Au dernier festival de Cannes, La Vie d’Adèle du Tunisien Abdellatif Kechiche a remporté la Palme d’or… Reste à savoir si ce film sera un jour projeté en Tunisie. Autre moment fort, la rencontre avec le réalisateur palestinien Hany Abu Assaad.
Les fortes pluies et le très mauvais temps qui a accompagné les trois premiers jours du Festival de Cannes ont mis les festivaliers, surtout les professionnels d’entre eux, dans une humeur de révolte… Les rendez-vous convenus étaient difficilement maintenus et les déplacements dans les différents pavillons, surtout ceux en bord de mer, presque impossibles.
Mais, car il y a toujours un « mais », le vrai soleil était celui, tant attendu, de la programmation et des films dont la découverte était le vrai motif de la venue de tous. Le public formait des files d’attente pendant des heures entières pour trouver une place dans telle ou telle projection et les amateurs du 7e art étaient tellement nombreux qu’ils se trouvaient, à la fin, en partie, rejetés pour manque de place.
Des merveilleuses œuvres d’art ont défilé sur les différents écrans du festival dont je citerai deux, le merveilleux La Grande Bellezza de l’Italien Paulo Sorrentino, avec son acteur fétiche, le très bon Toni Servillo et Tel Père tel fils du Japonais Hirokazu Koreeda qui a eu droit à de longues minutes d’applaudissements en présence du réalisateur et de son équipe, ovation qui a fait abondamment couler les larmes des belles actrices…
La joie du public des cinémas du monde et principalement celui du cinéma arabe était grande de voir dans les compétitions, trois noms de la région : le grand gagnant, le Tunisien Abdellatif Kechiche avec La Vie d’Adèle, Palme d’or de l’édition 2013. Seulement la joie était reçue en Tunisie non sans amertume puisque le film n’y sera probablement jamais projeté. En effet, l’homosexualité montrée dans de longues et sensuelles scènes est non seulement taboue dans le pays natal du réalisateur mais punie par la loi. Le ministre de la Culture tunisien Mehdi Mabrouk avait annoncé d’avance qu’il ne se rendrait pas à la projection de La Vie d’Adèle. Les officiels ont manifesté leur joie pour la Palme d’or sans s’étaler sur le contenu du film. Ils se sont, pour certains, contentés de déclarer que le film, fait avec un grand professionnalisme, certes, s’adressait à un environnement particulier… Kechiche quant à lui, a déclaré être aussi Français que Tunisien et aussi Tunisien que Français. Il est arrivé en France à l’âge de six ans.
Un autre court-métrage, palestinien, Condom Lead (Préservatif de Plomb), réalisé par les jumeaux Ahmed et Mohammed Abou Nasser (Tarzan et Arab) et produit par Rashid Abdelhamid qui en est l’acteur principal, raconte l’histoire d’un couple qui rêve de faire l’amour sauf qu’ils vivent dans un environnement de guerre et de bombardements continus… Film touchant, à la fois étonnant et drôle puisqu’il s’agit d’un sujet qui a rarement été évoqué dans le conflit entre Israël et la Palestine. Condom Lead, en compétition des courts-métrages n’a pas été primé malgré la bonne réaction du public.
Et enfin, dans la compétition officielle « Un certain regard », tellement appréciée grâce à la qualité exceptionnelle des films qui y sont projetés, figure Omar, le film du Palestinien Hany Abu Assaad, que j’ai eu la chance de rencontrer.
Réalisateur notamment de Mariage de Rana, un jour ordinaire en 2002, (Semaine de la Critique à Cannes), Paradise Now en 2005 (Golden Globes – Meilleur film étranger). Lui demandant la raison de cette absence depuis son dernier film, Hany a expliqué qu’il avait un cycle de création de sept ans, dans sa vie… Sept ans de présence et sept ans d’absence. Avec Omar, c’est le retour d’un nouveau cycle où il espère donner le jour à plusieurs projets.
Omar, un film qui, il faut l’admettre, comprend un travail d’écriture intéressant, bien ficelé et bien réuni dans l’histoire. Des personnages complexes qui se séparent et se retrouvent, au fur et à mesure du passage des images, sans pour autant que le public n’en perde la trace.
