« Pâques longtemps désirées. Sont en un jour tôt passées ». Ce proverbe français frappé au coin du bon sens s’applique à la perfection au feuilleton sur le fameux discours refondateur sur la problématique de la lutte contre les communautarismes, le ou les séparatisme(s)1 – pour ne pas prononcer le mot tabou d’islamisme antirépublicain – que les communicants du prince qui nous gouverne nous annonçaient comme imminents depuis belle lurette. Il aura fallu qu’un faux mineur pakistanais sorte son hachoir pour s’en prendre à des quidams ayant le tort de bavarder rue Nicolas-Appert (l’ancien siège de Charlie Hebdo) pour que Jupiter décide de prendre, enfin, le taureau par les cornes2.
Guillaume Berlat
Aussitôt dit, aussitôt fait. On réunit, vendredi 2 octobre 2020, aux Mureaux (dans les Yvelines) une claque triée sur le volet pour applaudir leur héros des temps modernes et nous avons droit à la quintessence du « en même temps sur le sujet »3. Aussitôt, le clergé médiatique se pavane, rivalise de superlatifs pour honorer ce énième discours historique jupitérien… dont il ne restera plus que l’écume des jours dans quelques semaines4. Encore moins dans les poubelles de l’Histoire ! Nos perroquets à carte de presse rivalisent de formules dithyrambiques sur les plateaux des chaines d’abrutissement en continu pour parer des plumes du paon le chef de l’État, sauveur de la nation. L’homme qui a fait don de sa personne à la patrie en danger.
On l’aura compris, la communication qui est une forme de publicité, remplace ainsi l’information et pire encore, la pensée structurée5 au pays de Descartes et de la logique. Que nous dit le président de la République aux Mureaux ? Que faut-il en penser ?
LA SYNTHÈSE DU DISCOURS DES MUREAUX
En dépit d’un effort de logique – du moins apparent à l’issue d’une lecture rapide – dans l’approche du problème traité, le discours des Mureaux apparaît comme particulièrement déséquilibré. La partie diagnostic est aussi longue que confuse. On peine à appréhender deux ou trois symptômes principaux compréhensibles par tout un chacun. C’est le type du diagnostic auberge espagnole. Conséquence de ce qui précède, la partie thérapeutique ou remède est sommaire faute d’avoir une vision claire des maux que l’on entend traiter en priorité avec volontarisme et détermination.
Un long diagnostic
Emmanuel Macron commence, une fois n’est pas coutume, par nous préciser que son objectif est double (il déclame derrière un pupitre sur lequel est inscrit « La République en actes ») : définir la réalité des problèmes puis annoncer des décisions prises en conséquence dans son discours des Mureaux6. Notons d’entrée de jeu que la première partie est tout à fait déséquilibrée par rapport à la seconde, preuve qu’il est plus aisé de décrire un mal vieux de plusieurs décennies que de proposer le remède idoine. Emmanuel Macron prend soin de préciser que ce discours est le point d’aboutissement d’un travail méthodique conduit depuis trois ans, finalisé ces dernières semaines avec le gouvernement. Nous qui pensions que son entourage était composé de la crème de l’élite technocratique et intellectuelle de la République en marche.
Comment le président de la République organise-t-il son diagnostic du mal qui ronge la France, particulièrement documenté par les plus brillants experts dès 20027, complété en 20158 ? Autour des axes suivants : les dévoiements d’une certaine laïcité alors que le concept est clair (liberté de croire ou de ne pas croire, exercice du culte dans le respect de l’ordre public, neutralité de l’État) et doit conduire au « ciment de la France unie » et non à ses divisions ; la dangerosité du « séparatisme islamiste » qui est au cœur du problème et qu’il définit assez longuement en des termes bien connus de tous nos concitoyens ; la crise de l’islam en France et dans le monde qui est source de tensions ; les multiples influences extérieures : Wahhabisme, salafisme, Frères musulmans…qui ont grandi ces dernières années9 ; le terreau sur lequel ce qui précède s’est nourri : la ghettoïsation que nous avons développée avec une politique de peuplement, source de problèmes de toutes natures que la République n’a pas été en mesure de régler ;10 les remugles de notre passé colonial qui conduit des enfants de la deuxième ou de la troisième génération à « revisiter leur identité par un discours postcolonial ou anticolonial » ; le mélange confus de tous les aspects de la réalité (le texte du président de la République est aussi, si ce n’est plus confus, que ce qu’il tente de décrire de manière vaseuse).
On l’aura compris, au pays de Jupiter, Nicolas Boileau, qui enseignait que « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément » n’a pas sa place.
