine et méditerranéenne. En même temps, l’Afrique devient, désormais au sud du Sahara, productrice de terroristes, qui se mêlent parfois à toutes sortes de trafics, mais aussi aux irrédentismes politiques […] La lutte contre le terrorisme nécessite une réponse sécuritaire immédiate, indispensable et résolue, mais aussi de traiter avec énergie et détermination, sur le long terme, les sources du mal que sont la pauvreté et la précarité. »
Le nouveau président a défini la nouvelle politique française à l’égard du monde arabe, particulièrement la Syrie, à l’occasion d’un entretien bien réfléchi avec huit quotidiens européens, dont Le Figaro. « Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans », a-t-il affirmé. L’allusion à Nicolas Sarkozy et François Hollande est directe. Pour lui, l’intervention en Libye a été catastrophique. Concernant la Syrie, « le vrai aggiornamento que j’ai fait sur ce sujet, c’est que je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar al-Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime ! ».
Cependant, tout en s’interdisant de rééditer « l’erreur que nous avons collectivement commise » en s’autorisant à intervenir, à changer des régimes au nom de la démocratie, en ouvrant la voie à des États faillis producteurs de terrorisme, Emmanuel Macron commet une erreur qui pourrait l’entraîner malgré lui dans des dérapages dangereux. « J’ai deux lignes rouges : les armes chimiques et l’accès humanitaire. Je l’ai dit très clairement à Vladimir Poutine, je serai intraitable sur ces sujets. Et donc l’utilisation d’armes chimiques donnera lieu à des répliques, y compris de la France seule. La France sera d’ailleurs à cet égard parfaitement alignée avec les États-Unis. » Rien de moins.
Ignore-t-il que les interventions en Irak et en Libye ont été décidées sur une manipulation de ce genre d’argument ? Les armes de destruction massives introuvables ? La population de Benghazi prétendument menacée d’extermination ? Tout comme la dernière intervention armée américaine contre une base de l’armée de l’air syrienne décidée par Trump, en représailles à l’emploi présumé d’armes chimiques à Khan Cheikhoun sans qu’il y ait le miondre commencement d’une preuve ?
En menaçant d’agir unilatéralement sur ces deux sujets, Emmanuel Macron ne risque-t-il pas d’être entraîné, manipulations médiatiques aidant, dans des interventions dangereuses ? Avec de telles incantations, il y a lieu de penser que le « néoconservatisme importé » aura encore de beaux jours devant lui.