Territoires occupés. Omar et Nadia s’aiment, vraiment, bizarrement, dans des conditions qui peuvent sembler étranges aux publics du monde, ce même public qui est pris de sympathie, de tendresse et de solidarité. De très belles scènes merveilleusement réalisées où se mélangent sentiments, famille, résistance, haine, trahison, politique, passion, cruauté. Un monde où Hany a réussi à plonger son public… Il y laisse même une place à l’humour qui, comme est convaincu le réalisateur, est indispensable pour pouvoir survivre dans les situations les plus sombres…
Afrique Asie : Comment racontez-vous votre film ? Il y a tellement de ramifications et d’histoires qui s’entremêlent…
Hany Abu Assaad : C’est vrai, je ne saurais pas le résumer… C’est une histoire difficile mais en même temps autour d’un thème simple : Omar qui aime Nadia. Il se fait prendre par les autorités israéliennes après sa participation dans un acte de résistance. En prison, après violences et tortures, on lui donne le choix : ou bien on le prive de vivre ou alors il faut qu’il trahisse sa patrie et ses amis. et c’est un choix crucial pour toute personne. J’ignore ce que j’aurais fait moi-même. C’est un film qui traite de la crainte de la perte de confiance en l’autre qui, quand elle arrive, rend la relation vulnérable et quasi irrécupérable. Tout autour est fragilisé, une fois le doute installé. Il s’agit d’un thriller politique !
Thriller politique ?
Suspens, meurtre, déstabilisation du public dans ses convictions par rapport aux personnages, paranoïa, diminution de la taille des personnages face aux grands conflits… amour et thriller !
Qu’est ce qui se cache derrière ces injustices acharnées et surtout non justifiées ?
Dans le film comme dans la vie, toute institution comprend une direction et des employés. Ces derniers servent un agenda et des objectifs dictés sans prendre en considération d’autres critères. Les Israéliens savent, au fond d’eux, qu’ils sont dans un cercle vicieux. Israël a lié ses intérêts à ceux de l’Occident alors que géographiquement elle n’y est pas. Il faudrait que les Israéliens s’acceptent comme faisant partie d’une région où ils se trouvent effectivement, avec les Arabes… Il me semble que c’est un projet qu’ils reportent mais qui finira par une implosion… À noter que ce n’est pas des Juifs dont nous parlons… Les Juifs ont toujours été présents dans la région. Ils étaient voisins et amis avec les Palestiniens avec lesquels ils partageaient le pain et la vie quotidienne.
Il y a une trentaine d’années, le mot « Territoires occupés » était tabou dans la communication et les médias pas seulement en France, mais en Occident. On n’entendait pas le mot Palestine dans les informations. Aujourd’hui, vous êtes à Cannes, dans le festival le plus prestigieux du monde, films, réalisateur, acteurs… Votre film 100 % palestinien est en compétition dans la sélection « Un certain regard ».
Oui, il me semble que nul ne peut ignorer un bon film… tout comme le monde ne peut pas fermer les yeux sur l’injustice. Le monde occidental est un monde dont les peuples ont résisté, ont combattu pour leurs libertés. La présence des films arabes à Cannes se fait de plus en plus remarquer et pourquoi pas. Nous avons tous les droits lorsque nous présentons les films correspondant au niveau exigé. Mais ce qui m’enchante et m’étonne le plus, c’est ce public… des gens qui viennent de loin, de très loin, pour le cinéma ! Ils paient les déplacements et l’hébergement… Des files extrêmement longues devant les salles de projection, quelquefois sous de fortes pluies, patients et risquant d’être rejetés lorsque les salles se remplissent. Cette ouverture et cette tolérance…
Quant à la présence du cinéma arabe en tant que tel à Cannes ou dans les autres festivals, je ne pense pas que nous soyons capables d’apporter du changement. Nous contribuons par contre à montrer des situations non vues ou non dites, une réalité importante à découvrir pour faire la part des choses et savoir de quoi il s’agit véritablement.
Vous vous attendez à un Prix ?
Il y a une grande concurrence dans la compétition « Un certain regard » mais nous avons nos chances, du moment où nous sommes dans la course. Ceci dit, si le public accepte le film et l’apprécie, pour nous, ce sera l’essentiel [Finalement, Omar a obtenu le prestigieux Prix du jury de la compétition « Un Certain Regard », pour la plus grande satisfaction de ses supporters !, ndlr]