Une thérapeutique sommaire
Comment le président de la République organise-t-il ses réponses à ce fléau ? Comme toujours, il commence à indiquer ce qu’il ne faut surtout pas faire. En effet, il invite à éviter de tomber dans « le piège de l’amalgame tendu par les polémistes et les extrêmes qui consisterait à stigmatiser tous les musulmans ». Pour lutter contre le « séparatisme islamiste », Emmanuel Macron n’évoque que l’affrontement « avec beaucoup de détermination et de force les formes inacceptables et radicales à court terme ».
Lorsque le chef de l’État aborde les réponses – en principe le cœur du sujet pour un gouvernant qui nous a fait lanterner autant d’années -, nous retombons dans un pathos incompréhensible pour le commun des mortels : reconquérir ce que la République a laissé faire ; revenir sur nos propres traumatismes et nos propres insuffisances ; refuser les messages naïfs ; traiter les problèmes ensemble (lesquels ?)11. Rien ne nous est dit des bons clients de notre industrie d’armements que sont les Saoudiens, exportateurs devant l’éternel de toutes les idéologies les plus mortifères aux quatre coins de la planète. Quelques jours plus tard, le gouvernement présente l’interdiction de cette pratique des « certificats de virginité » comme l’une des mesures phares du projet de loi contre le « séparatisme » islamiste.
La conclusion du discours mérite d’être reprise de manière quasi-intégrale : « Notre réponse doit être plus large, puissante, répondre aux problèmes concrets observés sur le terrain. Et la réponse passe par des mesures d’ordre public, elle passe aussi par des mesures de réengagement de la République ». Alléluia ! En un mot, la confusion est reine aux Mureaux, comme ailleurs avec Emmanuel Macron.
Que peut-on raisonnablement penser de ce discours qui se veut, comme toujours refondateur alors qu’il brasse beaucoup de vent ?
LA CRITIQUE DU DISCOURS DES MUREAUX
À examiner de très près ce nouveau morceau d’anthologie de la pensée complexe du président de la République sur un sujet aussi complexe que sensible, trois types de critiques peuvent être formulées : sur la forme, sur la substance mais aussi, ce qui est encore plus grave, sur la démarche. En un mot, comme en cent, nous ne trouvons pas le moindre linéament d’une stratégie cohérente de long terme pour traiter le cancer du séparatisme, du communautarisme hormis par des mots censés soigner les maux.
Critique de la forme
Notons de manière préliminaire, que la forme ne fait jamais défaut dans le discours des Mureaux comme dans les autres péroraisons de Jupiter … du moins en apparence ! Le style est parfait, les formules chocs sont au rendez-vous, l’émotion aussi. Plumes et communicants ont dû passer de longues nuits blanches pour ciseler un tel monument littéraire… quitte pour certain(e)s à terminer par un « burn-out »12. La rançon de la gloire… Ceci étant posé, lorsque l’on prend connaissance en prenant son temps (ce que ne font pas nos folliculaires nourris aux EDL), plume à la main, du texte, les imperfections apparaissent : d’abord n’est jamais suivi d’ensuite ; les énumérations ne disent rien sur leur nombre ; les répétitions sont nombreuses grâce à copier-coller ; les formules creuses et grandiloquentes sont très/fréquentes ; le tout et son contraire, à quelques lignes d’intervalle, nuisent à la crédibilité de l’ensemble ; le court terme n’est jamais suivi du long terme…
Et le reste est à l’avenant. Il va sans dire, mais cela va mieux en le disant que ces défauts dans la forme, la présentation, la logique d’ensemble ont des conséquences mécaniques sur le contenu du discours et sur son efficacité au quotidien.
Critique de la substance
Qu’en est-il au juste de la substance de cet opus magnum ? Elle prête le flanc à de multiples critiques dont nous ne retiendrons que les plus importantes pour ne pas surcharger notre démonstration. Il aura fallu, plus de trois ans, à un homme aussi intelligent qu’Emmanuel Macron pour prendre la mesure du problème alors que certains, qualifiés de populistes, de fachistes aveugles et sourds à la réalité de la France profonde, tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs décennies. La ficelle du « pas d’amalgame » est aussi grosse qu’usée. La question du vouloir et du pouvoir dans le discours jupitérien est de nouveau posée. Pour nécessaire qu’il soit, le volontarisme n’est pas suffisant pour traiter des problèmes aussi ardus que ceux des conséquences de l’islamisme radical. Comme souvent, la réponse se limite au très court terme, rarement au long terme (Cf. le rejet brutal du rapport Borloo de 2018 sur la politique de la ville qui avait fortement irrité le Dieu Jupiter).
La conclusion précitée est le modèle du galimatias technocratique enseigné à l’école nationale de l’arrogance (ENA). Un merveilleux « bibelot d’inanité sonore » pour reprendre la célèbre formule de Stéphane Mallarmé. Sur un tel sujet, hormis la loi que l’on nous annonce, il y aurait dû avoir une partie organisée autour des quelques principes fondateurs de la République française suivie d’une autre plus opérationnelle distinguant entre mesures concrètes sur le court, le moyen et le long terme (règle et coût de la violation de ladite règle par le contrevenant de manière à être le plus dissuasif possible). Or, ce développement opérationnel fait largement défaut, pour employer une litote diplomatique.
Ce qui rend caduc ou presque ce morceau de bravoure jupitérien. Sa présentation est soit générale, soit caricaturale. Avec toutes ces lois adoptées, au cours des trois dernières années, sur les quotas (hommes/femmes ; français de souche/Français issus de la diversité, hétéro/LGBTQI13 ; milieux favorisés/milieux défavorisés…), le chef de l’État porte un coup de couteau fatal au principe de la méritocratie républicaine à la française, favorise le communautarisme et donc les séparatismes. Réforme de l’ENA ou pas !14 Il fait le contraire de ce qu’il dit. L’important dans notre bonne vieille France n’est-elle pas d’accorder à tout citoyen l’égalité des chances et non de lui accorder des passe-droits en fonction de critères ethniques, religieux, d’orientation sexuelle, de fausse parité ?
Critique de la démarche
Que dire de cette envolée délirante ? « Elle n’appelle d’autre commentaire qu’un immense éclat de rire »15. Plus grave encore, le président de la République ne traite pas la question du ou des séparatismes pour ce qu’elle est réellement, un symptôme de la crise d’identité que traverse la France16. Qui sommes-nous ou que voulons-nous être au XXIe siècle ? Nous ne le savons toujours pas. Mieux vaut ne pas traiter les sujets qui fâchent ! Surtout, lorsque nous apprenons, quelques jours après, que le projet de loi destiné à lutter contre le séparatisme devrait changer de nom pour s’appeler « projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains », selon les déclarations de Gérald Darmanin, sur Radio Classique, le 6 octobre 2020. Le ministre de l’Intérieur ajoute que « l’idée était bien de lutter contre le séparatisme principal qu’est l’islam radical », mais, a-t-il dit, « ce n’est pas le seul objet du texte qui s’adresse à tous les cultes, contre tous les mouvements sectaires, impose la neutralité politique et religieuse ».
Gérald Darmanin souligne, par ailleurs que les deux premiers articles de la loi de 1905, socle de la laïcité en France, ne seraient pas modifiés. En revanche, « à la marge, nous allons renforcer des dispositions de la loi de 1905 », a-t-il poursuivi. Le ministre cite, à titre d’exemple, « l’interdiction de faire de la politique dans les lieux de culte », prévue dans la loi de 1905. Mais, ajoute-t-il dit, cette interdiction ne s’accompagne pas de sanction dans le texte actuel. Le projet prévoira donc dans ce cas « sanction administrative » et pénale. Le ministre a en outre souligné qu’il sera exigé pour les dirigeants des associations cultuelles un casier judiciaire vierge de toute condamnation pour « radicalisation, ou complicité du terrorisme ou apologie du terrorisme ». S’agissant plus généralement des associations percevant des subventions ou bénéficiant de prêts de matériels, il leur sera demandé « dès le premier centime d’euro » une adhésion aux « valeurs de la République », a ajouté Gérald Darmanin. Nous sommes pleinement rassurés sur la volonté de l’exécutif de traiter le mal avec la médecine appropriée.
Quelle superbe volte-face opérée en catimini, preuve supplémentaire que le président de la République n’assume pas courageusement ses choix et que son discours a été préparé dans la plus grande précipitation ! Quelques jours après, l’un de ses ministres régaliens vient presque désavouer la démarche du président de la République. Tout Paris s’esclaffe face à un tel recul en rase campagne. Une fois de plus, en plus du (non)traitement de la pandémie, nous découvrons que le paquebot France n’a ni cap, ni boussole. C’est une sorte de bateau ivre balloté par une mer déchaînée. À quand la rencontre avec un superbe iceberg pour nous rejouer l’histoire du Titanic ? Dire que ce projet était préparé depuis trois ans, nous dit-on. De qui se moque-t-on ?
« Le temps des utopies ne dure jamais longtemps » (Monique Larue). En France, c’est toujours la même rengaine. Confrontés à un problème structurel récurent, nos dirigeants commencent par pratiquer la politique du déni aussi longtemps qu’ils le peuvent. Une fois que la bombe leur explose à la figure, vient le temps de la surprise feinte, de l’émotion puis celui de l’inflation normative. Un problème appelle une loi sans se soucier de savoir si n’existe pas déjà une norme qui traite du sujet. Le problème est souvent la conséquence d’une non-application de la norme par lâcheté, de peur de mécontenter tel ou tel groupe de pression que de son absence.
Le président de la République annonce, à grands coups de trompette, la mise en chantier de la loi dans un discours « historique ». Avec plus ou moins de précipitation, la loi sera adoptée en catimini dans un hémicycle quasiment vide en pleine nuit. C’est ce que l’on appelle la politique de l’essuie-glaces, un évènement chassant l’autre. Il va sans dire, mais cela va mieux en le disant, cette nouvelle loi ne règle en rien le problème mais l’on donne l’impression de faire quelque chose au bon peuple de France et de Navarre. L’annonce est toujours plus importante que le contenu du texte dans le monde de la com’. Il y a fort à parier que ce sera le sort de la loi consacrée à la lutte contre le séparatisme, peu importe son titre qui risque d’évoluer au cours du temps. Elle sera peu ou pas appliquée et le problème resurgira après le prochain attentat islamiste.
La norme, si robuste soit-elle, ne remplacera jamais le courage politique allant jusqu’à se rendre impopulaire. Le droit n’est pas là pour résoudre les problèmes de la société mais pour fixer un cadre général surtout lorsque l’exécutif cherche toujours sa boussole pour traiter la pandémie efficacement17. En dernière analyse, Emmanuel Macron est-il sincère lorsqu’il déclare la guerre au séparatisme ? À la lumière de l’expérience passée, la réponse est dans la question surtout lorsqu’il effectue une volte-face sur le titre de la loi présentée en décembre prochain18.
Guillaume Berlat
Proche et Moyen-Orient.ch est un journal en ligne dont la rédaction est dirigée par Richard Labévière.
LE SEPARATISME, C’EST COMME LES TRAINS,CA PEUT EN CACHER UN AUTRE…
12 octobre 2020
Notes
1 Natacha Polony, Séparatisme : une loi pour éviter le combat culturel, Marianne, 2-8 octobre 2020, p. 3.
2 Olivier Faye/Alexandre Lemarié, le plan de Macron contre « le séparatisme ». Le plan de Macon contre l’islamisme. Aux Mureaux, le chef de l’État devait prononcer un discours offensif pour déclencher un « réveil républicain », Le Monde, 3 octobre 2020, pp. 1 et 12.
3 Alexandre Lemarié, Le « en même temps » de Macron à l’épreuve du « séparatisme », Le Monde, 4-5 octobre 2020, pp. 8-9.
4 Éditorial, « Séparatisme » : une réponse pour le long terme, Le Monde, 4-5 octobre 2020, p. 31.
5 Bernard Cornut, Semaine au cœur, www.prochetmoyen-orient.ch , 5 octobre 2020.
6 Emmanuel Macron, « Notre République a laissé faire la ghettoïsation », Discours aux Mureaux, 2 octobre 2020.
7 Emmanuel Brenner (sous la direction de) avec une préface d’Alain Finkielkraut et une postface de Georges Bensousssan, Les territoires perdus de la République. Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Pluriel, 2002.
8 Bernard Rougier (sous la direction de), Les territoires conquis de l’islamisme, PUF, janvier 2020.
9 Cécile Chambraud, Les propositions du chef de l’État pour un islam « libéré des influences étrangères », Le Monde, 4-5 octobre 2020, p. 9.
10 Louise Couvelaire, Un volet social jugé décevant dans les quartiers, Le Monde, 4-5 octobre 2020, p. 9.
11 Mattea Battaglia, L’instruction à domicile sera limitée aux « impératifs de santé », Le Monde, 4-5 octobre 2020, p. 8.
12 Marie Tanguy, Confusions, La Grenade/JC Lattès, septembre 2020.
13 Communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre, queer et intersexe.
14 Louis Haushalter, Fin de l’ENA. Promesse de Macron… et de gascon, Marianne, 9-15 octobre 2020, pp. 32-33.
15 Dominique de Villepin, « N’entre pas ici, Arthur Rimbaud », Le Monde, 4-5 octobre 2020, p. 30.
16 Natacha Polony, Ces autres séparatismes qui nous mènent à la guerre civile, Marianne, 9-15 octobre 2020, pp. 8 à 15.
17 Olivier Faye, Covid-19 : l’exécutif cherche sa boussole, Le Monde, 6 octobre 2020, p. 6.
18 Louis Haushalter/Soazig Quéméner (propos recueillis par), Gérard Collomb : « Sur le séparatisme, la Macronie était hésitante », Marianne, 9-15 octobre 2020, pp. 20-21.